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Donald TrumpEXCLUSIF. Les premiers extraits inédits de "Roy Cohn, l'avocat du diable" : l'histoire du mentor gay de Donald Trump

Par Guillaume Perilhou le 05/09/2020
Roy Cohn

Philippe Corbé, correspondant de RTL aux États-Unis, consacre son dernier livre à Roy Cohn, l'avocat homosexuel qui a "tout appris à Donald Trump". En voici des extraits choisis, en exclusivité pour TÊTU. 

On se souvient du dernier livre de Philippe Corbé, J'irai danser à Orlando, roman sensible sur la fusillade du Pulse, un club gay de Floride, le 12 juin 2016. Le correspondant de RTL aux Etats-Unis dresse cette fois le portrait de Roy Cohn, avocat qui organisa pour le président McCarthy la chasse aux homosexuels, avant d'amener ses amants dans les mondanités new-yorkaises. C'est à New-York aussi qu'il rencontrera Donald Trump, futur président des Etats-Unis. Et sans cette personnalité atypique, le locataire de la Maison Blanche ne serait probablement pas devenu le businessman - ni le chef d'Etat - qu'il est aujourd'hui.

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Dans "Roy Cohn, l’avocat du diable" (Grasset), à paraitre le 9 septembre en librairie, il développe l'histoire singulière de cet homme de droit redoutable, "cruel" et "retord" et développe la relation étonnante qu'il a entretenu avec le successeur de Barack Obama, qui dira de lui "Roy est mon meilleur ami". Et livre, en exclusivité aux lecteurs de TÊTU, des extraits qui en disent long.

"Un homosexuel dans le placard"

« Roy Cohn, le camarade de soirées d’Andy Warhol et d’Estée Lauder, l’avocat de l’archevêché de New York comme des grandes familles de la mafia, d’Aristote Onassis, de Bianca Jagger et de la discothèque Studio 54 où il passe ses nuits, n’a pas un dollar sur ses comptes, ne paie ni ses factures ni ses impôts, mais roule en Rolls. C’est un homosexuel dans le placard et un Juif qui a honte d’être juif. Il est devenu après sa mort un personnage du chef-d’oeuvre de théâtre Angels in America, où il est qualifié d’ « étoile polaire du mal humain ». C’est ce maître en cynisme, en manipulations et en coups bas qui a pris sous son aile maléfique le jeune Trump. »

"Leur mariage n'est qu'un pacte"

« La première fois qu’il jouit dans sa main, Cohn s’empresse d’aller prévenir sa mère. Il croit que l’inattendu foutre chaud est le symptôme d’une maladie mortelle. Il le saurait s’il partageait les fantasmes vantards des gamins de son âge. Ce n’est pas avec son veston et sa cravate qu’il ira traîner près de chez lui dans les rues du Bronx, non loin du Yankee Stadium, avec les gosses qui se prennent pour la nouvelle gloire du baseball Joe DiMaggio. Les caïds de préaux qui moquent sa balafre et ses manières délicates. ll ne joue pas avec eux. Il va à l’école Horace Mann avec les autres enfants de familles riches. Il est tout de même le fils du juge Cohn et d’une mère qui cache sa fortune familiale pour ne pas attirer les jalousies de la Grande Dépression. Elle l’appelle darling. Elle le gave tant de sucreries qu’un petit cousin pourtant gras nage dans les vestes usées par l’enfant chéri, court sur pattes mais dodu. Elle protège sa chose précieuse sous une bulle. Ce fils arrivé tard, en 1927, elle avait trente-cinq ans, dans un accouchement si douloureux qu’il fallut lui injecter de l’air dans le tube vaginal. Cohn plaisantera toute sa vie que ses parents n’ont couché ensemble qu’une seule fois. Ils ne partagent que leur haine. Leur mariage n’est qu’un pacte. »

"Il faudra désormais compter avec lui, le petit Juif né dans le Bronx"

« McCarthy définit dans un discours son projet politique de combat : le maccarthysme, c’est l’américanisme avec les manches relevées. Il a besoin d’un avocat en chef, un bras droit hargneux pour mener les investigations de la commission du Sénat dont il vient de prendre la présidence. Malgré sa notoriété du procès Rosenberg, le choix de Cohn étonne alors le journaliste Fred Cook : « Nommé avocat en chef par McCarthy alors qu’il n’avait pas vingt-six ans, Roy Cohn était comme un derviche tourbillonnant, avide de frapper dans toutes les directions les ennemis de la république, réels ou supposés (...) L’union de McCarthy et Cohn était le partenariat de deux âmes sœurs, chacune alimentant les excès de l’autre. Cohn est si fier d’avoir été choisi par l’homme le plus controversé de Washington qu’il organise une soirée pour que nul n’ignore dans la capitale fédérale qu’il faudra désormais compter avec lui, le petit Juif né dans le Bronx. Même le vice-président Nixon passe le saluer. Hoover lui a parlé de ce Cohn avant même l’élection. Il est l’un des nôtres. »

"Lorsque le grand pot de vaseline roule jusqu’aux pieds de la mariée, Cohn lève les yeux vers le ciel"

