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justiceAlice Coffin fait le procès du sexisme et de la lesbophobie en politique

Par Youen Tanguy le 02/02/2024
Alice Coffin est élue au Conseil de Paris

Le conseiller de Paris et sénateur LR Francis Szpiner était jugé ce 1er février pour injures publiques et diffamation à l’encontre de sa collègue Alice Coffin. L’élue écologiste et militante féministe a dénoncé l'immixtion de la violence et de l’injure dans le débat politique, notamment à l’endroit des femmes lesbiennes.

"Si vous estimez que mes propos ne sont pas acceptables, je ne peux que vous inviter à saisir les tribunaux de la République." Alice Coffin a pris Francis Szpiner au mot. Ce jeudi 1er février, le conseiller de Paris et sénateur Les Républicains (LR) comparaissait devant le tribunal correctionnel de Paris pour "injures publiques" et "diffamation" à l’encontre de sa collègue écologiste. Et pour la militante lesbienne, elle n’était pas visée par hasard. 

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Les faits remontent au 10 mars 2021. Au Conseil de Paris, les élus débattent d’une proposition de la droite de baptiser une place du nom de Claude Goasguen, ancien ministre, député et maire LR du XVIe arrondissement, mort en mai 2020. Le groupe EELV s’y oppose, par la voix d’Alice Coffin. "Je ne comprendrais pas qu'au Conseil de Paris, il soit décidé de nommer une place à son nom, argue-t-elle. Ce serait clairement situer le Conseil de Paris du côté de ceux qui trouvent que les trans, les lesbiennes, les gays, les femmes, les musulmans, sont quantité négligeable."

Lesbophobie en politique

Face à elle, Francis Szpiner, alors maire du XVIe arrondissement, l’accuse de "cracher sur la mémoire de Claude Goasguen" et lui répond par ces mots de René Char : "Il existe une sorte d'homme qui sont toujours en avance sur leurs excréments." Tollé dans l’assemblée. La présidente du groupe EELV au Conseil de Paris, Fatoumata Koné, lui demande des excuses, il refuse. La séance reprend le lendemain et le sujet s’invite à nouveau dans les débats. Francis Szpiner accuse alors Alice Coffin d’avoir "traité Claude Goasguen de raciste", ce qu’elle réfute. "Je n’ai jamais dit qu’il était raciste, j’ai dit qu’il avait été poursuivi pour des propos aux confins du racisme", nuance-t-elle à la barre.

Alice Coffin estime que c’est avant tout sa personne et ses combats qui étaient visés par l’élu LR. S'appuyant sur quelques feuilles, elle revient longuement devant le tribunal sur cet incident et pointe notamment le sexisme : "Je suis persuadée que Monsieur Szpiner ne se serait jamais adressé comme ça à l’un de ses collègues masculins." Elle soulève également la question de la lesbophobie : "J’ai été élue sur ces idées, sur ce que je défends. Ici, mon intervention visait l’homophobie, le sexisme et le racisme. Ce n’est pas anodin. Comment se fait-il que quand on s’exprime là-dessus, on ne puisse pas le faire sans être traitée d’excrément ?"

"Je suis une femme politique, féministe et ouvertement lesbienne."

Quelques minutes plus tard, l’avocat de Francis Szpiner, Me Basile Ader, rebondit sur ces propos : "Considérez-vous que Francis Szpiner est homophobe ?" "Non", rétorque d’emblée l’élue parisienne, avant de développer : "Je suis une femme politique, féministe et ouvertement lesbienne, c’est extrêmement rare en politique. Et ça vous expose évidemment à un traitement différent par rapport aux autres personnalités politiques. On pourrait dire que c’est une coïncidence, mais Francis Szpiner ne pouvait pas ignorer les insultes sexistes, lesbophobes dont j’étais la cible. Et qu’en faisant ça, il allait les encourager."

