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cinéma"Piccolo Corpo", magnifique fable féministe, inclusive et mystique

Par Franck Finance-Madureira le 22/02/2022
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Si l’action de Piccolo Corpo prend place dans l’Italie du tout début du XXe siècle, la réalisatrice Laura Samani parvient à faire de ce voyage mystique un manifeste féministe et inclusif d’une grande beauté. Un premier film qui révèle une immense réalisatrice que TÊTU a rencontrée. 

Italie, 1900. Alors que son enfant est mort-né, la jeune Agata ne se résout pas à laisser son âme errer dans les limbes, ce à quoi elle est vouée par la religion catholique puisque l’enfant n’a pu être ni baptisé, ni nommé. Informée d’une légende locale évoquant un lieu qui permettrait au nouveau-né de revivre le temps d’un souffle pour être sauvé de ce destin funeste par le baptême, elle met dans une boîte en bois ce petit corps et part seule, à pied, à la recherche de ce sanctuaire.

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Laura Samani, réalisatrice de ce premier long-métrage présenté à Cannes dans le cadre de la Semaine de la critique, se souvient du début de l’aventure : "Quand on m’a parlé de ces histoires de sanctuaires du souffle, qui est assez répandue dans ma région en Italie et également en France, puisqu’il y en a près de 250 dans le Nord des Alpes, je m’y suis tout de suite intéressée. Et je ne sais pas pourquoi cela m’a vraiment hypnotisée alors que même si l’Italie est très catholique, je n’ai pas été élevée dans la religion. Mais je crois que je ne suis pas quelqu’un d’obéissant et que je n’aime pas les règles, surtout quand elles édictent que des êtres ne peuvent pas être réunis après la mort, c’est tellement cruel. J’ai compris surtout après avoir fini le film pourquoi j’avais tellement envie de raconter cette histoire : ce qui m’a surpris dans les documents en latin que j’ai consultés, c’est que le voyage était entrepris uniquement par les hommes, les pères, car il était long et dangereux mais cela voulait dire que la mère était complètement effacée de ce processus. J’ai donc voulu réparer cela en racontant l’histoire d’une mère, d’une femme qui entreprend cette démarche, ce long voyage".

La non-binarité comme rébellion

Le personnage d’Agata se retrouve donc embarquée dans une aventure aux allures de western faite de marches, de nuits à la belle étoile et de rencontres comme celle de Lynx, personnage décrit comme vivant une forme de non-binarité, et qui sera à ses côtés comme une présence rassurante pour effectuer ce long périple. "Agata est une rebelle, explique Laura Samani, elle n’a jamais eu à se révolter mais là, elle est obligée de sortir de sa zone de confort pour la première fois et c’est, à mon sens, ce qui fait le lien avec aujourd’hui. Quand on n’est pas personnellement touché par un sujet, par une injustice, on n’a pas le besoin viscéral de se révolter. C’est une rebelle mais elle ne le sait pas. Lynx s’en rend compte parce qu’iel est déjà dans une forme de rébellion".

"C’est presque involontairement politique mais nous avons eu l’intuition que ce personnage pouvait très bien se construire hors du cadre du genre."

En plus de la construction du personnage d’Agata comme celui d’une femme forte qui casse les codes, le film offre une vision très moderne en montrant qu’il y a plus d’un siècle, des personnes refusaient déjà le diktat du genre. "Nous avions besoin d’un guide, d’un compagnon de voyage pour nourrir le film, créer le dialogue. Au début des deux années d’écriture, Lynx était une fille, puis une fille déguisée en garçon, puis plus nous écrivions, moins le personnage nous satisfaisait. En Italie, nous ne pouvions pas ne pas suivre l’actualité, et notamment celle du difficile combat pour faire passer une loi qui condamnait les actes homophobes et transphobes, sans succès puisqu’elle n’existe toujours pas. Nous avons absorbé tout cela et avons beaucoup discuté lors du casting avec l’actrice Ondina Quadri, qui incarne Lynx et qui se définit comme 'gender fluid'. C’est presque involontairement politique mais nous avons eu l’intuition que ce personnage pouvait très bien se construire hors du cadre du genre. Lynx est-iel trans, lesbienne, non-binaire ? Je ne sais pas, je sais juste qu’iel s’est choisi son nom, a subi le rejet de ses parents et je préfère utiliser le pronom "iel" pour l’évoquer". 

Ces deux solitaires vont trouver dans cette aventure commune une façon de se réaliser. Le film est un écrin magnifique pour cette histoire très originale et cette relation douce entre Agata et Lynx, l’une qui veut donner un nom à son enfant pour son salut et l’autre qui a rejeté le sien pour sa liberté. 

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Crédit photo : Arizona Distribution