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témoignagesBonheur, vie de couple et peur du jugement : les parents de même sexe face à l'arrivée d'un enfant

Par Stéphanie Gatignol le 18/11/2020
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Aussi désirée soit-elle, l’arrivée d’un nouveau-né rebat les cartes au sein d’un foyer. Des homoparents racontent la façon dont ils ont traversé cette période où tous les sentiments s’expriment en mode XXL.

« J’ai des cernes jusqu’aux chaussettes ! ». Depuis Toulon où il vit, Jean-Yves nous répond en riant quand nous sondons son état de forme. Avec deux petits gars de 17 et 3 mois, ses journées (et ses nuits) sont plus que sportives… Ce jour-là, pour la première fois, Théo et Noah sont tous les deux à la crèche, offrant à ce « jeune père » de 51 ans, sa première respiration depuis la naissance du bambin.

Sa gaieté en témoigne : Jean-Yves est crevé, mais heureux de l’harmonie créée avec son mari Gabriel, 37 ans. « Nos gamins sont chouettes, marrants, cools », se réjouit-il. Pour autant, il refuse d’idéaliser la parentalité et ironise sur ces mises en scène de bonheurs parfaits qui s’affichent sur Instagram : « Si tu t’attends à vivre dans La Petite Maison dans la Prairie, à ce que tout se fasse tout seul et à ce que ce soit la même chose qu’avant, tu te trompes. » 

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Laisser de la place à l'autre

Entre papas-mamans aux anges et mômes modèles, les clichés véhiculés sur les réseaux sociaux méritent une légère retouche. L’arrivée d’un bébé fait entrer le couple dans une zone de turbulences où les grands bonheurs le disputent aux grosses tempêtes. Un maelström d’émotions où les pleurs désarmants font oublier les risettes craquantes (et inversement), où chacun va devoir se repositionner chahuté par la fatigue ou les hormones, le manque de temps pour soi, les doutes, les angoisses - voire la nostalgie d’un paradis perdu - et la culpabilité qui leur fait escorte.

Ces enjeux, tous les parents ne les ont pas intégrés lorsque se produit l’heureux évènement. Mariée à Aude, Constance en sait quelque chose. Avant d’accoucher de leur fille de huit ans, elle avait réfléchi aux moyens d’établir une relation à trois la plus équilibrée possible. Mais l’amour « viscéral, animal » qu’elle éprouve le jour J devient si fusionnel qu’elle ne conçoit même plus d’y intégrer sa conjointe. « J’ai éprouvé des difficultés à laisser de la place ; Aude à prendre la sienne. Je n’avais pas suffisamment de hauteur pour comprendre que j’avais clairement besoin d’aide, comme toutes les jeunes mamansNous avions voulu Juliette et, en dehors de sa nounou, je m’interdisais de la faire garder pour prendre du temps pour nous. » 

Du "baby blues" au "baby clash"

Avec le recul, Constance ne parle pas de souffrance, mais de désarroi quand elle évoque cette période critique. Les raisons de sa perte de repères ? « Nous, les couples qui avons suivi tout un processus pour avoir un enfant, avons tendance à penser que les choses vont s’aplanir une fois passés la grossesse et l’accouchement. Le combat nous semble avoir été mené avant et nous ne nous projetons pas dans l’après. Or, il continue, mais sans que nous ayons réalisé que cette phase nécessiterait aussi de se faire accompagner.»

Lorsqu’elles sont devenues mamans, les deux femmes venaient d’avoir la trentaine et se connaissaient depuis treize ans. Si ce socle leur a permis de tenir le coup, « nous avons compris pourquoi autant de couples se séparaient après l’arrivée d’un premier enfant*. A tour de rôle, nous avons pensé que, si les choses continuaient comme ça, elles allaient mal se terminer. » A l’inverse de Constance, certains considèrent plutôt comme une force d’avoir dû se démener pour la conception de leur progéniture. Notamment les hommes passés par le chemin encore plus compliqué de la GPA. Ses embûches ont, disent-ils, éprouvé la solidité de leur lien et profondément remodelé leur vie sociale avant même de devoir l’adapter aux contraintes d’un tout petit. 

