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buzz"Barack Obama gay" : derrière le fantasme médiatique, l'étonnante modernité d'une réflexion

Par Thomas Vampouille le 14/08/2023
Barack Obama

"Je fais l'amour avec des hommes tous les jours en imagination" est la phrase retenue par tous les articles qui ont repris, dans les médias américains comme en France, l'histoire d'une lettre écrite par l'ancien président américain en 1982 à sa petite amie de l'époque, dont deux extraits viennent de faire surface. Sauf que la lecture de ceux-ci révèle plutôt une réflexion philosophique sur l'homosexualité et le genre que la confession d'un fantasme…

"Barack Obama confesse ses fantasmes gay dans une lettre à son ex", "Un jeune Barack Obama a écrit sur ses fantasmes de sexe gay"… Relayant la divulgation d'une lettre de l'ex-président américain écrite en 1982 à sa copine de l'époque, les médias américains jouent à fond la carte de la révélation de ses supposés fantasmes homosexuels. Sauf qu'à en lire les extraits rendus publics, la missive en question dit bien autre chose, et en tout cas bien plus que cela.

C'est le New York Post qui s'est procuré les extraits en question, via le biographe de l'ex-président des États-Unis, David Garrow, qui en 2017 a publié Rising Star: The Making of Barack Obama ("Étoile montante, la fabrique de Barack Obama", non traduit en France), une somme de près de 1.500 pages retraçant l'itinéraire du démocrate. Dans une interview récente au magazine en ligne Tablet, l'auteur revient sur l'écriture de cette biographie et notamment sur les trois femmes qu'Obama a fréquentées à l'université et qui lui ont donné des lettres d'amour du jeune homme. David Garrow évoque en particulier Alex McNear, petite amie du futur président quand il étudiait à l'Occidental College, université de Los Angeles, expliquant : "Quand Alex m'a montré les lettres de Barack, elle a caviardé un paragraphe dans l'une d'entre elles et a juste dit : 'Ça parle d'homosexualité'."

"Je fais l'amour avec des hommes tous les jours"

Entretemps, les lettres originales ont été acquises par le fonds d'archives de l'Université d'Emory, dans l'État de Géorgie, où elles sont uniquement accessibles à une lecture directe, avec interdiction de les photocopier. Un ami de David Garrow est allé les lire, les a recopiées à la main et a confié les paragraphes manquants à l'auteur, avant de les fournir au New York Post. Le journal, un titre populiste et conservateur appartenant majoritairement à Rupert Murdoch, en a fait un formidable objet de buzz titré : "Barack Obama a dit à son ex : 'Je fais l'amour avec des hommes tous les jours, mais en imagination', montre une lettre".

Cette citation, abondamment relayée par des médias du monde entier, est tirée du paragraphe suivant : "En ce qui concerne l'homosexualité, je dois dire que je crois que c'est une tentative de se soustraire au présent, un refus peut-être de perpétuer la farce sans fin de la vie terrestre. Vous voyez, je fais l'amour avec des hommes tous les jours, mais en imagination." Où l'on voit que bien au-delà des "confidences intimes" (Paris Match), voire "très érotiques" (Closer) ou des "fantasmes inavoués" (Public) relevés par la presse people (mais pas que…), le jeune Barack Obama développe en réalité une réflexion sur l'homosexualité comme rapport au monde.

Ce thème du refus associé à l'homosexualité – “une tentative de se soustraire au présent” –, on le retrouve d'ailleurs, à la même époque, chez Marguerite Duras par exemple. "L’homosexualité est un refus en soi (…), par rapport au postulat phallocratique de tout pouvoir et conséquemment aux valeurs proposées par celui-ci, à ses institutions, à sa programmation minutieuse de l'interdit majeur, celui de la liberté", dit-elle en novembre 1980 dans une interview à Gai Pied. Dans son contexte, la dernière phrase d'Obama apparaît plutôt comme une illustration – "Vous voyez…" – de son propos sur le thème du refus du monde, que l'auteur dit métaphoriquement partager, qu'un aveu à sa copine d'un réel fantasme gay.

"Mon esprit est androgyne dans une large mesure"

Une interprétation qui se trouve confortée à la lecture du second extrait révélé de la correspondance amoureuse du jeune Obama, dix ans avant son mariage avec Michelle : "Mon esprit est androgyne dans une large mesure, et j'espère le rendre encore plus jusqu'à ce que je puisse penser en termes de personnes, et non de femmes par opposition aux hommes. Mais, en revenant au corps, je vois que je suis devenu un homme, et physiquement, dans la vie, je choisis d'accepter cette contingence". Une considération étonnante, sur la binarité et la contingence du genre, dans la bouche d'un si jeune homme né au début des années 60. Nous sommes en 1982, et Barack Obama n'a que 21 ans.

Si seul son auteur pourrait confirmer ou non la portée sexuellement fantasmatique de cette lettre, sa lecture dévoile surtout l'exercice d'une réflexion philosophique d'une modernité étonnante. On pense cette fois à Sartre, qui dans sa dernière interview avant sa mort, en avril 1980 toujours au journal Gai Pied, au sujet de ses personnages masculins qui se questionnent sans cesse sur les rapports qu'ils entretiennent avec les femmes et les hommes, explique : "Ce sont des hommes qui ont des rapports sexuels avec des femmes mais qui ne sont pas persuadés de leur virilité, qui ne pensent pas qu'être viril ce serait à leurs yeux une qualité essentielle". Comme Barack Obama dans sa lettre, en somme.

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Crédit photo : Stan Honda / AFP