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film"Orlando" par Paul B. Preciado : "Je ne voulais pas un nouveau docu didactique sur l’identité trans"

Par Franck Finance-Madureira le 06/12/2023
"Orlando ma biographie politique", par Paul B. Preciado

Le philosophe Paul B. Preciado nous explique la démarche de son documentaire, Orlando ma biographie politique, qui part du personnage de Virginia Woolf pour explorer les différentes façons d'être trans aujourd'hui.

"Si vous voulez faire un film sur moi, autant faire une version documentaire du Orlando de Virginia Wolf !" C’est sur cette blague que Paul B. Preciado a démarré son idée de "biographie politique", récompensée comme meilleur documentaire au dernier festival de Berlin et diffusé ce mercredi 6 décembre sur Arte (et en streaming sur arte.tv). Le film prend donc la forme d’une exploration de la figure du personnage éponyme de Virginia Woolf (1928), phare de la question queer puisqu’il est le premier à changer de genre. Avec cette idée : "Le monde contemporain est plein d'Orlandos, nous sommes en train de changer le cours de l'histoire".

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"J'ai eu une intuition qui était forte en moi, celle que le personnage de Virginia Woolf, qui était censé être un personnage de fiction, était vivant aujourd'hui mais qu'il était vraiment un personnage collectif, qu'il était une multitude, et que je faisais partie de cette multitude", développe le philosophe connu pour ses essais tissés d’intime sur les transidentités. Au fil des rencontres, il valide son intuition et construit une communauté protéiforme d’identités au travers d’une vingtaine de témoignages de personnes trans et non-binaires vivantes. "Il y a déjà plein de documentaires didactiques sur l’identité trans. Je souhaitais aborder les pratiques, les dissidences par rapport au binarisme sexuel et de genre", précise-t-il.

Je suis Orlando

Partant d’une lettre adressée à l’écrivaine britannique, Paul B. Preciado organise durant tout le film un passage de témoin mettant en valeur la parole des incarnations successives d’Orlando. Profitant des possibilités techniques qu’offre le cinéma, il brouille la frontière avec la fiction en mêlant joyeusement politique et poétique, comme une sorte d’hommage aux vies dissidentes, sur le fond et la forme : "Je savais que pour réussir cette beauté poétique, il faudrait le faire de manière très Do It Yourself. Parce que c'est ça aussi, notre propre vie, c'est une vie de bricolage, c'est une vie qui est faite dans les interstices."

Orlando, ma biographie politique pourrait se définir comme une fiction philosophique et poétique documentée par le réel. Le film ouvre le champ des possibles en permettant des rencontres, en proposant un miroir inhabituel et un terrain d’entente qui permettent plus qu’une empathie politique : quelque chose de l’ordre du sensoriel se met en place dans le sillage d’Orlando. "Chacun arrivait aux séances de travail avec ses propres problèmes quotidiens, se souvient le réalisateur. Les enfants sont déscolarisés, il y a des gens qui sont arrêtés dans la rue, pas mal de personnes sont aussi dans le travail sexuel… Malgré ses situations, parfois complexes, on sentait que Virginia Woolf nous donnait, quand même, un espace commun, comme un lieu politique qui était capable de nous accueillir, et on s'y sentait bien."

>> [Vidéo] La bande-annonce d'Orlando ma biographie politique :

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