Des moments difficiles

Ces approches différentes en témoignent : chaque parcours est unique, chaque naissance aussi. Même quand on n’est plus un novice. Pour Fabien, 44 ans, marié à Mario, 45 ans, l’accueil de Lily-Rose en janvier 2015 s’est passé tout en douceur. Dès le départ, leurs quinze jours dans la bulle d’un petit appartement du Wisconsin leur offrent de « se rencontrer » dans une parfaite sérénité. Par la suite, tout roule si bien que les papas décident de transformer leur « triangle parfait » en carré. Mais quand Jack vient au monde en mai 2019, Fabien ressent « une grande frustration » à devoir se partager entre ses deux petits. Il éprouve « le sentiment de ne pas faire les choses aussi bien que nous l’aurions pu ».

A Bruxelles, sans voiture, la famille ne circule qu’à vélo dans une ville tout en montées et descentes. La maison comporte des volées d’escalier où il faut constamment porter les enfants et les nuits hachées pour apaiser les angoisses nocturnes de Jack ne contribuent pas à une ambiance zen. Aujourd’hui, leur fils marche ; lui et sa grande sœur interagissent de plus en plus, confortant Fabien dans son choix d’une fratrie. Mais, durant un an où le confinement n’a pas simplifié le quotidien, ces papas qui travaillent à domicile, ont eu « des moments difficiles à passer »

Le devoir d'être irréprochable

Face à une partie de la société qui envisage l’homoparentalité avec hostilité ou scepticisme, tous ces couples doivent, de surcroît, effectuer leur apprentissage dans un contexte particulier. Vis-à-vis de ses quatre filles - des triplées ont rejoint Juliette ! - Constance éprouve un devoir d’exemplarité qui se superpose à la pression que « la société met naturellement sur toutes les jeunes mamans. "

« Même si nous appartenons à la génération PMA, on ne parlait pas beaucoup de ces parcours quand notre aînée a été conçue et Aude n’avait aucune légitimité juridique par rapport à elle. Si son tee-shirt avait une tâche, nous savions qu’elle serait imputée au fait qu’elle avait deux Mamans, que ce n’était pas la nature etc. ». L’idée que leurs « enfants devaient être plus impeccables que les autres, mieux élevées et ne pas faire de vagues » les habite toujours et a conditionné jusqu’au choix de leurs prénoms, qu’elles ont préféré classiques. « Ce sont des sources de jugement intense, nous ne voulions pas leur en rajouter une couche ». 

Bouchées doubles

De retour d’une promenade d’une heure pour endormir Marceau, 8 mois, Hugo semble comme un poisson dans l’eau. Dans sa vie et celle de Franck, « tout est voué à ce petit garçon devenu le centre du monde ». Mais si le village de 3500 habitants où résident ces quadras leur manifeste une bienveillance quotidienne « extrêmement rassurante » pour l’avenir de leur fils, d’autres restent à convaincre.

« Des générations de gays ont montré d’eux une facette festive, noctambule, et cette image reste ancrée dans l’inconscient collectif, y compris chez les plus ouverts vis-à-vis de l’homosexualité. Il faut maintenant faire admettre à la société que nous n’avons pas tous envie de passer notre vie dans des backrooms, des saunas ou des discothèques.» Hugo sait la nécessité de mettre les bouchées doubles pour sortir des cases, d’autant que cet enjeu lui « semble parfois plus compliqué vis-à-vis des gays qui nous entourent que des hétéros ». 

Clichés sur les couples d'hommes

Pour Constance, les hommes se heurtent à une gageure de plus que les couples de femmes, « cette pression de la pensée globale qui veut qu’un enfant ne puisse pas grandir sans maman. » Hugo en fait lui aussi le constat. « Nous devons convaincre en tant que gays ET en tant que pères, même si nous nous débrouillons aussi bien et peut-être même mieux que certaines mères. Si on nous filmait 24h sur 24 dans un reality-show, vous verriez que Franck et moi sommes très câlins et que nous offrons largement cette affection d’ordinaire attribuée aux femmes. Mais, au départ, même nos parents étaient un peu sceptiques. »

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Aucun de nos interlocuteurs masculins ne s’est senti désarçonné par les soins au nouveau-né ou l’enfilage du body. Jean-Yves et Gabriel avaient potassé en amont tous épisodes des Maternelles, l’émission de France 5 « qui dédramatise plein de choses ». Leur mère porteuse, forte de l’expérience de ses quatre enfants, les a aussi beaucoup aidés à se familiariser avec ces gestes. Fabien pour qui la longueur d’une GPA demeure « un traumatisme », l’envisage rétrospectivement comme la source de quelques atouts. « Quand une femme est enceinte, l’homme aussi attend un enfant, mais ils ne vivent pas la même chose ».

