Pour réaliser son rêve de devenir papa quand on est gay en France, il faut savoir faire preuve de patience, de créativité, mais surtout de solvabilité dans le cas d'une gestation pour autrui (GPA)… Plusieurs hommes concernés ont accepté de nous raconter leur parcours.
Une gestation pour autrui (GPA), on le sait, ça coûte cher. D'autant plus que la pratique étant interdite en France, les couples qui y ont recours doivent se rendre à l'étranger. Fécondation in vitro (FIV), indemnisation de la femme porteuse, frais d’agence, séjour(s) sur place… Selon les pays, les cliniques et les formules, comptez entre 50.000 et 200.000 euros – bien plus si l’enfant a besoin de soins particuliers à la naissance.
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Pour certaines personnes, cette somme représente à peine le prix d’une belle bagnole. Mais pour l’écrasante majorité, financer une GPA est un défi, d’autant que souscrire à un prêt bancaire n’est souvent pas une option étant donné son interdiction en droit français. D’après Nicolas Faget, porte-parole de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), seuls 10% des adhérents disposent de la somme nécessaire pour lancer un tel parcours. Alors quelles options reste-t-il quand on n’a pas 100.000 euros de côté ? Beaucoup de couples gays renoncent tout simplement à leur désir de parentalité. Pour les autres, si certaines des 17 familles à qui têtu· a parlé ont cassé leur assurance-vie, vendu leur maison ou demandé de l'aide à la famille, d’autres ont dû faire preuve de créativité et d’audace.
Le prix d'une GPA
Les futurs parents qui ont la chance d’être propriétaires d’un appartement ou d’une maison choisissent souvent la simplicité : vendre leur bien. Ce qui signifie, au choix, repartir en location ou bien racheter ailleurs, plus petit ou moins bien. En 2015, Reeve et son époux, deux cadres d'Aix-en-Provence, décident ainsi de vendre leur maison pour se lancer dans un projet de GPA. Le prix de la vente, associé à un prêt à la consommation d’une hauteur de 48.500 euros, leur permet d'envisager leur rêve : fonder une famille… de quatre.
Le processus est long. En attendant, ils achètent un nouvel appartement à rénover, qu'ils revendent un an et demi plus tard, utilisant la plus-value pour solder leur prêt. En 2019, alors qu’une femme porte leur enfant, le couple décider d’acquérir une nouvelle maison à rénover afin de financer une deuxième GPA. Pour obtenir leur emprunt immobilier, ils changent de banque et là, surprise : "Nous évoquons nos projets avec le banquier. Il était d'une compréhension immense et, avec l'appui de sa directrice, ils nous ont obtenu un prêt à la consommation à un taux exceptionnel de 1% pour la totalité de la somme empruntée”, nous explique Reeve. La maison est rapidement rénovée et vendue.
Leurs efforts paient : leur fille naît en janvier 2020 et le couple peut lancer une deuxième GPA. Mais la situation financière commence à être compliquée. La famille est à court d’épargne et son taux d’endettement est entaché par le prêt. Reeve, son époux et leur petit bébé déménagent alors dans les Pays de la Loire, où l'immobilier est moins cher. "Pour nous, le projet famille c'est : quatre maisons à rénover, plus de dix ans de mensualités, et beaucoup de fatigue", résume Reeve. Mais le jeu en valait la chandelle : la famille est enfin au complet !
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Donnons du crédit aux banques
Comme Reeve et son époux, de nombreux couples font appel à un crédit à la consommation. Celui-ci sert en principe à acheter des biens, comme des meubles ou de l’électroménager, mais rien n’empêche de l'utiliser autrement, les établissements financiers n'exigeant pas de préciser l’objet de l'emprunt. Attention, toutefois, ces crédits présentent deux gros inconvénients : leurs taux élevés, et leur montant maximum de 75.000 euros. Pas assez pour une GPA…
En 2020, Yann et Loïc, deux trentenaires, décident de souscrire plusieurs prêts à la consommation afin d'atteindre le montant dont ils ont besoin pour mener leur projet de parentalité au Mexique. Ils déposent leur dossier directement auprès de sept banques généralistes. Sans succès. Ils se tournent alors vers des établissements spécialisés en crédit à la consommation, type Cofinoga et Cetelem, qui sont moins sélectifs. Ils réussissent alors à obtenir trois crédits de 20.000 euros et un de 50.000 euros, ce qui leur permet de lancer leur projet. Un an plus tard, le couple fait racheter tous ses prêts par une banque de sorte à n’en avoir plus qu’un seul. Une galère qui finit bien : Yann et Loïc ont accueilli leur premier enfant.
