PORTRAIT. Alexia Cérénys est la première - et toujours la seule - joueuse de rugby transgenre en première division en France (Elite 1). Elle a été sélectionnée par le club de Lons. Pourtant, Alexia pensait ne plus jamais pratiquer son sport après sa transition. Pour TÊTU, elle accepte de revenir sur son parcours incroyable.
Il aura fallu converser avec Alexia Cérénys pendant plusieurs jours. Décaler les rendez-vous téléphoniques à plusieurs reprises. Entre les « dépannages de dernière minute » pour les copines du rugby, les entraînements le mardi, le mercredi et le vendredi soir et les séances de renforcement musculaire à la salle de sport, cette technicienne chauffagiste n'a pas beaucoup de temps. Et vit à mille à l'heure. Mais les violons ont fini par s'accorder. « C'est la première fois que j'ai un trou d'une heure en journée. J'ai réussi à réparer une chaudière en bois en deux heures au lieu de quatre ce matin, c'est pour ça ! », lance-t-elle, dans un rire. Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'entretien a été saupoudré de franches rigolades.
Née en 1986, Alexia Cerenys vit son rêve d'adolescente. Jouer au rugby avec les professionnelles. Depuis septembre 2018, elle évolue en première division au sein du club de Lons, dans les Pyrénées-Atlantiques, un département historiquement relié à ce sport. Mais tout n'a pas toujours été aussi facile. Avant le rugby, l'athlète a préféré le football. « Quand on joue au rugby, je dois dire qu'on traîne ça comme un boulet », confie-t-elle. Le foot a fini par fortement lui déplaire, la mentalité des joueurs ne lui correspondait pas. « C'est de l'individualisme, du chacun pour soi dans une équipe », tranche-t-elle.
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Du football au rugby
Elle découvre le rugby à l'âge de 14 ans, poussée par ses camarades de collège, de véritables aficionados de ce sport. Elle commence dans l'équipe de Mont-de-Marsan, dans les Landes, avec les cadets. C'est la révélation, à la fois pour la pratique sportive, le côté « sport de combat », et pour les valeurs que véhicule ce sport – « la solidarité, l'entraide et l'amitié ». En plus de tout, Alexia dispose d'un très bon gabarit, elle est grande et surtout, elle est très rapide sur le gazon. Elle jouera jusqu'à la fin de ses études de mécanique automobile en 2008, et alternera entre les clubs de Périgueux et de Mont-de-Marsan.
« Les blessures sont le reflet du fait que j'étais totalement perturbée »
En 2008, sa carrière bascule. Alexia enchaîne les blessures sur le terrain, d'abord au genou droit, ce qui lui vaut une grosse opération, puis à la cheville gauche. La blessure de trop. La joueuse décide d'arrêter sa carrière. Elle est alors âgée de 22 ans. Sur le moment, elle ne comprend pas vraiment ce qui lui arrive. Mais avec le recul, Alexia réalise que ses blessures ne sont pas anodines. « Les blessures sont le reflet du fait que j'étais totalement perturbée. Je ne savais plus qui j’étais, qui je voulais être, comment je voulais vivre. C’était le bazar dans ma tête », confie-t-elle.
« Papa, maman, je suis une femme »
D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle s'est toujours considérée comme une femme. « À l'âge de 7 ans, je voulais m'habiller comme une fille, je ne comprenais pas pourquoi je devais avoir l'apparence d'un garçon. » Dans sa chambre, elle écoute les Spice Girls, Céline Dion et Atomic Kitten. « Je me projetais totalement en elles et je rêvais d’être habillée, maquillée comme elles. » Une fois hors de sa chambre, Alexia joue au petit garçon. Mais au fil du temps, elle enfouit la femme qui est en elle et ira même jusqu'à « l'enterrer » pendant de nombreuses années.