Mario et lui ont parcouru un chemin identique jusqu’à l’entrée en scène de Lily-Rose, ils partageaient « la même non-expérience » face à elle et ils ont tout appris ensemble en étant totalement interchangeables. Leur paternité tardive par rapport aux amis de leur génération leur a aussi laissé le temps de les regarder à l’œuvre, de détailler exemples, contre-exemples, et de définir les principes éducatifs qu’ils souhaitaient dispenser. 

Se parler et ouvrir son nid

Installée à Porto, Léa, 26 ans, délivre ses conseils et bons plans aux jeunes femmes qui envisagent, comme elles, d’effectuer leur PMA au Portugal. Une démarche amicale qui lui vaut de nombreux contacts et une vision élargie de leurs questionnements. « Il y a tant de paroles blessantes contre nos familles qu’elles peuvent planter la petite graine de l’illégitimité chez certaines mamans en devenir », déplore-t-elle. Pour autant, c’est une couleur résolument positive qu’elle veut imprimer à la conversation : « Je tiens à dire que tout peut être équilibré, fluide et naturel ». 

Liv, sa puce, a 11 mois et Léa comme Capucine sont « clairement épanouies ». De son poste d’observation, notre expatriée constate que « la concurrence potentielle à l’arrivée d’un enfant est l’une des principales inquiétudes formulées par les couples de femmes » pour lesquelles l’allaitement peut devenir une source de crispation. « Il ne faut pas forcément faire une croix dessus de peur que l’une des deux se sente exclue, mais trouver un mode de fonctionnement à trois. Le bain est aussi un moment magique qui crée beaucoup de lien. Et puis, une femme peut aussi induire sa lactation. C’est un mécanisme méconnu, mais qui existe et permet un co-allaitement. » 

A chaque problème, sa solution. Et tous nos interlocuteurs s’accordent sur quelques règles essentielles : accepter ses émotions, les verbaliser, lancer des « SOS, je me sens dépassé ». Communiquer est la seule façon de permettre à un partenaire qui n’est pas devin de comprendre votre état et d’y répondre. « Je suis allé jusqu’à dire à Mario que je regrettais le choix d’un deuxième enfant, confie Fabien. C’était dur pour lui d’entendre ça, mais je voulais le provoquer, analyser un peu notre situation. M’exprimer, prendre conscience de ce que j’éprouvais a contribué à l’apaiser ». Jean-Yves abonde dans son sens. Lui et Gabriel se sont parfois « chafouinés » mais, dès leur rencontre, ils avaient établi que « toute difficulté devait être formulée et ne pas rester à l’état de rancœur ».

Un gage d’harmonie et un pare-feu au cercle infernal des reproches « qui peut vite s’installer » à l’arrivée d’un bébé. Il insiste aussi sur la nécessité de savoir déléguer, de solliciter son entourage. Lui et Gabriel avaient la chance de pouvoir compter sur leurs sœurs, leurs amis déjà parents.  « Nous ne sommes pas restés dans un cocon fermé, nous avons ouvert notre nid et pu confier Théo sans angoisse, ce qui nous a permis de respirer, de nous accorder une sieste ». 

Des câlins moins spontanés

Dans un emploi du temps chronophage, les loisirs qui permettaient autrefois de se vider la tête ne peuvent plus toujours servir de soupape de décompression. Même les câlins doivent s’y frayer un chemin. Entre Jean-Yves et Gabriel, le désir est toujours présent mais « nos formes ont changé. Nous qui étions des sportifs bien gaulés, nous sommes pas mal amochés », commente le premier en riant et en confessant des relations moins fréquentes. « On n’a plus le temps pour rien, y compris de faire l’amour. Pour avoir ce temps d’intimité, il nous faut trouver le créneau entre la tototte, les biberons et le mal aux dents. Et c’est 5 heures du mat quand l’un de nous a une insomnie. » 

