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cinémaAu ciné bien accompagné : 15 films d'escorts gays à (re)voir

Par Franck Finance-Madureira le 18/04/2025
Hustler White

[Article à retrouver dans votre magazine têtu· du printemps] "J'adore les prostitués, c'est tellement romantique !" a dû dire quelqu'un, un jour. Comment récemment dans les films Baby et Sebastian, la figure de l'escort peuple les écrans du cinéma gay.

Des rues de Sao Paulo, filmées dans Baby du Brésilien Marcelo Caetano, aux rencards informatiques de Londres, que raconte le Finlandais Mikko Makela dans Sebastian, la prostitution masculine alimente régulièrement les scénarios des films gays. Émancipation ou asservissement, plaisir ou contrainte, les réalisateurs qui traitent du sujet refusent de choisir pour produire des récits complexes, tout autant sociaux que sexuels.

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Rendons à Andy Warhol le privilège d'avoir le premier filmé et diffusé un film à ce sujet : My Hustler (Mon gigolo), réalisé en 1965 avec ses amis Chuck Wein et Paul Morrissey, le temps d'un week-end à Fire Island. En 1968, le duo Dallesandro/Morissey (le premier devant la caméra, le second derrière) tourne Flesh, le premier volet de leur "trilogie" proche du docu-fiction, dans lequel le beau Joe Dallesandro, bi, 18 ans et marié (dont Andy Warhol a placé le paquet sur un célèbre album des Rolling Stones), est mis sur le trottoir new-yorkais pour payer l'avortement de sa copine. L'heure est au cinéma underground, expérimental, et c'est ce qui pousse Shirley Clarke à tourner en douze heures le documentaire Portrait of Jason, chef-d'œuvre du (nouveau) cinéma-vérité qui suit les confidences explosives et embrumées du gigolo africain-­américain Jason Holliday.

Le Nouvel Hollywood récupère bien vite les sujets et obsessions de l'underground. Ainsi suit-on dans Macadam Cowboy (1969), adaptation du roman éponyme de James Leo Herlihy par John Schlessinger, le grand blond musclé John Voight qui débarque de son Texas natal sûr de lui et de ses charmes pour conquérir les trottoirs de Times Square. L'année suivante, William Friedkin adapte la pièce The Boys in the Band de Mart Crowley, le récit d'une soirée d'anniversaire dans une petite bande d'amis gays new-yorkais. Et le cadeau ne se déballe pas, il se déshabille : un escort, lui aussi blond, musclé et texan.

Dans les années 1990, le novateur et libérateur New Queer Cinema (Derek Jarman, Todd Haynes, Gregg Araki, Gus Van Sant…) fait la part belle à ces personnages de garçons à louer dans des productions américaines et britanniques. Si ce n'est L'Homme blessé, écrit par Patrice Chéreau et Hervé Guibert en 1983, il faut attendre le tournant du siècle pour que le cinéma français s'empare vraiment du sujet.

Ces dernières années, la prostitution gay intéresse de plus en plus de cinéastes étrangers, qui ouvrent de nouveaux points de vue. Ainsi en 2021, le réalisateur sino-autrichien CB Yi suit avec délicatesse mais sans détour, dans Moneyboys, le jeune Fei, issu d'un village de la campagne chinoise et qui, pour aider ses parents, va se prostituer en ville. En 2023, le Britannico-Marocain Fyzal Boulifa raconte, dans Les Damnés ne pleurent pas, la relation tarifée qui lie le jeune Selim (Abdellah El Hajjouji) à Sébastien (Antoine Reinartz), un Français installé à Tanger.

  • My Own Private Idaho, de Gus Van Sant, 1991

Mike et Scott sont jeunes, beaux et naviguent à vue entre drogue, prostitution homosexuelle et traumas parentaux. Scott (Keanu Reeves, tout juste sorti du succès de Point Break) est un hétéro fils de notables en rupture familiale tandis que Mike (River Phoenix, l'un des jeunes acteurs les plus en vue après Indiana Jones et la dernière croisade), gay et narcoleptique, sombre dans la recherche éperdue de sa mère. Inspiré par Shakespeare, Gus Van Sant signe avec My Own Private Idaho un film onirique et flottant d'une grande beauté plastique et ouvre, aux côtés de Derek Jarman et Todd Haynes qui réalisent la même année respectivement Edward II et Poison, la période du New Queer Cinema.

  • Un fils, d'Amal Bedjaoui, 2004

Chose rare, ce moyen-métrage sur la prostitution gay est réalisé par une femme. Mais le grand sujet d'Un fils, c'est l'incommunicabilité entre Selim, ce jeune homme qui, la nuit venue, enfile son débardeur à strass et maquille un peu ses yeux pour hanter les nuits branchées à la recherche de clients, et Omar, son père, veuf inconsolable qui semble se laisser mourir.

