Se lancer dans une PMA ou une GPA à l’étranger, c’est déjà une aventure. Mais depuis que le Covid-19 est entré dans nos vies, c'est devenu une odyssée. Plus d’un an après le début de la pandémie, des couples racontent comment la crise sanitaire a complexifié encore davantage leur projet de bébé.
“La PMA, ce n’est déjà pas facile car il faut être patientes, on ne sait pas combien de temps ça peut prendre. Avec le Covid-19, il y a la crainte que tout s’arrête alors qu’on est en plein dedans.” Pour Amandine et sa compagne Amélyne, tout s’est arrêté une première fois à l’annonce du confinement, le 16 mars 2020. Cinq jours plus tôt, le couple se rendait à son premier rendez-vous pour un parcours de PMA dans une clinique bruxelloise. Puis la France, la Belgique, et le reste du monde se calfeutrent. Les centres d’aide à la procréation interrompent leurs activités. Comme tous les couples en parcours de fertilité, les deux jeunes femmes comprennent qu’il faudra prendre leur mal en patience.
Depuis le début de la crise sanitaire, les projets de PMA et de GPA sont en mode “stop and go” : suspendus au rythme des restrictions et des confinements. Amandine et Amélyne ont dû attendre le mois de juillet pour un premier essai d’insémination. Entre Lille, où elles vivent, et Bruxelles, il n’y qu’une heure et demi de route. Cela n’empêche pas les angoisses : les frontières peuvent-elles se refermer ? Faut-il un test PCR pour entrer sur le territoire ? Autre conséquence pénible pour les couples : le-a conjoint-e ne peut pas assister aux rendez-vous médicaux. Amandine doit donc patienter dans la voiture, devant la clinique. Les Lilloises attendent actuellement les résultats d’un quatrième essai, alors que les états reprennent les uns après les autres des mesures restrictives.
Surcroît d’inquiétude
Les associations sont les premiers témoins de ces difficultés et de ces questionnements. Le collectif BAMP accompagne les couples infertiles et les femmes seules. Face au confinement puis dans les mois qui ont suivi, les équipes se sont mobilisées en ligne et dans les médias pour répondre aux inquiétudes. “Anticiper l’avenir devient compliqué, on ne sait jamais ce que vont annoncer les autorités,” raconte la présidente, Virginie Rio. C’est encore plus anxiogène pour les parcours à l’étranger car “on dépend de deux pays.”
En quelques jours, la situation peut changer du tout au tout. Le fils de Mickaël et Ludovic devait naître à Portland, Oregon au début du mois d’avril 2020. Le couple avait prévu de s’envoler vers les Etats-Unis le 18 mars. Mais dans la nuit du 12, le président Donald Trump annonce qu’il ferme ses frontières aux Européens. Débute pour les deux hommes une course contre la montre pour monter dans l’un des derniers avions avant l’entrée en vigueur de la mesure.
Ils passeront finalement entre les gouttes, mais tous n’ont pas la même chance. Bruno et Romain, originaires d’Alsace, avaient aussi rendez-vous à Portland pour la naissance de leur fils. Refoulés à l’aéroport de Roissy le 13 avril, ils ont remué ciel et terre pour obtenir le tampon des autorités américaines leur permettant de traverser l’Atlantique et d’arriver avant l’accouchement prévu le 30 avril. Pour Bruno, ces dernières semaines avant la naissance auraient dû être l’occasion de se reposer et se préparer calmement à accueillir leur enfant. “Et patatras, après deux ans et demi de chemin, vous vous retrouvez avec une nouvelle montagne à gravir.”
Des "situations terribles"
Catherine Clavin a traversé cette période sous sa double casquette de coprésidente de l’Association des parents gays et lesbiens (APGL) et avocate. Discussion avec les consulats, casse-têtes juridiques… “Tous les parcours de fertilité ont été touchés, mais comme la logistique est plus complexe en matière de GPA, ça a généré des situations terribles, des parents extrêmement angoissés, des enfants nés dont les parents n’étaient pas là.” En Ukraine, où la GPA est ouvertes aux couples étrangers hétérosexuels, une agence a fait scandale en diffusant les images d’une pouponnière de fortune installée dans un hôtel, pour garder les bébés en attente de leurs parents.
Huit mois plus tard, les rouages sont mieux huilés. “On a réussi à s’organiser, car on sait ce qu’il faut faire”, explique Catherine Clavin. Mais l’obtention des dérogations ajoute une couche de complexité à des démarches déjà gourmandes en procédures. Les autorités françaises ne se sont pas toujours montrées coopératives. Catherine Clavin est allée jusqu’au Conseil d’Etat pour obtenir du Quai d’Orsay une note verbale qui aurait permis aux couples français d’embarquer dans des vols à destination de l’Ukraine. En vain : au printemps 2020, les parents d’intention ont dû se débrouiller pour arriver jusqu’à la frontière ukrainienne et la traverser par leurs propres moyens.
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Interrogée, une source du ministère des Affaires étrangères explique que la suspension des démarches d’adoption et de réunification familiale liée aux restrictions internationales est une mesure “certes rigoureuse”, mais qui vise “la protection des populations.” La note diplomatique du 24 avril 2020 témoigne néanmoins d’une volonté de faciliter les choses : elle autorise la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né par GPA à l’étranger en droit français. Ce document a permis aux familles d’obtenir des papiers pour leur enfant et de rentrer en France sans encombre après la naissance. Le fils de Bruno et Romain, né aux Etats-Unis le 30 avril, a fait partie des premiers enfants à bénéficier de cette mesure.
PMA pour toutes : “on ne veut plus attendre”
Pour celles et ceux qui se sont lancé-e-s dans un projet de bébé depuis le début de la pandémie, la situation génère de la frustration, et même du ressentiment. Estelle et Camille attendent leur premier rendez-vous dans une clinique belge, prévu en février prochain. Rendez-vous déjà repoussé et aujourd’hui menacé par les nouvelles restrictions. Estelle pointe le “retard” de la France en matière d’avancées sociales : “le fait de passer par la Belgique, de savoir que je vais ensuite devoir adopter mon enfant, ça me met en colère. C’est d’autant plus frustrant qu’on nous mette des bâtons dans les roues à cause du Covid.”
Cela fait trois ans qu’Estelle et Camille parlaient d’un bébé. Elles pensaient qu’en 2020, elles pourraient se lancer en France. Les multiples reports de la PMA pour toutes les ont convaincues de passer la frontière. Jeannie et Audrey ont pris la même décision. Ce couple de trentenaires a décidé de sauter le pas d’une PMA à l’étranger juste avant le confinement. La pandémie a retardé leur projet précisément au moment où elles voulaient qu’il accélère. “On s’y est prises tard car on attendait que la loi passe en France, soupire Jeannie. On a déjà trop attendu, on ne veut plus attendre.”
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Le temps biologique n’est pas le temps législatif. Gaëlle (le prénom a été changé) et sa compagne en témoignent : “dans six mois, j’ai 35 ans. On n’est pas à des âges où l’on peut se permettre d’attendre sans que ça ne change rien.” Gaëlle vient de se faire prélever des ovocytes pour une fécondation in vitro en Espagne. Une procédure invasive, qui a demandé au couple d’adapter son rythme de vie, entre stimulations hormonales et isolement strict. Désormais, les deux femmes ne redoutent qu’une chose : que le durcissement des mesures ne les empêche de retourner en Espagne pour l’implantation des embryons - et ne repousse, encore, la grossesse désirée.
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