« La période d'entre-deux n'est pas facile, surtout quand on mesure 1m78 et qu'on pèse 98 kilos. »
Terminé, le rugby. Terminée aussi, l'histoire d'amour qu'elle vivait avec une fille. Un chagrin d'amour nécessaire, un électrochoc, qui lui permet de « se recentrer ». « L'introspection » se fait progressivement, jusqu'à ce jour de février 2010, où elle décide de confier son secret à sa meilleure amie. Grâce à elle, Alexia n'a plus peur de le dire.
Son coming-out auprès de sa bande d'amis se fera sans encombres. « J'avais la trouille. Mais leur réaction a été superbe, ils en avaient rien à faire ! J'étais vraiment surprise. » S'ensuit le coming-out à la famille, le 1er janvier 2011 : « J'ai dit bonne année à ma famille et puis j'ai dit à mes parents : papa, maman, je suis une femme. » La pilule mettra quatre mois à être digérée par sa famille, ce qui passera par plusieurs stades : l'incompréhension, la colère et la culpabilité. Trois mois plus tard, Alexia se rend à sa première consultation chez le psychologue et démarre officiellement son traitement hormonal.
Difficile transition
La transition a été un véritable « chemin de croix » pour Alexia. Une période qu'elle qualifie « d'extrêmement difficile ». Elle sortait beaucoup moins de chez elle, car « la période d'entre-deux n'est pas facile, surtout quand on mesure 1m78 et qu'on pèse 98 kilos ». Mais le pire, c'est qu'elle pense sincèrement ne jamais reprendre le rugby.
« Je me disais que je m'étais donnée corps et âme pour ce sport dans le seul but de ne pas penser à ma transidentité. Mais je me suis rendue compte que j'avais tort », explique-t-elle. Entre les matchs du Top 14 qu'elle regarde à la télévision, les scores du club de Mont-de-Marsan, qu'elle scrute à la loupe, et la coupe du monde qui la passionne, l'ex-joueuse n'a pas mis bien longtemps pour comprendre qu'elle est complètement « accro ».
Elle décide tout naturellement de chausser les crampons à nouveau, forte de sa nouvelle identité, et prend sa licence à Mont-de-Marsan en septembre 2016. « Le jour où je suis allée au stade montois, j'ai reconnu la secrétaire. Elle s'est également rappelée de moi, n'a fait aucune remarque, a été complètement naturelle, comme si de rien n'était. C'était incroyable », se rappelle-t-elle dans un élan de joie.
Conte de fées
Elle fera deux saisons avec le club en troisième division. Avant d'être repérée par le club de Lons en septembre dernier, pour jouer en première division. « Tu ne peux pas faire mieux, à moins d'aller dans l'équipe de France ! », balance-t-elle dans un rire. L'entraîneur du club ne l'a jamais observée jouer. Mais il a entendu parler d'elle « avant » et est persuadé qu'elle sera « un très bon élément pour l'équipe ».
Le jour de son arrivée dans l'équipe féminine, Alexia a la boule au ventre. Boute-en-train de nature, elle décide de parler de sa transition à ses coéquipières avec humour. « Je leur ai dit de but en blanc : comme j’ai raté ma carrière chez les hommes, je me suis dit qu'il fallait que je devienne une fille pour tenter chez vous. Comme ça, je pourrai enfin jouer à haut niveau ! »
« S'il y a le moindre mot de travers de la part d'une équipe adverse, mes coéquipières seront toutes derrière moi. »
Dans l'assemblée, les sourires se dessinent sur les visages. Certaines éclatent de rire. À la fin de son discours, les filles sont unanimes. « Elles m'ont dit de ne surtout pas m'inquiéter. S'il y a le moindre mot de travers de la part d'une équipe adverse, elles seront toutes derrière moi. Elles me soutiendront », assure Alexia, émue.
Un cadeau de bienvenue pour la nouvelle recrue. Un cadeau de ceux qui réchauffent le coeur, qui donnent de l'espoir, qui font dire que l'avenir sera meilleur. Alexia est absolument convaincue que les mentalités évoluent, puisque de son expérience, « les gens sont totalement ouverts ». De chemin de croix, elle confie désormais comparer sa transition à « un conte de fées ».
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Crédit photo : Alexia Cerenys