  • J'embrasse pas, d'André Téchiné, 1991

C'est avec J'embrasse pas, en 1991, qu'André Téchiné met pour la première fois l'homosexualité au centre d'un de ses films, avec cette histoire de jeune provincial qui débarque plein d'innocence à Paris avec ses rêves de cinéma. Pierre (Manuel Blanc, César du meilleur espoir en 1992 pour ce rôle) commence à se prostituer auprès d'hommes puissants de la sphère culturelle parisienne (parmi lesquels Romain, personnage inspiré de Roland Barthes et incarné par Philippe Noiret), se dit hétéro et n'embrasse pas. Son histoire s'inspire directement de l'expérience personnelle d'un des scénaristes du film, le comédien et réalisateur Jacques Nolot. Dans son long-métrage très personnel, Avant que j'oublie, ce dernier reprend en 2007 les habits de Pierre pour raconter la séropositivité et la solitude d'un ancien prostitué.

  • The Living End, de Gregg Araki, 1992

Avant même sa cultissime Teenage Apocalypse Trilogy (Totally F***ed Up, The Doom Generation, Nowhere), le cinéaste californien Gregg Araki impose avec The Living End son esthétique "dark pop", en créant un duo hédoniste que composent un jeune escort gay, Luke, et un critique de films, Jon, tous les deux séropositifs. Araki reviendra sur la thématique en 2004 avec Mysterious Skin, qui retrace le parcours de deux garçons violés enfants, dont l'un se prostitue dès l'adolescence.

  • Basketball Diaries, de Scott Kalvert, 1995

L'Américain Jim Carroll est passé à la postérité grâce à Basketball Diaries, son journal intime, récit d'une descente aux enfers d'un ado new-yorkais très doué pour le basket et l'écriture, qu'adapte ici Scott Kalvert (mort en 2014). Après le décès d'un ami atteint de leucémie, Jim (Leonardo DiCaprio) devient accro à l'héroïne, quitte l'appartement familial et se confronte à la violence de la rue, aux luttes de bandes rivales, à la prostitution dans les toilettes publiques et à la prison. Avec sa forme relativement classique, le film touche un large public et devient culte dans les lycées américains.

  • Hustler White, de Bruce LaBruce et Rick Castro, 1996

Un bel étalon au corps musclé, joué par Tony Ward, mannequin Calvin Klein et ex de Madonna, est retrouvé mort dans un jacuzzi et revient, en voix off, nous conter sa vie d'escort sur le boulevard Santa Monica de West Hollywood. Troisième film signé par le réalisateur queer et punk de Toronto Bruce LaBruce, Hustler White s'amuse des codes du film noir américain, offrant un Boulevard du crépuscule version trash qui enchaîne les scènes de sexe plus ou moins explicites. La même année, les mêmes trottoirs de Santa Monica sont aussi le décor de Johns, réalisé par Scott Silver, un film d'escorts "de Noël", plus classique et moins marquant.

  • L.I.E. Long Island Expressway, de Michael Cuesta, 2001

Devenu depuis réalisateur de séries à succès (Six Feet Under, Dexter, Homeland…), Michael Cuesta a été révélé au Festival de Sundance en 2001 avec L.I.E. Long Island Expressway. Howie (Paul Dano), en rupture familiale, passe ses journées à traîner avec son pote Gary, un jeune prostitué. Lors d'une effraction, ils rencontrent le mystérieux "Big John" (Brian Cox), un client de Gary… Abordant à la fois la prostitution et la pédophilie, le film tisse une toile proche de celle que mettra en scène Gregg Araki dans Mysterious Skin.

  • Days, de Tsai Ming-liang, 1983

Le cinéaste taïwanais Tsai Ming-liang offre avec Days, présenté à Berlin en 2020 et récompensé du prix du jury aux Teddy Awards, une expérience sensorielle et émotionnelle. Précis et très peu dialogué, le film suit quelques moments de la vie de Kang, un homme mûr de la classe moyenne qui, malade, quitte sa maison pour suivre une séance d'acupuncture, et du jeune Non qui, dans son petit appartement, se dévoue à ses pratiques religieuses et à la préparation minutieuse d'un repas. Quand, à l'issue de sa séance de soins médicaux, Kang réserve un massage dans l'établissement qui emploie Non, les deux hommes se rencontrent enfin. Lors de ce bref échange doux et tarifé, une connexion fugitive naît entre eux.