Parfois, les banques traditionnelles surprennent. Fin 2020, Romain et son époux étaient sur le point d’abandonner leur projet de GPA aux États-Unis quand un ami leur confie avoir obtenu un prêt de sa banque couvrant la quasi totalité des sommes nécessaires à leur projet. Ils décident alors d'en parler à leur propre banque, en toute transparence. Le couple explique avoir besoin de 80.000 euros en plus de ses 50.000 euros d’épargne. “Étant donné que c’est illégal en France, on y allait à reculons. Mais le conseiller s'est montré bienveillant et à l’écoute, et a décidé de tout faire pour qu’on puisse mener à bien notre projet.” De fait, il leur trouve un montage qui suit les mêmes règles que les prêts immobiliers à un taux plus bas que ceux des crédits à la consommation. Nicolas Faget, le porte-parole de l’APGL, n’est pas surpris car il a constaté que, “sauf cas d’homophobie ou mauvais dossiers, les banques acceptent” ces opérations. Et pour cause, les hommes qui les demandent sont souvent des emprunteurs idéaux : solvables et avec des vies stables. Selon Nicolas Faget, accorder des prêts pour des GPA dans des pays où la pratique est légale n’enfreint d'ailleurs aucune loi. L’association encourage donc ses adhérents à parler de leur projet à leur banque.
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L'aide de proches
Pour s’éviter de passer par des banques, par préférence ou par dépit, près de la moitié des hommes à qui nous avons parlé ont choisi de se tourner vers leur famille. Ils ont emprunté de l’argent, demandé à toucher une part de leur héritage en avance, ou sollicité des coups de main financiers. Frédérik, un jeune Parisien, a choisi ces deux dernières options. “Je fais ce projet seul donc je ne pouvais pas compter sur l’apport d’un conjoint”, explique-t-il. Fin 2020, il emprunte de l’argent à ses parents et lance une cagnotte sur la plateforme Leetchi. Ses proches se mobilisent et lui offre un joli cadeau de 6.240 euros ! Mais, en janvier 2021, la plateforme annule sa cagnotte car elle est "contraire aux bonnes mœurs (sic) ou aux dispositions législatives et réglementaires applicables". C’est la surprise, car le site l'avait validé avec un titre précisant qu'elle servirait à financier une GPA aux États-Unis.
À l'époque, dans un article de têtu·, Caroline Mecary, avocate spécialisée dans le droit des familles homoparentales, estimait que Leetchi avait des arguments pour demander la nullité de la cagnotte : “Ici, il y a un problème de rattachement du contrat : alors que le futur père veut faire un contrat de GPA aux États-Unis, ce contrat n'est pas reconnu en France, or, il est au cœur du projet de la cagnotte." Quoi qu’il en soit, la plateforme aurait pu mieux accompagner Frédérik et lui éviter de faux espoirs… Après cette mauvaise nouvelle, le futur père a dû écrire à toutes les personnes qui avaient participé à la cagnotte pour leur demander de refaire leur don, cette fois-ci par virement sur son compte bancaire. “C’est déplaisant de faire ça”, se souvient-il pudiquement. D’autant qu’il a rencontré des déconvenues : “Je suis très soutenu, mais il y a eu deux ou trois exceptions, certaines personnes ont réagi négativement.”
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Tout plaquer pour faire un enfant
Pour assouvir leur désir de paternité, certains hommes font des choix radicaux, quitte à laisser leurs proches pour déménager dans un lieu où la vie est moins chère. En 2018, Kevin et son époux vendent ainsi leur 43 m2 parisien et leurs cabinets libéraux respectifs pour partir s'installer dans une petite ville à 40 km de Toulouse. Entre l’argent des ventes, un emprunt et l’aide de leurs familles et de leurs amis, ils peuvent financer une GPA aux États-Unis. Mais tout quitter n’a pas été facile : “Il nous a bien fallu un an pour nous sentir chez nous et contents de notre nouvelle vie”, souligne-t-il.
À l'inverse, Guillaume et son époux ont décidé de partir dans une région où ils pouvaient gagner plus. Plutôt que de s’endetter, ils souhaitaient se créer “une vie stable financièrement”, c'est-à-dire avoir les moyens de financer une GPA mais aussi la suite : un logement, une voiture, des vacances en famille, etc. Dès l'obtention de leurs diplômes d'infirmier, ils déménagent donc près de la frontière suisse et trouvent du travail de l’autre côté. Leur vie est désormais rythmée par les deux heures de route quotidiennes pour aller travailler. “Sans ce désir d’enfant, nous ne serions probablement pas venus travailler en Suisse et vivre dans une petite ville isolée, honteusement chère, et loin de tout”, admet Guillaume. Ce changement de vie, il l’a vécu comme un sacrifice, mais maintenant que le processus de GPA est lancé, tout prend sens.
Ces fins heureuses ne doivent pas faire oublier que pour de très nombreuses hommes gays, les sacrifices et le bricolage financier ne suffisent pas à lever les fonds nécessaires pour une GPA à l’étranger. Ils se tournent alors vers l’adoption, s'ils sont courageux et patients, ou vers des GPA en France, sans cadre légal. “Ils ont recours à des amies ou à des personnes trouvées sur des forums, avec qui il est impossible de signer un contrat et avec qui il peut y avoir des problèmes”, rappelle Nicolas Faget. Continuer d’interdire la GPA en France n'assèche pas les projets parentaux, mais précarise les femmes porteuses volontaires.
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