« Lorsque le grand pot de vaseline roule jusqu’aux pieds de la mariée, Cohn lève les yeux vers le ciel, l’air ailleurs. Il est tombé du sac de papier kraft où il range son nécessaire nocturne. Celui qui le ramasse par courtoisie ignore que le lubrifiant est ainsi vendu en taille industrielle, et constate qu’il n’en reste que quelques gouttes. Cohn vient de descendre par l’ascenseur avec son amant de la nuit dans une suite du Caesar’s Palace de Las Vegas où il assiste aux noces de Georgette et George Barrie, le patron de Fabergé, qui s’est considérablement enrichi en lançant le parfum Brut. Les mâles croient que le musc masque leurs doutes sur leur virilité. » 

"Roy est mon meilleur ami"

« Cohn reçoit une journaliste de NBC, devant son piano, en costume gris, pochette et cravate bordeaux. Il prend sur ses genoux un cadre plus large que lui. Il en caresse le rebord. « Laissez-moi vous dire quelque chose. Ceci est une photo de Donald et moi. » Ils sont en smoking. Trump le tient par l’épaule. « Il me dit, Roy est mon meilleur ami. » Il lit la lettre de remerciements également encadrée. L’ensemble est accroché dans son bureau près des por- traits de McCarthy, Hoover, Nixon. « Donald Trump est probablement l’un des noms les plus importants d’Amérique aujourd’hui. Ce qui a commencé comme un météore montant de New York et allant toujours plus haut va toucher le reste de ce pays et certaines parties du monde. Donald veut juste être le plus grand gagnant de tous. Il est la personne la plus proche d’un génie que j’ai jamais rencontrée dans ma vie. » »

"Il n'aura jamais quarante ans"

« Il peut regarder la mort dans les yeux avant qu’elle ne le dévore, et il la trouve bien arrogante. C’est le début de l’automne 1984 à Provincetown, au bout de la presqu’île de Cape Cod, comme un long cil sur l’Atlantique au bout du Massachusetts. Les homosexuels qui se réfugient ici vont rendre la location de leurs villas qui ont abrité leurs passions d’un été ou d’une nuit. Dans quelques jours, il n’y aura plus personne pour entonner avec Cohn le I am what I am de La Cage aux folles au piano près de la fenêtre du Crown and Anchor, sur la rue principale. Depuis que la pièce française a été adaptée en comédie musicale à Broadway, il la fredonne sans cesse. Il croit être un Georges. Il n’a pas l’audace d’être un Albin. Alors il faut chanter, danser, et vivre encore un peu. Il sait bien que Russell n’a pas la force. Rabougri dans un fauteuil sur la terrasse de la maison voisine de celle de Norman Mailer, emmailloté dans des serviettes, il est si faible, si maigre, qu’il semble que la brise du soir pourrait l’emporter. Il la respire comme on finit par principe les dernières gouttes d’un verre de champagne. Le goût s’est émoussé, mais elles maintiennent l’illusion, un instant, que tout n’est pas terminé. Il n’aura jamais quarante ans. »

Ultime conversation

« Trump se décide à lui dire adieu, se dit Cohn en recevant une invitation à dîner à Mar-a-Lago à la fin de la saison d’hiver. Enfin, il a compris. Enfin, il regrette de l’avoir lâché quand il a appris qu’il a le sida. Enfin, il sera là pour lui. On n’abandonne pas les siens. La loyauté, disent ses clients de la mafia. Enfin. Un dîner en son honneur, pour se racheter, dans cette villa grandiose près de Palm Beach, qu’il vient d’acquérir en appliquant les méthodes qu’il lui avait enseignées. Faute de pouvoir s’offrir ce palais, il a acheté le terrain adjacent à celui du patron de la chaîne de poulet frit KFC, et menacé de construire un grand immeuble qui obstruerait la vue. Le prix de vente s’est effondré, et Trump s’est payé Mar-a-Lago, cinquante-huit chambres à coucher, trente-trois salles de bains avec accessoires en plaqué or, un salon de cinq cents mètres carrés avec des plafonds de treize mètres, et partout, sur les trente-trois mille mètres carrés, des feuilles d’or, des carreaux espagnols, du marbre italien et des soieries vénitiennes. Cohn imagine déjà le dîner intime sur la terrasse, une ultime conversation, peut-être même sincère, pour une fois, sans le pouvoir, sans l’argent. Juste pour parler d’eux. De ce qui les unit depuis treize ans. Que de chemin parcouru, depuis que le fils d’un promoteur immobilier du Queens l’a abordé au culot une nuit à sa table pour lui demander conseil. Cohn est fier. C’est lui, en plus présentable. Son ami S. I. Newhouse lui a signé le contrat d’édition. Donald a trouvé un auteur qui le suit, prend des notes, et a déjà l’idée d’un titre. L’Art du deal. Comme L’Art de la guerre de Sun Tzu. Brillant. Tout se deale, tout s’échange. Le bien et le mal, tout se négocie. Il ne sera plus là pour le guider, pour le défendre, pour lui présenter ceux qui pourront lui être utile et écraser tous les autres, mais s’il continue à suivre la voie qu’il a tracée, tout sera possible. Il va lui dire merci, et adieu. En arrivant dans la villa, Cohn découvre qu’il n’est que l’un des convives dans un banquet d’une trentaine de personnes sous l’immense candélabre. Certains d’entre eux, comme le patron de Chrysler Lee Iacocca, sont des amis que Cohn lui a présentés. Avant le dessert glacé aux amandes, Donald se lève pour porter un toast à Cohn. « Je voudrais remercier Roy », dit Trump, avant de vanter sa réussite, le Commodore Hotel, la Trump Tower, aujourd’hui Mar-a-Lago. C’est sa manière de lui dire au revoir, en parlant de lui. »