Environ 30% des LGBT+ américains auraient voté pour Donald Trump selon un sondage. Pour TÊTU, Sylvie Tissot, professeure de science politique à l'université Paris VIII, décrypte ces résultats .
Les chiffres peuvent parfois être parlants. C'est pour cela, sans doute, que le New-York Times a réalisé à la sortie des urnes un sondage, permettant d'évaluer qui a voté quoi aux Etats-Unis, selon son âge, son origine ethnique, son niveau d'éducation ou son orientation sexuelle. Parmi les plus de 15.000 personnes interrogées, environ 7% se sont déclarées LGBT. Et 61% d'entre elles ont voté pour Joe Biden. 28% (tout de même), auraient glissé dans l'urne un bulletin pour Donald Trump. Sylvie Tissot, professeure de science politique à l’université Paris VIII, nous aide à comprendre ces chiffres.
TÊTU : Est-ce que les résultats de ce sondage vous surprennent ?
Sylvie Tissot : Ce n’est pas surprenant que la communauté LGBT vote pour Joe Biden car la majeure partie s’identifie ou souscrit aux idées du parti démocrate mais il y a des biais. Nous savons en effet que les personnes qui s’identifient en tant que personnes LGBT sont issues de catégories socio-professionnelles supérieures. Il y a donc une surreprésentation des CSP+ chez les sondés, une donnée qui peut biaiser les échantillons pour les résultats. Par conséquent, il faut être prudent avec ce type d’enquête mais ce qui en ressort n’est pas farfelu. Il faut simplement prendre en compte le fait que les personnes disposant d’un capital économique et culturel plus important sont enclin à s’identifier plus facilement et à mieux résister aux discriminations qu’ils peuvent subir.
Il ne faut pas oublier que les identités sont multiples, on n’est jamais uniquement gay, lesbienne ou autre. On est aussi d’un certain niveau socioéconomique, d’une certaine couleur et tout ça se croise, appartenir à la communauté LGBT n'est pas le seul déterminant. D’autant que les rapports de classe, de genre et de race sont, surtout pour les deux derniers, extrêmement déterminants dans le vote Trumpiste. Celui-ci est un vote de blanc et de revanche à l’égard de la présidence Obama et certaines personnes s’identifiant en tant que LGBT+ y sont sensibles. Ils ne vont pas alors voter en tant que gay ou lesbienne mais en tant que blanc ou riche par exemple.
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La communauté LGBT aux Etats-Unis vote-t-elle historiquement pour les démocrates ?
C’est compliqué, déjà parce qu’il est difficile de parler d’une communauté. Il existe à l’intérieur même de celle-ci de nombreux clivages de classe, de race et de genre. On peut supposer que la condition minoritaire de la communauté porte d’avantage vers le vote démocrate. Toutefois l’histoire du parti avec la communauté LGBT est complexe. Certes, cela fait un bout de temps que des personnalités démocrates ont fait leur coming-out, ce qui comparé à la France constitue un phénomène précoce. Mais il n’en reste pas moins que Bill Clinton, alors président des Etats-Unis, était très hostile à la reconnaissance du mariage pour les personnes de même sexe.
C’est même lui qui a fait passer le Defense of Marriage Act (publié en 1996, il définit le mariage au niveau fédéral comme l’union d’un homme et d’une femme et autorise les états à refuser de reconnaitre le mariage de personnes de même sexe accordés en vertu des lois d’autres états. Il a été jugé en parti inconstitutionnel par la Cour Suprême). L’intégration des questions LGBT et la défense de leurs droits par les démocrates est donc relativement récente puisque le parti s’est saisi de ces questions pendant les années 2000. En réalité, c’est Obama qui a annoncé son soutien au mariage de personnes de même sexe. Donc il n’existe pas une affinité naturelle entre la communauté LGBT et le parti démocrate.
Pourquoi le camp Trump a multiplié les appels du pied à l’égard de cette communauté ?
Beaucoup d’enseignements peuvent être tirés des années Trump. Le président américain s’est montré très hostile envers les personnes trans pendant son mandat. Mais durant la campagne, la communauté LGBT n’a pas été un ennemi désigné de façon récurrente et violente, comme ce fut le cas pour les musulmans et les migrants. On peut également noter qu’un des chevaux de bataille du président américain, qui lui assure par ailleurs le soutien de la droite fondamentaliste, c’est l’avortement. La question du mariage des personnes de même sexe était très structurante pour cette droite dans les années 90. Mais c'est moins le cas aujourd’hui ce qui explique que le camp Trump a multiplié les appels du pied à l’égard de la communauté LGBT.
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Enfin, ce qui a accompagné Trump et qu’il a apporté pendant ces années, c’est une affirmation d’une masculinité très agressive, empreinte d’un esprit de conquête et susceptible de repousser pas mal de gens au sein de la communauté LGBT. C’est en tout cas ce qui explique qu’ils ne se précipitent pas pour voter pour lui et particulièrement chez les femmes. Il serait intéressant d’avoir les sondages à cet égard pour juger les effets de cette masculinité. Mais nous n'y sommes pas encore.