  • Greek Pete, d'Andrew Haigh, 2009

Le docu-fiction Greek Pete suit le quotidien de Pete, jeune homme ambitieux qui débarque à Londres pour être "rent boy" (garçon à louer) et, dit-il, "faire le plus d'argent possible" pendant une année. Ce qui ne manque pas de mettre à l'épreuve son couple hétéro en raison de la jalousie de sa copine. Cette plongée crue et très documentée dans le milieu de l'escorting londonien signe les premiers pas du cinéaste britannique Andrew Haigh, à qui l'on doit, entre autres, la série Looking et le film Sans jamais nous connaître.

  • Eastern Boys, de Robin Campillo, 2014

Daniel, un quinqua solitaire, rencontre Marek, jeune escort ukrainien qui officie dans les couloirs de la gare du Nord. Mais en lieu et place du rendez-vous sexuel tarifé attendu, Daniel assiste, impuissant, à l'envahissement brutal de son appartement, cambriolé devant ses yeux. Avec Eastern Boys, le cinéaste Robin Campillo frappe fort, trois ans avant 120 battements par minute, avec un film brutal, ancré dans une réalité sociale documentée, qui joue sur les frontières subtiles entre excitation et peur, désir et abandon.

  • Brothers of the Night, de Patric Chiha, 2016

Pour son troisième film, Brothers of the Night, le réalisateur autrichien Patric Chiha a pénétré les milieux de la prostitution homosexuelle à Vienne. De bars de nuit en cinémas pornos, ce documentaire à l'esthétique léchée suit ces garçons roms ou bulgares, majoritairement hétérosexuels et "gays for pay". À leurs efforts de paraître désirables la nuit répond leur précarité pendant la journée.

  • Sauvage, de Camille Vidal-Naquet, 2018

Lorsqu'il est présenté en mai 2018 à la Semaine de la critique du Festival de Cannes, Sauvage choque, divise, éblouit et dégoûte. La force de ce premier long-métrage de Camille Vidal-Naquet, c'est de regarder la prostitution homosexuelle sans jamais détourner les yeux des violences physiques, sexuelles, morales et quotidiennes qui régissent la vie de Léo (Félix Maritaud), 22 ans, qui semble sombrer malgré la relation qu'il construit tant bien que mal avec Ahd, plus aguerri aux rouages du métier.

  • Hard Paint, de Filipe Matzembacher et Marcio Reolon, 2018

Deuxième film d'un couple de cinéastes brésiliens, Hard Paint (Tinta Bruta en version originale) dresse le portrait d'un jeune homme en proie à l'isolement. Pedro s'est fait virer de la fac à la suite d'une agression, et sa sœur quitte l'appartement qu'ils partageaient, le plongeant dans un abîme de solitude. Son refuge, c'est sa chambre dans laquelle il se livre, devant son ordinateur, à des shows exhib en tant que "camboy". Il se dénude et aguiche les voyeurs/clients en jouant avec des peintures fluos, faisant de son corps à la fois un objet de désir et une œuvre d'art. C'est via cette activité qu'il va se confronter à la rencontre amoureuse, mais aussi aux pires des dangers.

  • Baby, de Marcelo Caetano, 2025

Avec Baby, son deuxième long-métrage, réalisé plusieurs années après son Corpo Eletrico sorti en catimini, le cinéaste brésilien Marcelo Caetano raconte le nouveau départ de Wellington, un jeune homme tout juste libéré d'un centre pénitentiaire pour mineurs. Électron libre, en quête de stabilité financière, il arpente les rues de Sao Paulo, surtout l'avenue San Juan où, au détour d'un cinéma porno, il fait la connaissance de Ronaldo, un daddy musclé et poilu. Ni une ni deux, cette bombe de testostérone prend sous son aile le minet et lui apprend les rouages de la prostitution – et plus si affinités, tant ils s'embrassent, se chamaillent et se confient, alimentant des sentiments contrariés au gré de leurs mésaventures.

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  • Sebastian, de Mikko Makela, au cinéma le 9 avril

À Londres, Max, 25 ans, rédacteur sous-payé d'un média en ligne, rêve de publier son premier livre : un récit à la frontière de l'autofiction qu'il nourrit de ses expériences d'escort gay. Le jeune homme se réinvente alors sous le prénom de Sebastian, mais cette périlleuse double vie met à mal sa santé mentale. Avec son ambiance feutrée et l'interprétation pleine de nuances de son acteur principal, Ruaridh Mollica, le deuxième film du réalisateur finlandais Mikko Makela met en scène les dérives d'un jeune écrivain qui se perd au nom de l'art… ou, plutôt, de la gloire.

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Crédit photo : Hustler White Productions / Collection Christophel

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