Des accusations qui font bondir Francis Szpiner de son strapontin. Il lève les yeux au ciel, se frotte la main sur le visage, puis échange quelques mots avec son avocat. "Je ne peux pas accepter d’entendre dire que j’ai traité Madame Coffin de cette manière parce que c’est une femme, s’insurgera-t-il un peu plus tard à la barre. Ma vie professionnelle a été au service des femmes. L’argument qui consiste à dire que je l’ai insultée parce qu’elle est une femme est intolérable."

Un avis pourtant partagé par Fatoumata Koné, invitée à témoigner par la partie civile : "Il y avait à mon sens une insulte en direction de ce que représentent les écologistes, les féministes et en direction d’Alice Coffin, donc les lesbiennes." Également invitée à témoigner par la partie civile, Mathilde Viot, juriste et cofondatrice avec Alice Coffin de l’Observatoire des violences sexuelles en politique, complète : "On peut imaginer qu’il était insupportable pour Monsieur Szpiner de voir une femme lesbienne et activiste remettre en cause les propos de Monsieur Goasguen, et qu’il a estimé nécessaire de la rappeler à l’ordre."

"Je n’ai pas traité Madame Coffin de merde"

Mais si Alice Coffin porte l’affaire devant les tribunaux, c’est aussi pour alerter sur la violence en politique, notamment à l’égard des femmes, explique-t-elle : "J’ai du désarroi de venir ici. Mais c’est quelque chose d’important dans le contexte de violence contre les élus. (…) La liberté d’expression, ok, mais pas l’injure." Et d’ajouter : "Je n’ai eu de cesse depuis le premier jour [de son mandat de conseillère de Paris, ndlr] de recevoir quotidiennement, sur les réseaux sociaux ou à mon domicile, des menaces de viol et de mort. J’ai dû déposer très vite de nombreuses plaintes contre des anonymes ou des moins anonymes, mais c’est la première fois que je dois le faire contre l’un de mes collègues." Mathilde Viot résume : "Si un élu se permet de qualifier une collègue d’excrément alors qu’elle porte un propos politique, l’absence d’exemplarité de cet élu crée la possibilité pour tout le monde de venir injurier cette femme."

Francis Szpiner se défend d’avoir insulté la personne d’Alice Coffin : "Je n’ai pas traité Madame Coffin de merde. Je ne m’attaque pas aux personnes, mais aux propos tenus. Et j’ai estimé que les propos de Madame Coffin étaient scatologiques." Dans sa plaidoirie, son avocat conclut : "Je ne suis pas convaincu qu’il y aurait eu un procès si Francis Szpiner avait simplement dit « écoutez madame, ce que vous venez de dire, c’est de la merde ». Et pourtant, c’est strictement ce qu’il a dit. Ce sont les propos de Madame Coffin qui étaient ainsi incriminés, et uniquement ses propos." Interrogé un peu plus tôt par l’avocate de l’élue, Me Clara Gandin, Francis Szpiner disait pourtant, à propos de sa citation de René Char : "Elle visait les propos de Madame Coffin, que je trouve dégueulasses, et évidemment la personne qui les tient."

Au-delà de savoir s’il s’agit ou non d’une injure, Me Basile Ader, qui réclame la relaxe de son client, invoque la liberté d’expression : "Si Francis Szpiner avait tenu ces propos dans l’enceinte du Sénat, il ne serait aujourd’hui pas en train de comparaître devant le tribunal correctionnel. Mais il n’existe pas au Conseil de Paris d’immunité parlementaire, censée protéger la liberté d’expression." Des arguments sur lesquels s’appuie également le ministère public dans ses réquisitions : "Vous allez devoir apprécier si la phrase retirée de la citation du poète René Char dépasse bien la liberté d’expression d’un élu à l’encontre d’un autre élu" dans un espace démocratique, estime le procureur de la République, citant plusieurs arrêts de la Cour de cassation et de la CEDH allant dans le sens de la liberté d’expression. La décision sera rendue le 26 mars.

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Crédit photo : Amaury Cornu / Hans Lucas via AFP