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associationLe Refuge : "On ne gère pas une fondation aussi importante comme une asso locale"

Par Nicolas Scheffer le 22/09/2021
Sophie Delannoy et Michel Suchod, direction du Refuge

ENTRETIEN. Quelques mois après leur nomination à la tête de la fondation accueillant des jeunes LGBT+ en détresse, le président du Refuge, Michel Suchod, et sa directrice Sophie Delannoy, assurent y avoir ouvert une nouvelle ère.

Lorsqu'ils ont repris cette année la présidence et la direction de la fondation du Refuge, Michel Suchod et Sophie Delannoy ont voulu tout changer du sol au plafond. D'autant qu'en décembre 2020, un rapport indépendant avait étrillé la gestion de l'association. Six mois après son arrivée, la nouvelle direction se félicite d'avoir entamé la professionnalisation de ses effectifs et promet que la charge sur les bénévoles est devenue supportable.

Cela fait maintenant six mois que vous avez repris la tête du Refuge. Comment qualifieriez-vous l’état de la fondation ?

Michel Suchod : L'urgence, c'était de recruter une équipe de direction solide. Pendant 17 ans, la fondation a crû de 20% par an. Sauf que les contrats n'étaient pas dans les clous, il n'y avait pas de grille des salaires, pas de rattachement à une convention collective... Il fallait reprendre la gestion à tous points de vue. On ne gère pas une fondation aussi importante que Le Refuge comme une association locale.

Sophie Delannoy : Nous avons donc recruté un DRH, un directeur financier et un directeur de la formation. Dans une fondation de 450 bénévoles, c'est important que chacun ait une vision claire de ce qu'il doit faire, comment et avec quels moyens. Sauf qu'il y avait peu de partage d'expérience. Certaines choses étaient bien faites dans une délégation, et manquaient dans une autre, avec une perte d'énergie considérable. Dans nos structures, 200 jeunes sont hébergés et 190 sont accueillis pendant la journée.

En décembre 2020, le rapport du cabinet BCG pointait également le risque de « burn out » militant...

Sophie Delannoy : Être plus efficace doit permettre que les bénévoles ne s'épuisent pas et souffrent moins. La ligne d’urgence, par exemple, était ouverte 24h/24. Les personnes qui recevaient le téléphone étaient formées seulement deux heures. Aujourd’hui, la ligne d’écoute a été confiée à une salariée, une travailleuse sociale véritablement formée. Sa mission, c’est de se ménager soi-même et de former véritablement des bénévoles, quitte à ce que la durée de service de la ligne d’écoute soit restreinte pendant un temps. On a recruté plusieurs travailleurs sociaux et on va continuer. Par ailleurs, une ligne indépendante de la direction va prochainement être mise en place pour la gestion des dysfonctionnements internes à la fondation. Cela fait quatre années qu'on l'attend.

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Michel Suchod : Le Refuge doit abandonner un modèle fermé sur lui-même. Nous commençons à être invité de nouveau par des associations qui refusaient de collaborer avec nous, c’est un tout nouvel état d’esprit. Par exemple, je ne comprends pas que nous ne fassions pas partie de l’Inter-LGBT. Par ailleurs, nous nous engageons à refaire au printemps prochain une enquête avec les mêmes questions que celles posées en décembre dernier. On pourra alors évaluer la progression.

Vous êtes sévère à l'égard de l'ancienne direction. Quel est l'état de vos relations ?

Michel Suchod : Le procureur de Montpellier est saisi d’un certain nombre de plaintes pour des actes présumés très inappropriés, cela ne nous concerne pas. Nous sommes étrangers à ce dossier. Ce qui nous intéresse, c’est la protection des jeunes. Nous nous tiendrons toujours du côté des jeunes, notamment s’ils sont victimes. Les autorités de police et le procureur nous ont demandé de leur donner accès à des documents, ce que nous avons évidemment fait. En mai dernier, nous avons également subventionné l’ADAR (Association de défense des anciens du refuge, qui a porté plainte contre l'ancienne direction, ndlr) à hauteur de deux fois 5.000 euros, pour leur permettre d’avoir accès à la défense. 

Quoi qu’on fasse, cela nous est reproché par l’ancienne direction. Nous avons fait une soirée sur une terrasse dans les beaux quartiers parisiens, que l’ancien président a qualifié de dispendieuse. Or, il s’agissait de mécénat, pour lequel nous n’avons pas payé un centime. Pareil lorsque nous avons reçu des parlementaires européens, alors que leur avons servi du soda et de l’eau minérale ! Ces critiques visent à nuire au Refuge et à ce que les mécènes nous quittent. 

Des donateurs ont-ils abandonné le Refuge ces derniers mois ?

Michel Suchod : La mairie de Montpellier, qui avait annoncé geler sa subvention, l’a rétablie. La ville de Paris, la Dilcrah (délégation interministérielle contre la haine, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT+, ndlr) ont renouvelé leur soutien. Quelques particuliers n’ont pas souhaité renouveler leur don mais les sommes concernées sont marginales.

Pendant les confinements, la Dilcrah s’est félicitée que tous les jeunes qui en avaient besoin ont trouvé un accueil. Est-ce le cas ?

Michel Suchod : C’est tellement vrai que cela a énormément pesé sur notre organisation et nos finances. Nous avons ouvert nos portes à des personnes que l’on n’aurait pas nécessairement accueillies en temps normal, en raison de besoins spécifiques. Cela a créé de nombreuses difficultés de vie commune. Même si la Dilcrah nous a aidés pendant le confinement officiel, on en porte encore le poids financier.

Sophie Delannoy : Avant d’entrer au Refuge, le jeune est reçu par un travailleur social avec qui il échange en toute confidentialité. Le travailleur social évalue si le jeune peut progresser ou s'il a des problèmes psychologiques insolubles à notre échelle et un comportement ingérable. Au moment du confinement, l’accueil est devenu inconditionnel et toutes les précautions habituelles ont été levées.

Une campagne présidentielle s'ouvre. Le Refuge va-t-il continuer d'accueillir des personnalités politiques qui ne soutiennent pas les droits LGBTQI+ ?

Sophie Delannoy : En tant que personne trans, je me dois de faire de la sensibilisation. On verra au cas par cas. L'important, c'est l'impact pour nos jeunes. Si c'est pour faire venir des personnes qui leur disent qu'ils n'ont pas leur place dans la société, ce sera un no go. Nos délégations ne sont pas un lieu de spectacle.

Michel Suchod : Nous sommes ouverts, mais pas à un courant particulier, il faut un dialogue et ne pas rester qu'entre personnes qui sont d'accord. Ces visites peuvent être l'occasion d'expliquer pourquoi on s'oppose au vote de tel ou tel amendement.

Une rumeur fait état d’un déménagement du siège. Qu’en est-il ?

Michel Suchod : Le siège est et restera à Montpellier. 10% de notre activité est dans la région. Mais on ne peut pas nier que d’autres endroits en France nécessitent d’être développés, comme Paris.

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Crédit photo : Le Refuge