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musiqueRencontre avec Billie Eilish : "Je ne veux pas être une princesse. Je veux être LE roi !"

Par Alexis Patri le 29/03/2019
Billie Eilish

[PREMIUM] Star d'une génération qui balaie les codes genrés, Billie Eilish publie un premier album sombre et incandescent, "WHEN WE ALL FALL ASLEEP, WHERE DO WE GO". Avec elle, nous avons discuté des garçons qui jouent les gros durs, de celui dont elle aurait préféré qu'il soit gay, du rôle de son grand frère Finneas dans sa carrière (elle a 17 ans, lui 21) et de Frank Ocean. Interview.

Princesse dark et star des adolescents queer aux Etats-Unis, Billie Eilish rafle les coeurs d'une partie de la jeune génération française. En témoigne son concert messiaque en février à la Cigale, où elle a enflammé un public adolescent acquis à sa cause. Des jeunes qui la découvrent fin 2017, alors qu'elle a seulement 15 ans, avec son premier titre : "i wish you were gay" ("je voudrais que tu sois gay"), publié sur internet.

Son duo avec Khalid, "Lovely", intègre la même année la bande son de la série "13 Reasons Why", appuyant son statut de star générationnelle. En juillet 2018, elle sort "Ocean Eyes", son premier single officiel. En à peine un mois, le titre totalise près de 87 millions d'écoutes.

Après plusieurs EP et singles, Billie Eilish publie vendredi 29 mars son premier album. Energique et sombre, "WHEN WE ALL FALL ASLEEP, WHERE DO WE GO" est une fusion aboutie des influences multiples d'une génération baignée dans la dance, le rap et le r'n'b, mais qui regarde aussi dans le rétroviseur le pop-punk des années 2000 et fait appel à Tagashi Murakami pour réaliser son dernier clip. Rencontre avec une artiste qui cache sa volonté de dévorer le monde derrière une moue boudeuse et des rires enfantins.

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Avec "WHEN WE ALL FALL ASLEEP, WHERE DO WE GO" et tes derniers clips, ton univers musical prend un tournant beaucoup plus sombre, inspiré du gore et des films d'horreur. Tu dis en interview qu'il est difficile d'être heureux.se dans le milieu de la musique. Tes fans doivent s'inquiéter ?

(Elle éclate de rire) Je vais bien ! Sérieusement, ce milieu est dingue. Dans le bon et le mauvais sens du terme. Mais je suis très bien entourée. Les gens avec qui je travaille font en sorte que je donne le meilleur, sans dépasser mes limites physiques. Dans ce métier, l'entourage c’est le plus important.

 

"Ceux qui disent sans arrêt 'moi je suis un mec fort' sont tellement ridicules."

 

En découvrant tes tous premiers titres, on ne s'attendait pas forcément à ce que ton univers musical prenne cette trajectoire. Qui sont les artistes qui t'inspirent ?

En ce moment, j’écoute vraiment beaucoup de rock. Je suis dans une phase où je passe en boucle Cage The Elephant, Green Day, Avril Lavigne, My Chemical Romance... Mais, dans ma playlist, tu vas trouver des styles musicaux très différents : de l’alternative, du rap, du screamo. Et aussi des artistes comme Frank Sinatra ! J’adore profondément la musique de manière générale, donc j'apprécie cette diversité.

Ton titre « bad guys » semble moquer les mecs qui jouent en permanence les gros durs. Tu avais quelqu'un en tête en l'écrivant ?

C’est bien possible, oui... (rires) Je ne peux évidement pas dire son nom… Mais j’en ai tellement envie ! J'avais un garçon bien précis en tête quand j'ai commencé à écrire le texte. Même si, au final, chaque couplet est plus ou moins inspiré d’une personne différente. Donc oui : la chanson parle exactement de ce type de gars qui te disent sans arrêt « moi, je suis un mec fort, un gros dur ». C'est tellement ridicule. Intérieurement, tu as juste envie d'exploser de rire !

Billie Eilish

 

"J’ai dit 'je t’aime' pour la première fois il y a quelques mois, et c’est quelque chose de terrifiant. Quand ces mots sont dits, c’est irréversible."

 

Parlons un peu de "i wish you were gay". Ta première version, guitare-voix, sonnait comme un écho aux "I'll kill her" et "First Love Never Die" de Soko. Elle fait partie de tes influences ? 