S’accorder des parenthèses pour soi et pour son couple est pourtant essentiel. « On est un bon parent quand on va bien soit même, estime Léa. Après son accouchement, elle qui adore se maquiller a apprécié que Capucine lui octroie un créneau pour se pomponner. « Je me voyais avec un teint plus sympa qu’au naturel et cette image m’aidait à affronter le post-partum qui peut être compliqué. Ce sont de toutes petites choses, mais qui font beaucoup de bien.» Constance n’a pas réédité l’erreur commise avec Juliette. Quand leurs triplées se sont invitées, elle et Aude ont engagé une baby-sitter pour les seconder et leur permettre des soirées « off », autant pour leur couple que pour chacune d’elles. La gestion a, du coup, été plus simple, même si les trois coquines ont mis… 27 mois à faire leurs nuits !

Inoubliable 

Quelle que soit leur histoire, tous ces parents évoquent le souvenir inoubliable du premier cri, du premier peau-à-peau. « La naissance de Lily-Rose a été le jour le plus intense de ma vie. Elle était toute bleue, on a cru la perdre, raconte Fabien qui se félicite, aujourd’hui, de former « une très belle famille ». « Avoir un enfant dans mes bras a rendu ma capacité d’amour plus grande et c’est ce que j’ai expliqué à ma fille avant l’arrivée de son petit frère :  je ne vais pas t’aimer moins ; mon cœur sera plus gros ». 

Jean-Yves qui connait, désormais, « l’indescriptible joie de regarder Théo grandir, de lui montrer les feuilles, les fleurs », relate son apparition avec une émotion intacte. « Gabriel et moi étions à l’hôpital tous les deux à tenir la main de notre femme porteuse. J’ai coupé le cordon ombilical, c’était miraculeux ». La naissance de ses enfants lui a offert de voir ses parents « rajeunir de dix ans », d’assister à un changement radical de la part de sa belle-famille très hostile à l’homosexualité de Gabriel. Elle leur a aussi donné des ailes pour quitter Paris et s’installer dans le Var dans une maison avec jardin.

Constance qui s’est souvent sentie « considérée comme peu mature », dit avoir trouvé de l’apaisement dans la construction de sa famille nombreuse. « C’est un aboutissement dont j’avais besoin pour avancer et une vraie force, une réussite dont je suis très fière. Je suis beaucoup moins volcanique que je ne l’étais et je me sens plus sereine vis-à-vis de ma vie et de mes choix. » 

Nouvelle vie

Découvrir la personne que l’on aime se révéler en tant que parent participe aussi à la beauté de ce chamboulement. « Je percevais la douceur de Gabriel, son humour, sa tendresse. Je les ai vues décuplées », souligne Jean-Yves. Même frissons du côté de Léa. « J’attendais avec impatience l’image de Capucine avec notre fille et je me souviendrai toute ma vie du moment où je les ai vues arriver par l’encadrure de la porte. » Tandis qu’elle se remettait de sa césarienne en salle de réveil, sa femme passait avec Liv sa première heure d’existence. « Elle l’a déposée sur moi en me disant : regarde, elle te ressemble déjà, c’est incroyable… Ce moment marquait vraiment la concrétisation de notre amour, le début d’une nouvelle vie. » 

S’il leur a fallu renoncer aux petits restos en amoureux ou aux séances ciné improvisées, nos témoins ont découvert les compensations que leur offrait une équipe élargie et une nouvelle façon d’être heureux. « Alors que la journée démarrait par un café et une douche, elle commence désormais par un biberon-couche… quoiqu’il arrive, résume Hugo. Les premiers mois de Marceau ont été rudes : après un bib toutes les deux heures, le nourrisson a enchaîné deux mois de crises de coliques et des pleurs inconsolables.

Arrivés avec lui des Etats-Unis la veille du confinement, ses parents ont ensuite traversé ce long tunnel où ils ne pouvaient voir personne. Face à un épuisement qu’ils imputaient à leur âge, les deux hommes avaient tiré un trait sur la perspective d’un second poupon. Mais depuis que Marceau est un petit garçon épanoui, souriant et plein de caractère, ses Papas nagent dans un « bonheur indescriptible ». Et il se pourrait bien… qu’ils ne tiennent pas leur promesse. 

 

(* Bernard Geberowicz et Colette Barroux avançaient le chiffre de 20 à 25 % dans leur livre Le couple face à l’arrivée de l’enfant paru chez Albin Michel en 2014)