Une circulaire rappelant que le droit interdit les thérapies dites "de conversion" a été publiée bien discrètement par le gouvernement… Et pour cause : elle est loin de faire l'unanimité.
"Je me rends compte que j’ai omis de vous transmettre cette circulaire qui a été publiée au bulletin officiel du ministère", indique à TÊTU le ministère de la Justice, jeudi 10 juin. Ce mail fait réponse à une demande datant du 11 mai. Ce jour-là, Élisabeth Moreno avait annoncé une circulaire destinée à rappeler que les thérapies dites "de conversion" (des homosexuels) sont déjà "strictement interdites dans notre pays", alors qu'une proposition de loi est dans les bacs du Parlement.
La circulaire en question est datée du 17 mai, journée internationale de lutte contre l'homophobie et la transphobie. Pour les militants LGBTQI+ qui ont également découvert cette publication un mois plus tard, l'oubli témoigne du manque d'intérêt de l'exécutif.
‼️ La circulaire rappelant le droit existant sur les infractions commises à raison de l'orientation sexuelle et sur les "thérapies de conversion" a été publiée le #17mai 🌈 par @justice_gouv et personne ne semble être au courant...😬
👉 https://t.co/RMY4VpJaI3#RienAGuerir ❌ pic.twitter.com/mpUfbq93OP— Sébastien Tüller (@SebastienTULLER) June 11, 2021
"Franchement, je commence à faire le deuil de la proposition de loi pour interdire les thérapies de conversion avant la fin du quinquennat", souffle à TÊTU Benoît Berthe, membre du collectif Rien à guérir. Le 8 juin dernier, la ministre en charge de l'Égalité, Élisabeth Moreno l'a enfin rencontré après de nombreux reports du rendez-vous. À l'issue de l'entretien, "on n'était même pas informé que la circulaire avait été publiée", nous indique le militant.
Une circulaire insuffisante ?
Pourtant, il a pourtant bien été question du texte au cours de ce rendez-vous. Le collectif Rien à guérir voulait rappeler son opposition à la solution d'une circulaire de l'exécutif plutôt qu'une loi au Parlement. "Cette circulaire est totalement contre-productive. Les victimes doivent prouver qu'elles sont victimes d'abus de faiblesse, d'exercice illégal de la médecine, de pratiques trompeuses... Or, elles ne le savent pas toujours. Et en face non plus : ceux qui pratiquent ces 'thérapies' sont persuadés que leurs pratiques ne sont pas homophobes ! Si on définit dans la loi un délit spécifique, cela indique clairement aux victimes et aux bourreaux que ce n'est pas permis", argumente Benoît Berthe.
Une position partagée par la députée LREM qui porte le texte, Laurence Vanceunebrock. "Cela ne répond pas au soutien que j'attendais de la part du gouvernement. Ce n'est pas suffisant. Les victimes ont besoin de la reconnaissance de leur statut de victime de ces 'thérapies' et pas seulement des infractions qui existent déjà dans le Code pénal", indiquait-elle à TÊTU mi-mai.
"Pas une priorité du gouvernement"
"Je n'étais pas informé que la circulaire était publiée. Si un texte est publié mais que les acteurs ne s'en emparent pas, cela ne sert à rien", abonde Matthieu Gatipon, porte-parole de l'Inter-LGBT, qui conclut : "Interdire les thérapies de conversion n'est pas une priorité pour se gouvernement".
"Ces 'thérapies' pourraient être interdites en trois heures de débat. Mais la majorité n’a pas voulu programmer ces trois petites heures. Cela témoigne d’un manque cruel de volontarisme politique. Ce ne sont pas des sujets majeurs pour le président et le Premier ministre", pointait aussi Mathieu Orphelin, eurodéputé ex-LREM, pour TÊTU fin mai. "On ne m'a pas prévenue que cette circulaire serait publiée", regrette encore la sénatrice communiste Laurence Cohen qui avait pourtant interrogé le ministre de la Justice à ce sujet. "J'aurais aimé m'en emparer pour accompagner les victimes. Cela ne va pas être révolutionnaire mais c'est un pied dans la porte", dit aujourd'hui la sénatrice à TÊTU.
Une réforme pour 2022 ?
Reste une possibilité toujours ouverte par Marlène Schiappa. À la surprise générale, la ministre avait annoncé le 10 octobre dernier qu'elle entendait faire adopter l'interdiction par voie d'amendements à la loi sur les Principes de la République. Une stratégie alors rejetée car outre le risque de cavalier législatif (des articles qui n'ont pas de rapport avec l'objet de la loi), elle a été accusée de miner la porté du texte. Malgré un démenti d'Élisabeth Moreno, en charge de l'Égalité, Marlène Schiappa pourrait demander de nouveau l'inscription de la mesure dans la loi sur les Principes républicains, à l'occasion de sa seconde lecture le 28 juin.
"En inscrivant ce texte dans une loi sur les séparatismes, on va mettre de côté tout ce qui touche aux 'thérapies' médicales. Il va également mettre de côté les familles qui sont concernées qu'elles soient catholiques, musulmanes ou juives. Globalement, j'ai l'impression qu'on va disloquer le texte, en prendre de petites parties qui intéressent la communication de Marlène Schiappa et le reste va disparaître", protestait auprès de TÊTU Laurence Vanceunebrock en octobre.
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"Les macronistes seraient prêts à attendre la campagne pour l'élection de 2022 pour proposer l'interdiction des 'thérapies de conversion'. Alors même que cela fait des années que dans leurs rangs, Laurence Vanceunebrock se bat pour intéresser son camp de l'intérêt de sa proposition de loi", pointe pour TÊTU le responsable d'une association membre de l'Inter-LGBT. Bref, comme pour la PMA durant quatre ans, le sujet patauge.
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