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EspagneElles ont décidé de faire une PMA sans attendre la loi... ou le déconfinement

Par Nicolas Scheffer le 19/04/2021
PMA

Ni le report de la loi bioéthique, ni le confinement n'ont empêché ces femmes d'avoir recours à la PMA. Mais pour elles, devenir maman est un parcours du combattant. Parfois à la limite de la légalité.

Deborah (son prénom a été modifié) et sa compagne sont en couple depuis neuf ans. Depuis plusieurs années, elles le savent: elles veulent à un enfant. Alors quand le gouvernement a annoncé l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, elles ont d'abord été optimistes. Mais au fil des mois, des débats à rallonge, des navettes parlementaires et des calendriers bousculés par le covid, elle ont fini par déchanter. "Quand on a vu que le gouvernement reportait une nouvelle fois le vote définitif de la loi bioéthique, on s'est dit qu'on ne pouvait plus attendre.", raconte Deborah à TÊTU. Résultat, les deux femmes ont commencé le processus juste après le premier confinement, malgré les difficultés des contraintes sanitaires.

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Deborah et sa copine sont loin d'être les seules. Si la pandémie a conduit à une baisse de 13% la natalité, les cliniques IVI, spécialisées dans la fertilité et la PMA en Espagne, ont vu plus de couples de femmes et de femmes célibataires qu'avant la crise du covid-19. Les premières visites des patientes françaises ont augmenté de 11% par rapport à 2019. "Et les chiffres du premier trimestre 2021 montrent que la tendance se confirme", insiste auprès de TÊTU le docteur André Guérin, gynécologue d'IVI basé à Barcelone.

Une PMA avec donneur

Deborah a de la chance, elle n'a pas eu à passer les Pyrénées pour s'engager dans un parcours PMA. "Ma gynéco m'a proposé de m'aider tout en sachant que j'étais en couple avec une femme. Alors, comme nous disposons d'un donneur, on triche...", raconte la future mère. La gynécologue a accepté d'inséminer la jeune femme avec le sperme du donneur. Administrativement, Deborah s'est déclaré en couple avec celui-ci, ce qui lui permet d'être remboursée par la Sécurité sociale. "Ma compagne ne peut pas m'accompagner lors des échographies. Alors, pour compenser, elle tient absolument à m'aider à me faire des piqûres d'hormones, alors que je peux très bien le faire seule." Une situation qui, juridiquement, n'est pas sans risque, si un jour le donneur décide de reconnaitre l'enfant.

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C'est aussi en France que Laura a finalement choisi de faire son enfant avec sa compagne. "Sans le confinement, on aurait certainement eu recours à une FIV (fécondation in vitro, où la fécondation est réalisée en laboratoire) mais il fallait qu'on la fasse à l'étranger. Alors, on a essayé une insémination artisanale (où le sperme est injecté directement dans le vagin au moment de l'ovulation, sans avoir recours à une technique médicale)", témoigne Laura qui habite le sud est de la France. Cette technique lui permettait une insémination à la maison, avec un donneur qu'elle a choisi. "Cela nous permettait d'éviter de se tracasser avec les pays qui ont fermé leur frontières, de ne pas penser aux tests PCR ou autre", insiste-t-elle.

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C'est grâce au bouche-à-oreille que Léa, qui vit à Saint-Ouen (93) avec sa copine Raphaëlle, a connu un gynécologue qui pratique les inséminations pour les couples de femmes. "La pandémie nous a fait prendre conscience qu'on n'avait pas la main sur l'avenir et donc qu'il ne fallait pas attendre, raconte-t-elle. Cela fait deux ans qu'on attend le passage de la loi bioéthique. On la voit reportée de mois en mois. On n'a que 32 ans mais on ne voulait pas être ménopausées avant le vote de cette loi !", dit-elle.

"Pouvoir tout dire à l'équipe médicale"

"On a passé le nouvel an confiné au Luxembourg", raconte Émilie qui habite en Bretagne. Sa compagne, Charlotte a été inséminée le 2 janvier. "En amont, on a tout fait par visio et déclenché l'ovulation en France. Pour l'insémination, on l'a faite au Luxembourg où la banque de sperme a envoyé les paillettes", s'amuse-t-elle. Elle aurait bien aimé pouvoir faire sa PMA en France, mais "les gynécologues qui acceptent de pratiquer des PMA aux couples de femmes ne sont pas toujours spécialisés. On leur est particulièrement redevable de leur militantisme, mais ce ne sont pas toujours les meilleurs. En plus, je suis plus sereine de savoir que je peux tout dire à l'équipe médicale qui entoure le·la gynécologue", dit-elle. Heureusement, de la famille à Tourcoing pouvait accueillir les futures mamans entre le moment de l'ovulation et celui de l'insémination.

Beaucoup d'efforts

"Par rapport à la population générale, les femmes en couple avec d'autres femmes doivent faire encore beaucoup d'efforts pour aboutir leur projet de PMA", regrette le docteur André Guérin depuis Barcelone. Depuis le début des mesures sanitaires, ses patientes ont pu traverser la frontière avec une ordonnance pour prouver le caractère médical du déplacement. Lorsqu'elles en ont besoin, la clinique peut leur faire passer un test PCR. "Généralement, les femmes n'ont pas besoin de PCR en Espagne parce qu'elles en ont fait un en France remboursé par la sécurité sociale. Lorsqu'elles restent plus de deux jours, comme c'est le cas pour une FIV, nous pouvons leur fournir un test", assure le gynécologue.

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Finalement, Hélène* et Sophie* attendront la fin des mesures de restriction sanitaire pour avoir recours à une PMA. "Ça nous a permis de construire notre projet sereinement", explique Hélène. Elles ont fait le tour de la carte des pays d'Europe. Elles voulaient avant tout que leur futur enfant puisse avoir accès à l'identité du donneur, s'il le souhaite.

Dans un premier temps, elles pensaient aller en Belgique, "mais les délais d'attente pour avoir un rendez-vous sont impressionnants depuis le Covid", déplore-t-elle. Ce sera donc finalement le Danemark. "On n'attend plus que d'être vaccinées pour pouvoir y aller !", s'impatiente-t-elle.

Crédit photo : Simon Rae / Unsplash