Tribune. "Pourquoi ce silence gênant autour de l'homosexualité de Daniel Cordier ?"

Par Denis Quinqueton le 21/11/2020
Daniel Cordier

A part celui de TÊTU, les hommages rendus à Daniel Cordier - grand résistant et ancien secrétaire de Jean Moulin disparu ce vendredi 20 novembre - ont tous passé sous silence son orientation sexuelle. Un silence gêné que dénonce Denis Quinqueton, co-directeur de l’Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean-Jaurès, dans une tribune à TÊTU.

La loi scélérate du gouvernement de Vichy créant le délit dhomosexualité a été promulguée quatre jours avant le 22e anniversaire de Daniel Cordier, une semaine après son parachutage depuis Londres et sa première rencontre avec Jean Moulin. Elle sera définitivement abrogée à l’été 1982, alors quil sapprêtait à fêter ses 62 ans.

Il navait pas encore 40 ans quand un obscure député de la Moselle a décidé de se faire un nom - que je vais donc taire - en faisant voter un amendement décrétant que lhomosexualité est un « fléau social ». Daniel Cordier a passé le plus clair de sa vie sous le coup de cette législation dordre moral. Cette législation qui vous mettait à la merci dune dénonciation malveillante, qui faisait que nimporte quelle soirée entre amis pouvait se terminer en garde à vue puis condamné par un tribunal pour la seule raison que vous étiez homosexuel.

10 petites lettres

Daniel Cordier est mort, hier, vendredi 20 novembre à Cannes (Alpes-Maritimes), à l’âge de 100 ans. Dans les nombreux hommages qui lui ont été rendus, 10 lettres, 10 petites lettres, celles qui forment le mot « homosexuel », ont systématiquement manqué. Seul TÊTU a explicitement fait une mention de l'orientation amoureuse de Daniel Cordier. Au Monde, on a fait assaut deuphémismes, évoquant ses « tourments dune sensualité qui le porte vers ses condisciples ». Ailleurs, c'est le silence.

Daniel Cordier avait pourtant été clair. En 2018, cet homme de 98 ans disait dans une interview : « Je pense surtout que chacun doit vivre sa sexualité comme il lentend ». Puis il précisait : « Votre corps vous appartient. Si vous aimez les filles et que vous êtes une fille, cest très bien. Si vous êtes un garçon et que vous aimez les garçons, cest très bien aussi. Cela, je le pense depuis très longtemps. Depuis Londres, peut-être. Cela va avec lidée de liberté. Je me suis battu pour la liberté. Et la liberté, cest aussi celle de faire ce quon veut avec son corps et avec son sexe. Cest très important. »

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« Je ne men suis jamais caché »

Alors, je reste médusé. Médusé devant lexploit quasi unanime de parvenir à évoquer les 36 626 jours de lincroyable vie de Daniel Cordier en occultant précisément ceux au cours desquels il a vécu « sa sexualité comme il lentend ». Puisquil a eu aussi ce courage-là - il en fallait - dans la France de la fin des années 1940 et des années 50, 60 et 70. Fin 2009, dans une autre interview, évoquant son homosexualité au détour dune question, il disait simplement « je ne men suis jamais caché ». Au soir de sa vie, ses hagiographes se sont chargé du déni.

Mais que faut-il faire encore, à la fin, pour que la France de 2020 honore le voeux formulé par Robert Badinter à l’Assemblée nationale le 20 décembre 1981, alors que l’on s’apprêtait justement à abroger la loi scélérate de Vichy : « il n'est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels, comme à tous ses autres citoyens, dans tant de domaines » ?

Denis Quinqueton est co-directeur de lObservatoire LGBT+ de la Fondation Jean-Jaurès. Il a été l’un des artisans associatifs du Pacs et président d’HES (socialistes LGBT+) de 2012 à 2018.