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droits LGBTQIÉtats-Unis : les manip du lobby réac aidé de la Cour suprême pour autoriser l'homophobie

Par Quentin Martinez le 07/07/2023
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La Cour suprême des États-Unis a autorisé une créatrice de sites web à refuser de travailler pour des clients gays au nom de sa liberté de croyances religieuses et d'expression. Une décision d'autant plus inquiétante qu'elle est basée sur un dossier contenant des éléments falsifiés, nouvelle preuve que le lobby réac est prêt à tout pour faire reculer les droits LGBT… Explications.

"C'est une véritable boîte de Pandore qui a été ouverte, et cela vient créer un précédent très dangereux." Spécialiste des droits LGBTQI+ aux États-Unis, Anthony Castet est perplexe depuis la décision de la Cour suprême du 30 juin. Une certaine Lorie Smith, gérante de 303 Creative, une entreprise de création de sites internet événementiels, réclamait le droit d'afficher sur son propre site son refus de travailler pour des mariages homosexuels. Ayant perdu ses premiers procès intentés au niveau de l'État du Colorado, elle a saisi la plus haute juridiction du pays. Celle-ci lui a donné raison, considérant que la liberté d'expression est constitutive de l'aspect créatif de son métier, et l'autorisant ainsi à faire prévaloir ses croyances religieuses sur la loi anti-discrimination de l'État. Une décision inquiétante en soi, et qui l'est devenue doublement depuis que des informations ont été révélées selon lesquelles le dossier de la plaignante se basait sur la demande d'un client… imaginaire.

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Le cas présenté par Lorie Smith est celui d'un client dénommé Stewart, qui lui aurait demandé en septembre 2016 de créer un site internet pour son mariage avec son compagnon, Mike. Sauf que le magazine américain The New Republic a retrouvé le fameux Stewart. Dans un entretien publié le 29 juin, soit la veille de la décision rendue par la Cour suprême, l'homme affirme n'avoir jamais contacté la créatrice de sites web. "Pourquoi voudrais-je demander à quelqu'un de me créer un site web ?" s'interroge l'homme qui est lui-même… designer de sites internet, et accessoirement marié à une femme depuis plus de quinze ans. Conclusion : "Si mes coordonnées ont été intégrées au dossier, c’est qu'il a été falsifié".

Une Cour suprêmement réactionnaire

Une falsification qui n'a pas empêché la Cour suprême de statuer, et donc de reconnaître que les croyances personnelles de Lorie Smith ont pu être heurtées par une demande inexistante. "C'est très grave, cela décrédibilise totalement la Cour", pointe Anthony Castet, également maître de conférence en civilisation américaine à l'université de Tours et auteur de La fabrique de l'égalité LGBTQ+ aux États-Unis. Et de rappeler : "Pour que la Cour suprême se saisisse d'une affaire, il faut qu'il y ait un préjudice, et un lien de causalité entre ce dernier et le fond de l'affaire. Mais dans ce cas précis, je ne vois même pas de préjudice !" Selon lui, "on est hors du champ de compétence de la Cour, qui apparaît ici comme un organe politique et plus comme un contre-pouvoir juridique".

Un cap a donc encore été franchi depuis l'épisode "Masterpiece Cakeshop" en 2017. Dans cette affaire très connue aux États-Unis, un pâtissier qui refusait de créer des gâteaux pour le mariage d'un couple gay était parvenu à l'emporter sur un point de procédure, après avoir réussi à faire entendre que ses croyances avaient été heurtées par un membre de la commission judiciaire. Si la décision concernant Lorie Smith n'ouvre pas "un permis général de discriminer", explique l'universitaire, il souligne néanmoins que de graves dérives pourraient en découler : "Cette entrée dans la politique d'exemption laisse entrevoir un avenir où même les fonctionnaires, par exemple, pourraient refuser d'appliquer la loi…".

Les droits LGBT en recul aux États-Unis

La protection fédérale apportée par l'Administration Biden sur le mariage pour tous pourrait ainsi être remise en cause, comme de nombreuses autres mesures de protection des droits LGBTQI+. La Maison Blanche a d'ailleurs réagi à l'annonce de la Cour Suprême. "Le dernier jour du mois des Fiertés, la Cour suprême a ouvert la voie à la discrimination au nom de la 'liberté d'expression' pour les entreprises de tout le pays", a dénoncé la vice-présidente Kamala Harris. Et de promettre : "Le président Biden et moi-même continuerons à appliquer rigoureusement les protections fédérales contre la discrimination et à nous battre pour le droit de tous les individus à participer de manière égale à notre société".

Dernier espoir de voir cette décision retoquée, l'utilisation de faux éléments dans le dossier ouvre la possibilité à Stewart de se retourner contre Lorie Smith. "Mais je ne crois pas que les juges changeraient leur lecture du dossier, ils pourraient accorder des dommages et intérêts mais le fond resterait aussi hypothétique", analyse Anthony Castet, qui lit dans cette séquence "une forme d'activisme conservateur à la Cour suprême". Dominée par des juges conservateurs, la Cour suprême poursuit en effet de plus en plus ouvertement l'offensive du lobby réactionnaire, contre l'avortement et contre les droits LGBTQI+, en net recul dans une vingtaine d'États gouvernés par la droite américaine.

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Crédit photo : Wikimedia Commons