Dans la capitale de la Serbie, le défilé de l’Europride ce samedi a clos une semaine tendue mais édifiante quant aux progrès que doit encore faire, au plan du respect des droits des personnes LGBTQI+, cet État candidat à l'entrée dans l'Union européenne. Ambiance sur place.
"Je tenais à participer aujourd’hui, en tant que femme transgenre, pour soutenir les droits de toutes les personnes LGBT". Comme Nevena, 36 ans, des milliers de personnes ont finalement pu rejoindre ce samedi 17 décembre le défilé de l'Europride 2022 à Belgrade – Serbie – au terme d'une semaine d'événements inattendus dans un pays officiellement candidat à l'Union européenne. À savoir l'interdiction de la manifestation LGBTQI+ annoncée par le président, puis confirmée par le gouvernement, avant reculade. Sous la pluie, devant la Cour constitutionnelle qui était le point de départ du cortège, Nevena souffle : "La semaine a été assez tendue, surtout à cause du gouvernement, mais aussi à cause de tous ces opposants à la Pride et de ces leaders religieux qui ont littéralement lancé des appels à la violence contre nous…"
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La Serbie LGBTperdue
C’est la première fois que l’Europride, qui investit chaque année une ville européenne différente, se tient dans un pays des Balkans (Europe du Sud). La Serbie a la particularité d’avoir comme Première ministre une femme ouvertement lesbienne, Ana Brnabic, en fonction depuis 2017. Mais ce symbole décore une réalité bien moins reluisante pour les droits des personnes LGBTQI+. Par exemple, les couples homosexuels ne peuvent ni s’unir civilement, ni se marier, et sont donc privés des droits qui en découlent que ce soit l’adoption ou même l’accès à la propriété commune. Cela concerne d’ailleurs très directement la Première ministre : elle ne peut pas se marier avec sa compagne ni adopter son fils, né d’une PMA.
Malgré une série de lois anti-discriminations, les discours LGBTphobes sont décomplexés dans le pays ainsi que dans la classe politique serbe. Le leader du parti d’extrême droite Dveri – dont la coalition compte dix députés – a ainsi demandé au Parlement d’interdire les Pride "pendant 100 ans", ainsi que la "propagande transgenre et n’hésite pas à parler de "lobby LGBT à la tête du gouvernement". La puissante Église orthodoxe serbe s’est également très bruyamment opposée à la tenue de l’Europride à Belgrade : les prêtres ont plusieurs fois pris la tête de manifestations contre l’événement ces dernières semaines, et plusieurs milliers de personnes se sont rassemblés dans les rues de la capitale cet été contre les fiertés LGBTQI+.
Les tourments du président Vucic
Sous la pression de ces mobilisations et de son électorat conservateur, le président serbe Aleksandar Vucic a annoncé fin août une première annulation de l’Europride. Mais la vraie interdiction légale n’est intervenue que ce mardi 13 septembre, et visait uniquement le défilé de ce samedi. Les organisateurs ont multiplié les recours, proposé des tracés alternatifs, rassemblé 27.000 signatures sur une pétition pour maintenir la manifestation. Et ont répété toute la semaine : "Nous marcherons samedi." Finalement, parmi les plusieurs milliers de personnes qui ont participé au défilé, beaucoup sont venues sans vraiment comprendre s'il avait été autorisé légalement.
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En effet, le Président Vucic déclarait encore vendredi soir qu’il "pensait que la décision du ministère [d’interdire la marche] serait respectée". Dans le même temps, les organisateurs annonçaient que les autorités serbes leur avaient confirmé que la marche pouvait avoir lieu, suivant un itinéraire très raccourci (à peine plus d’un kilomètre). Ce samedi matin, la Première ministre en personne avait assuré que le défilé était autorisé et qu’elle "pouvait garantir la sécurité de tous ses participants".
Pour ce faire, la police a été déployée en nombre. Des rangées de CRS en tenue anti-émeute parfois recouverte d’une cape de pluie, bloquaient toutes les rues autour de la Pride. "On a vraiment eu du mal à arriver ici, raconte Teodora, enveloppée dans un drapeau trans bleu et rose, il n’y avait qu’un seul point d’entrée et il n’a été annoncé qu’à 16 heures sur internet." Soit l’heure du début du rendez-vous. "En essayant de rejoindre la marche, des policiers nous ont même dit que c’était interdit de marcher et que le défilé avait été annulé", s’exclame Paule, une Française d’une vingtaine d’années venue à Belgrade pendant un mois pour donner un coup de main à l’organisation de l’Europride.
"La première Pride n’était pas autorisée non plus, on continue l’histoire de la lutte !
Encore sidérée, la jeune femme reprend : "La première Pride n’était pas autorisée non plus, on continue l’histoire de la lutte ! Mais c’est quand même triste qu’une Pride soit encore illégale en Europe en 2022." Venu de Magdeburg, en Allemagne, Dennés Deichsel a découvert en Belgrade une ville pas si accueillante pour les personnes LGBTQI+. "Je me suis fait insulter dans la rue cette semaine", confie-t-il en s’abritant sous un immense parapluie aux couleurs arc-en-ciel. Les symboles LGBTQI+ ne sont pas très nombreux dans le défilé, à part les drapeaux et les parapluies, qui peuvent être rangés dans un sac. Les organisateurs avaient en effet recommandé de ne pas arborer de signe distinctif avant d’arriver sur le lieu de la manifestation.
Europride qui finit bien…
Quelques incidents ont émaillé le défilé, sans faire de blessé parmi les manifestants. Plusieurs groupes anti-Pride se sont battus avec les forces de l’ordre, lançant des torches et divers projectiles. La chaîne de télévision indépendante N1 rapporte qu’un homme a grimpé sur une barrière séparant le défilé et l’église Saint-Marc en insultant les manifestants, avant d’être interpellé. Pendant toute la durée de la marche, cette église, toute proche, a fait sonner ses cloches à toute volée. Sur son parvis, un petit groupe de religieux s’étaient rassemblés, la mine hostile, en brandissant de grosses croix.
Après un parcours d’environ quarante minutes, les participant·es ont rejoint le stade Tasmajdan, où était programmée une soirée de concert. Le DJ, taquin, lance It’s raining fellas tandis que tout le monde patauge dans deux centimètres d’eau. Marin grelotte en finissant sa cigarette. Venu de Zagreb, capitale de la Croatie voisine, il se félicite que la première Europride des Balkans se soit tenue à Belgrade. "Nous [en Croatie] avons aussi eu des premières Prides violentes dans les années 2000, mais nous avons pu défiler tous les ans depuis, ce qui n’est pas le cas ici [en Serbie]." Dans la capitale serbe, la Marche des fiertés n'a en effet lieu régulièrement que depuis 2014 seulement. Le trentenaire soupire : "C’est juste dommage qu’on n’ait pas pu marcher dans toutes les rues comme prévu. On a besoin de visibilité, c’est avant tout ça, la Pride !"
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Crédit photo : Oliver Bunic / AFP