Le Sénat a voté la seconde lecture du projet de loi bioéthique sans la PMA pour toutes. Si la droite plaide le cafouillage politique, d'autres y voient l'ombre de la Manif Pour Tous...
Se faire ghoster par un date sur Tinder, ce n'est pas agréable. C'est encore plus frustrant pour un journaliste lorsque cela vient de parlementaires qui viennent de voter contre l'un des textes les plus attendus du quinquennat. Au lieu d'expliquer son vote, Alain Milon, le président de la commission en charge du projet de loi bioéthique au Sénat, a laissé notre demande de discussion en "lu". Comme lui, nombreux sont les sénateurs et élus LR à ne pas avoir souhaité répondre à TÊTU. Bruno Retailleau ? "Pas cette semaine", Corinne Imbert ? "Un agenda particulièrement chargé", ou encore Mathieu Darnaud et Maxime Minot - un député pourtant en première ligne sur les questions LGBT+ - nous ont laissé lettre morte. Il semblerait que Les Républicains n'aient pas envie de se justifier d'avoir voté contre la PMA pour toutes. Plus étonnant encore : ils n'ont pas non plus envie de fanfaronner.
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Au sein du groupe Les Républicains, 98 parlementaires ont voté contre la PMA pour toutes. Mais 26 ont voté en sa faveur et 18 se sont abstenus (6 sénateurs n'ont pas pris part au vote). Un an plus tôt, le Sénat avait voté en faveur de cette mesure qui permet aux couples de femmes et aux femmes seules d'avoir accès à la PMA. Pourquoi un tel revirement un an après ? Et surtout, pourquoi les sénateurs de droite rasent-ils les murs ?
Au départ, une erreur de procédure
À l'origine de cette position du Sénat, il y a... une erreur de procédure. Un article concernant la PMA dite "post-mortem" a été approuvé alors qu'il n'aurait pas dû. Après minuit, certains parlementaires se sont absentés et la composition de l'hémicycle en a été bouleversée. Une majorité de parlementaires présents s'est formée pour voter pour cet article, alors qu'une majorité de sénateurs sont contre. Pour réparer cette "erreur", les parlementaires ont choisi de supprimer tout l'article 1.
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Pendant toute la journée du mercredi 3 février, la droite, majoritaire au Sénat, a annoncé vouloir faire revoter cet article. Cette disposition, utilisée dans des cas exceptionnels, permet de discuter de nouveau d'un article après l'examen du texte. Toutefois, elle ne l'a pas fait.
Une version plus progressiste ?
Lors de ses vœux à la presse, le président du Sénat, Gérard Larcher a exprimé son "regret" après la suppression PMA pour toutes. En supprimant l'article 1, le Sénat a "laissé passer la chance d'améliorer le texte. Le texte voté par le Sénat en 2019 était équilibré. C'est l'Assemblée nationale qui aura le dernier mot et je ne suis pas certain que l'équilibre trouvé en 2019 soit retrouvé", a assuré Gérard Larcher. Traduction : en renonçant à y apporter des modifications, les sénateurs pourraient avoir permis une version finale du texte beaucoup plus progressiste.
"Ce n'est pas dans la culture du Sénat de rejeter des articles. Pour les sénateurs, cet épisode est un échec parce que les parlementaires renoncent à négocier le texte. La force du Sénat, c'est de demander le compromis par la négociation", indique auprès de TÊTU, Benjamin Morel maître de conférence de droit public spécialiste de la procédure parlementaire. Le comble, c'est qu'au début de l'examen du texte d'ailleurs, Muriel Jourda (LR) a accusé le gouvernement et l'Assemblée de ne pas assez écouter le Sénat...
L'ombre de La Manif Pour Tous
En coulisses, la positions de Gérard Larcher et celle de Bruno Retailleau s'opposent. "Gérard Larcher incarne une ligne plus sociale et Bruno Retailleau une ligne plus conservatrice clairement associée à La Manif pour Tous, les sénateurs sont divisés entre ces deux lignes qu'ils ont du mal à faire cohabiter ensemble", indique une observatrice politique. "Les sénateurs sont moins affiliés à un camp qu'à l'Assemblée où les positions sont plus tranchées. Il y a moins de discipline de vote avec des identités plus marquées des sénateurs et de leur parcours", nuance Benjamin Morel.
Le sénateur Bernard Jomier (PS) pointe "une radicalisation des positions" de la droite, "qui peut-être a trait à d'autres échéances". Le secrétaire d'État à l'Enfance, Adrien Taquet a dénoncé "des ambitions électorales qui avancent masquées". "La campagne présidentielle de 2022 déteint sur les débats puisque Bruno Retailleau (qui dirige le groupe LR au Sénat, ndlr) est candidat. Il y a un durcissement dans ses rangs avec un groupe plus conservateur", regrette Laurence Cohen, sénatrice communiste.
Car la ligne de Bruno Retailleau, sénateur LR de Vendée, c'est grosso modo celle de François Fillon - candidat défait à la présidentielle 2017. Une ligne conservatrice, catholique, également incarnée par François-Xavier Bellamy, le candidat - lui aussi vaincu - aux élections européennes. Une droite, évidemment, proche de La Manif Pour Tous, aux côtés de laquelle Bruno Retailleau n'hésite d'ailleurs pas à manifester. L'organisation à l'origine des mouvements "Marchons Enfants" s'est frottée les mains après le vote du texte : "Manifester, c'est utile ! La preuve : belle victoire d'étape cette nuit au Sénat". Ce vote contre l'article 1 n'était-il que le coup politique d'un candidat à la présidentielle cherchant à consolider sa base électorale ?
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Premières PMA avant la fin 2021 ?
Une consolidation à peu de frais, puisque le texte sera de toute façon voté. Selon nos information, une Commission mixte paritaire est prévue le 17 février à l'Assemblée. En cas de désaccord (très probable), une troisième lecture sera ensuite discutée à l'Assemblée et au Sénat. "Ces troisièmes lectures seront très rapides. Avant la promulgation de la loi, le Conseil constitutionnel peut aussi être saisi. Il devra rendre une décision en moins d'un mois. Désormais, on est vraiment à la fin du processus législatif", explique Benjamin Morel.
Le ministère de la Santé dores et déjà indiqué que ses services travaillent déjà à l'écriture des décrets d'application. Au total, le gouvernement espère que le texte sera définitivement adopté à l'été. "L'idée est qu'on puisse lancer les premiers parcours de PMA dans la fin de l'année 2021", a affirmé le ministre de la Santé. Hasard du calendrier, au même moment (ou presque) la droite municipale appelait à la création d'un centre d'archives LGBTQI+ à Paris. À droite, il va peut-être falloir accorder ses violons.
Crédit photo : Capture d'écran / Public Sénat