Soko ? Qui est-ce ? Non, c'est un pur hasard car je n’en ai sincèrement jamais entendu parler ! J’aime beaucoup "i wish you were gay". C'est un titre un peu maladroit et très candide. Il raconte l'obsession que j'ai eue pour un garçon qui ne voulait pas de moi. A l'époque, je ne voyais aucune raison à cela, à moins qu'il soit gay. J'étais tellement folle de lui que ça aurait été le seul motif de refus valable à mes yeux (rires). Heureusement que je vis mes coups de coeur plus calmement depuis ! J’ai écrit le premier couplet pendant l'été 2017, mais je n’arrivais pas à avancer. Mon frère Finneas m’a permis de trouver exactement les bons mots pour exprimer ce que je ressentais. Après cette première version guitare-voix dont tu parles, cela nous a pris beaucoup de temps pour trouver de nouveaux arrangements. Pour l'album, nous voulions faire quelque chose de différent, tout en conservant l'esprit de la première version. J’étais assise dans cette toute petite chambre d’hôtel. D'un coup, Finneas a passé un beat et j'ai dit « C’est celui-ci ! C'est avec ça que l’on doit arranger ce titre ».

Ton frère Finneas fait tes premières parties et vous avez co-produit ton album ensemble. Quelle place a-t-il dans le travail d'écriture de tes chansons ?

Entre Finneas et moi, j'ai l'impression que c’est vraiment du 50-50. Sur certains titres, j'ai écrit le texte et la musique et lui a aidé à la production. Sur d’autres chansons, c’est exactement l’inverse. Mais, la plupart du temps, on fait un peu tout ensemble. C'est très agréable parce qu'on se fait totalement confiance dans le travail. Ce qui facilite beaucoup les choses.

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Billie Eilish

Tu évoques ton rapport à l'amour dans « i love u but i don’t want to ». Est-ce possible d'entretenir une relation amoureuse quand on est l'adolescente que tout le monde s'arrache ?

Bien sûr ! C'est possible : je l’ai fait avant, et c’est ma vie en ce moment-même. Mais il est vrai que ce gros bazar qui t’entoure quand tu es célèbre rend forcément les choses plus difficiles. Partir pour des mois en tournée par exemple, ce n’est pas facile à vivre pour un couple. J’ai écrit « i love u but i don’t want to » parce que je suis, depuis un an, dans une période de ma vie où je ressens des choses nouvelles. J’ai dit « je t’aime » pour la première fois il y a quelques mois, et c’est quelque chose de terrifiant ! Surtout quand cet amour est mutuel : ça devient quelque chose d’énorme, de sérieux. Quand ces mots sont dits, c’est irréversible.

 

"Parler des filles en tant que 'roi', c’est une façon plus puissante de s’affirmer."

 

Après ton duo avec Khalid, avec qui aimerais-tu signer un titre ?

Franck Ocean. Sans hésiter. Même si je sais que tout le monde veut travailler avec lui en ce moment.

Billie Eilish

Tout le monde te voit maintenant "avec une couronne sur la tête", comme tu le chantes. Comment tu vis cet engouement quasi-général ?

J’ai lu qu'on me surnommait « reine » et « princesse », tout ça. Mais je veux être le putain de roi, pas une princesse, ni même une reine, bitch ! Parler des filles en tant que 'roi', c’est une façon plus puissante de s’affirmer. Je veux être un exemple pour les gens de mon âge. Montrer, même si ça sonne cliché, que tu peux être qui tu veux et faire ce que tu veux ! Peu importe ce que les gens attendent de toi, ce qui est important c’est ce qui te rendra heureux.

Tous les articles à ton sujet mentionnent ton âge. Tu comprends que les journalistes en parlent systématiquement ?

Au début, ça m’énervait. Je ne comprenais pas que ça puisse obséder les autres. Mais, plus je grandis, et plus j'apprécie que les journalistes le précisent. Je ne serai bientôt plus une ado. Alors que je vais être une adulte pendant si longtemps ! Ça me plaît d’être adolescente. L'autre jour, j'ai vu un pianiste de 15 ans à la télévision et ma première réaction a été "qu'est-ce qu'il est jeune !", alors que j'ai commencé au même âge.

Ton album, le dernier d'Ariana Grande et le dernier single de Lana Del Rey ont un point commun : les titres sont tous écrits sans aucune majuscule. C'est un nouveau tic de la pop ?

Sûrement. J’ai commencé à écrire comme ça il y a deux ans. Sur mon téléphone, je n’ai pas de correcteur automatique, je n’utilise jamais les majuscules, etc. Quand j’envoie un texto, c’est tout en minuscules ou tout en majuscules. Jamais entre les deux. Et comme je note mes idées sur mon téléphone, ma track-list sort comme ça.

Billie Eilish

Crédits photos : Polydor.

https://tetu.com/2019/03/05/avec-son-nouveau-single-billie-eilish-finance-la-lutte-contre-le-suicide-des-jeunes-lgbt/