Ovidie raconte dans son dernier documentaire, J’ai tiré sur Andy Warhol. "Scum Manifesto", disponible en replay sur Arte, ce qui a conduit Valerie Solanas à tirer sur l'artiste star du pop art.
Valerie Solanas a eu son "quart d'heure de gloire". Dans J’ai tiré sur Andy Warhol. “Scum Manifesto” – disponible sur Arte jusqu'au 24 octobre –, la réalisatrice Ovidie met en évidence cette bascule déterminante : le 3 juin 1968, la féministe radicale tire, sans le tuer, sur le pape du pop art. Si le documentaire s'attèle à expliquer le geste de Solanas en revenant sur ses rapports ambivalents avec Warhol et sur sa quête de reconnaissance déçue, il met surtout en avant une existence marquée par la brutalité masculine qui l'a conduite à la haine des hommes. En quelques coups de feu, son visage, son parcours et ses écrits se retrouvent sur le devant de la scène.
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Le personnage de Solanas fascine : ses traits durs, son regard froid fixant l'objectif des photographes. Quand les journalistes lui demandent si elle regrette sa tentative d'assassinat infructueuse, elle répond non, Warhol n'a qu'à crever. Ovidie met un point d'honneur à montrer les événements qui ont façonné cette personnalité impassible. Depuis sa naissance en 1936, dans le New-Jersey, Valerie Solanas ne connaît que la domination masculine. Elle est battue par son grand-père, violée par son père, dont elle accouche d'une fille élevée comme sa sœur. À 16 ans, elle tombe de nouveau enceinte, probablement d'un marin de passage. Elle comprend qu'elle peut se servir de son corps comme d'un outil pour s'extraire de cette existence subie. En confiant le bébé à un couple fortuné, elle parvient à se faire financer ses études et obtient sa licence. À l'heure où les jeunes filles "bien comme il faut" pensent au mariage et préservent leur virginité, Solanas se déclare ouvertement lesbienne. L'entre-soi masculin lui barrant la route de ses études, elle part pour New York en 1966, où elle se prostitue et, surtout, écrit.
Profiter de la notoriété d'Andy Warhol
De sa rage naît un pamphlet féministe, radical, porté par sa haine des hommes, le Scum Manifesto, reprenant l'acronyme de sa fantomatique Society for Cutting Up Men, l'Association pour tailler les hommes en pièces (d'autres traduiraient “pour castrer"). Elle écrit aussi une pièce de théâtre, Up Your Ass (Dans ton cul), tout aussi rentre-dedans, brutale. Elle arpente le quartier de Greenwich Village pour les vendre à la criée, sans succès.
Ovidie montre tous les espoirs que représente la rencontre de Valerie Solanas avec Andy Warhol, star médiatique et chouchou des milieux intellectuels underground : Il est pour elle l'occasion de percer, enfin. Sauf que l'artiste boude sa pièce. Pire, lorsque Solanas lui demande de lui retourner son exemplaire, il répond qu'il l'a perdu, ce qui constitue le premier affront d'une série de déceptions. Après son arrestation, elle l'accuse d'avoir voulu s'accaparer son travail.
Paranoïa ou machination, J’ai tiré sur Andy Warhol. ”Scum Manifesto“ se contente, sans le juger, d'expliquer le geste de Valerie Solanas. En revanche, Ovidie a parfaitement conscience que si la féministe radicale n'avait pas tiré sur Andy Warhol, jamais le Scum Manifesto n'aurait été édité, les écrits de Solanas seraient morts avec elle, sans postérité. Cinquante-six ans après, ses textes qui, plus qu'une soif de vengeance, transpirent une rage viscérale, brute, saccadée, affutée par des années de violence, de mépris et d'indifférence, sont repris au théâtre et inspire des autrices, Virginie Descentes en tête.
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