Matthieu, un jeune étudiant, a été lui aussi meurtri par la tuerie homophobe d'Orlando. Il a envie d'hurler sa douleur.
Matthieu Demarque est un jeune étudiant lyonnais de 24 ans. Comme des milliers, voire des millions de personnes, il s'est pris en "pleine gueule" l'attentat homophobe survenu dimanche matin à Orlando et qui a empoté la vie de 49 personnes, victimes de leur orientation sexuelle. Au-delà du drame humain, c'est le silence éhonté de certains médias et politiques sur le caractère homophobe de l'attentat qui le rend malade. C'est également l'homophobie qui déferle en toute impunité qui le scandalise. Enfin, c'est aussi sa honte de ne pas avoir saisi l'importance du combat pour une plus grande acceptation des personnes LGBT qu'il cherche à dénoncer. Car, c'est un combat permanent, un combat essentiel, comme nous le rappelle cette terrible barbarie. Voici sa tribune.
Salut, c’est pas dans mes habitudes mais aujourd’hui j’ai besoin de partager.
Non c'est vrai, je ne suis pas un fervent militant de la cause LGBT, je ne défile pas sur les chars de la Gay Pride et je ne suis pas vraiment un habitué des boîtes gays, je ne me sens pas appartenir particulièrement à cette communauté. Pourtant depuis hier je me sens creux. Alors oui, je sais, des gens meurent partout, tout le temps, pour ce qu’ils sont, pour ce qu'ils représentent, pour les idées qu'ils défendent, et personne n’en parle. Oui je sais, alors pourquoi cette fois ça me fait autant mal ? C’est la question que je me pose depuis hier, et la seule réponse qui me vient c’est qu'en fait, que je le veuille ou non, je fais partie de cette putain de communauté. Je lis certains commentaires suite au massacre de ces cinquante personnes samedi soir et je les prends en pleine gueule avec une violence que je n’aurais jamais imaginé m’atteindre à ce point.
J'ai l'impression malsaine qu'on s'habitue au meurtre, qu'on fout des couleurs sur nos monuments pour faire joli, qu'on attend le nouveau dessin de Plantu, qu'on a hâte au prochain "#jesuis" pour montrer ô combien on est solidaires. D'ailleurs là pas de "#jesuisgay", ni de "#jesuispd", tu m'étonnes, ça demande un peu plus de couilles cette fois-ci. Sans compter que c'est l'Euro là, donc elles sont bien gentilles les "tarlouzes" mais faudrait pas non plus qu'elles nous niquent l'ambiance. Ces cinquante hommes et femmes, morts d’avoir lutté contre eux-mêmes, morts de s’être enfin acceptés, morts d'avoir trouvé une place dans cette communauté. Et tous les autres, marqués dans leur chair de la cruauté la plus innommable. Comment vivront-ils ? On a voulu les décimer au nom d'une idéologie folle, c'est bien d'homophobie dont il s'agit, la pire qu'il soit. Et c'est cette même homophobie que je lis ici et là sur internet depuis hier, des commentaires de haine, des sarcasmes infects, des appels au meurtre sur les réseaux sociaux, en toute impunité. L'homophobie n'est pas plus acceptable que le racisme, l'homophobie n'est pas une opinion.
Et enfin, une bonne fois pour toutes, L'HOMOSEXUALITE N'EST PAS UN CHOIX, CE N'EST PAS NON PLUS UN MODE DE VIE. Pour que ce soit bien compris, le végétarisme est un choix, habiter dans une yourte est un mode de vie. Que chacun comprenne enfin que derrière chaque gay, lesbienne, bi et transsexuel il y a un combat, derrière chaque attitude trop féminine ou trop masculine il y a une lutte que seuls ceux qui en ont fait l'expérience peuvent comprendre. Aucun hétérosexuel, même le plus emphatique, ne pourra jamais saisir la complexité, le raz-de-marée et le courage que cela représente. Moi aussi j’ai lutté, j’ai cru mourir de ne jamais pouvoir assumer, moi aussi je suis de cette "sale race de merde inconcevable" comme j'ai pu le lire, moi aussi j'"impose au monde entier [ma] perversion", moi non plus je "ne mérite pas de vivre". Moi aussi, je suis de cette communauté.
Mais aujourd’hui, je me sens indigne d’en faire partie. Indigne car pas assez reconnaissant de ceux et celles qui se sont battus pour que je puisse m’accepter, indigne des émeutiers de Stonewall qui n’avaient pour certains que leurs talons aiguilles pour riposter face aux flics armés il y a presque 50 ans, indigne d’Harvey Milk, abattu pour sa ténacité et ses valeurs, indigne des dizaines de milliers, pointés du doigt par la société, ravagés par le sida et morts en pestiférés, indigne de ceux-là qui se cachent encore, des ados qu'on jette à la rue, qu’on harcèle chaque jour, indigne de tous les internés, les emprisonnés, les mutilés, les exécutés, les suicidés. Indigne car j’aspire à la normalité, car satisfait de ma discrétion, car fier que ce ne soit pas écrit sur ma gueule, indigne car moi aussi il m’arrive d'avoir un regard moqueur envers l’excentrique, le flamboyant, la folle.
Indigne !
Aujourd’hui, je suis vide, j’ai mal, et je n’arrive pas à transformer cette douleur en colère car j’ai honte. Honte de moi, honte d’avoir rejeté, ne serait-ce qu’un peu, une communauté à laquelle j’appartiens de fait. J’ai honte de ne pas être particulièrement fier d’être pédé, mais demain j'aspire à le devenir, et je serai humble d’être de ceux tombés sous les balles de la haine, de l’obscurantisme et de l'homophobie la plus abjecte. Demain je serai fier d’être de cette "sale race de merde". Je ne sais pas s'il y a un paradis pour les gays, lesbiennes, bi, et trans de ce monde, mais je sais qu’il y a un enfer sur terre pour certains d'entre eux. A ceux-là, je demande pardon d’avoir tout considéré comme acquis, car rien ne l’est, c’est une lutte, une guerre des idées.
Ça ne fait que 26 ans que l’Organisation Mondiale de la Santé considère que je ne suis pas malade mental, ça ne fait que 3 ans que je peux me marier et adopter, et j’ai la chance de ne pas être né dans l’un des dix pays où l’homosexualité est passible de peine de mort, ou de la cinquantaine d’autres où elle est sévèrement réprimée. Ces cinquante hommes et femmes, eux aussi avaient cette chance et c’est justement pour ça qu’on les a lâchement assassinés. C'est aux ignares, aux extrémistes, aux intégristes, aux beaufs du vendredi soir, aux fachos ordinaires et à l'ensemble de la société de s'adapter à nous, pas l'inverse. Samedi dernier je ne suis pas mort sous les tirs d'un fou, alors samedi prochain j'irai danser, draguer et baiser en leur mémoire.
Qu’ils reposent en paix !