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famillesGPA : "L'expérience des mères porteuses jette une lumière sur toutes les grossesses"

Par Nicolas Scheffer le 06/12/2023
femme enceinte GPA

Psychanalyste et spécialiste de la parentalité, Geneviève Delaisi de Parseval a travaillé avec des femmes porteuses. Elle analyse comment celles-ci dissocient le physiologique de la maternité, rappellant que cette dernière est un processus qui s'élabore en dehors des neuf mois de grossesse.

Dénis de grossesse, baby blues, problèmes de fertilité, fausses couches… la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval connaît les femmes enceintes. Depuis 1976, elle les entend sur son divan ou à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, où la psychanalyste a exercé dans le service de gynécologie obstétrique. Forte de quasiment cinquante ans d'expérience clinique, elle est formelle : ce n'est pas la grossesse qui fait la mère. Entretien.

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D'après votre expérience, quel rôle joue la grossesse dans la vie psychologique d’une femme ?

Vers le quatrième mois de grossesse, la femme commence à ressentir quelque chose de différent et d’extérieur à elle grandir dans son intérieur. C’est un sentiment très fort. Mais la psychanalyse a montré, clinique à l’appui, qu’une femme ne devient pas mère comme par magie le jour de l’accouchement. Au mieux, la grossesse est un temps privilégié d’élaboration du processus psychique de "maternalité", du fait de devenir mère, mais c'est un processus en devenir et non lié à un moment précis. Ce développement peut tout à fait exister en dehors des neuf mois de grossesse.

Alors que les librairies débordent de livres de développement personnel sur la maternité, on ne réfléchit pas autant au processus même de la grossesse. Pourquoi selon vous ?

Il y a une part de refoulé derrière cela. On a longtemps refusé de voir que la grossesse est un moment particulièrement ambivalent. Grete Bibring, une psychanalyste américaine, a par exemple montré dans les années 1950 que certaines femmes détestaient être enceintes mais devenaient de très bonnes mères. À l’inverse, il y a des femmes qui se sentent triomphantes avec un ventre énorme, mais à qui le rôle de mère pose problème. On constate des pulsions, y compris agressives vis-à-vis du fœtus, qu’on a longtemps mises de côté, quitte à laisser de nombreuses femmes dans le désarroi, faute d’écoute.

Dans la gestation pour autrui, les femmes porteuses volontaires acceptent d'être enceintes mais de ne pas être la mère de l’enfant à naître, comment cette séparation se fait-elle dans la tête ? 

Pendant longtemps, des femmes avaient huit enfants sans que l’on questionne leur plaisir évident d’être enceintes… Les mères porteuses viennent rappeler, avec courage, qu’il faut dissocier le physiologique de la maternité. En cela, leur expérience jette une lumière sur toutes les grossesses. Dès le départ, ces femmes se lancent dans une aventure héroïque : elles sont enceintes d'un fœtus dont elles savent qu’elles ne le garderont pas. D’ailleurs, généralement, elles sont tout à fait lucides sur le fait qu’il ne s’agit pas de leur enfant, elles ne l’investissent pas comme tel, d’autant qu’on parle principalement de GPA avec don d’ovocyte, donc elles ne partagent rien de leur matériel génétique avec l’embryon. Souvent, de façon très personnelle, les mères porteuses rapportent un sentiment de toute puissance, elles trouvent un sens à leur vie où elles se sentent plus fortes encore qu’un prix Nobel. C’est un désir puissant qui renvoie à un plaisir narcissique très fort.

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Un plaisir narcissique ?

Bien sûr. Les mères porteuses font un cadeau complètement inestimable, et reçoivent en retour une gratitude sans limite. D’ailleurs, on en voit certaines vouloir porter l’enfant de couples gays plutôt qu'hétéros car elles perçoivent qu’elles changent la vie de personnes qui ne pourraient même pas imaginer fonder une famille autrement que par leur truchement. Ce n’est pas rien ! Pour autant, il ne faut pas y voir du pathologique, il y a de nombreux moments narcissiques dans la vie qui apportent de la joie : quand vous vivez un succès, que l’on vous drague, qu’on vous remercie d’un service… La vie est faite de ce type de plaisirs, et la grossesse pour autrui en est un très puissant.

Pourquoi est-il important à vos yeux que la femme qui porte l’enfant dans une GPA n’ait pas donné ses ovocytes ?

La grossesse est envisagée de manière radicalement différente. En portant un enfant totalement étranger à son matériel génétique, il n’y a pas d’ambiguïté : la femme est enceinte d’un enfant qui n’est pas le sien. Peut-être que des personnes pourraient porter un fœtus pour la conception duquel elles ont donné un ovocyte sans avoir le sentiment de l’abandonner à la naissance, mais ces cas sont plus rares. Car au-delà de la génétique, il y a matériellement l’idée de donner une partie de soi, et donc ensuite d’être amputée de quelque chose.

La femme qui porte l’enfant doit-elle percevoir un dédommagement ?

Cela me paraît évident, dans la mesure où c’est un service fatigant : elle doit être dédommagée et défrayée, comme cela se fait dans les pays les plus avancés sur le sujet. Le Québec, où une nouvelle loi vient juste d’être adoptée, a dressé une liste très précise d’items à la charge de la famille. Il faut tout faire pour réduire au maximum le coût pour la mère porteuse. Quant à la rémunération, elle doit permettre de rendre service aux mères porteuses sans devenir un salaire. 

Vous préférez le terme de "mère porteuse" à celui de "femme porteuse". Pourtant, ces personnes ne sont pas les mères de l'enfant qu'elles mettent au monde !

En effet, mais elles sont mères de leurs propres enfants, elles forment déjà une famille. Cette expérience de la maternité compte beaucoup pour être mère porteuse. De plus, le terme "femme porteuse" est méprisant, vétérinaire et réifiant alors qu'il s'agit d'une expérience inestimable et digne. Outre-Atlantique, on utilise le terme de surrogate mother qui est tout à fait approprié.

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Crédit photo : Anastasiia Chepinska / Unsplash