Élue depuis juin au Parlement européen, la députée écologiste Mélissa Camara demande aux institutions bruxelloises de réagir à la nouvelle loi contre la "propagande" LGBT+ qui vient d'être adoptée en Bulgarie, État membre de l'UE, sur le modèle de la Hongrie de Viktor Orbán.
Au sein même de l'Union européenne (UE), les gouvernements homophobes ne prennent pas de vacances. Ainsi, la Bulgarie a adopté début août une loi contre la "propagande" LGBT dans les écoles, s'inspirant de la Hongrie de Viktor Orbán elle-même dans le sillage de la Russie de Vladimir Poutine. Une prolifération que les institutions européennes n'arrivent pas à enrayer.
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L'eurodéputée des écologistes Mélissa Camara, élue en juin, appelle via têtu· la Commission européenne à lancer une procédure d'infraction contre la Bulgarie. Cette action judiciaire, activée contre Budapest, vise à faire reconnaître que la loi homophobe est incompatible avec les traités européens. S'il ne se conforme pas, l'État membre peut être soumis à une forte amende, voire perdre certains droits de représentation dans les institutions. Entretien avec la députée européenne, ouvertement lesbienne et qui compte rejoindre l'intergroupe LGBTI du Parlement.
- Vous êtes nouvellement élue au Parlement européen, comment comptez-vous réagir à la nouvelle loi homophobe adoptée en Bulgarie, pays membre de l'UE ?
C'est une loi qui va dans le même sens que celles adoptées par la Russie et la Hongrie. L'Europe a tardé à réponde aux coups de boutoir de la Hongrie contre ses valeurs fondamentales, laissant des positions antidémocratiques se répandre. Dans les prochains jours, je compte demander à la Commission européenne d'engager une procédure d'infraction car la Bulgarie viole ses obligations européennes. Je souhaite aussi que le Parlement européen prenne la parole, par le biais de sa présidente Roberta Metsola, pour condamner cette loi. L'Europe doit endiguer la dérive LGBTphobe de la Bulgarie.
- Une procédure d'infraction a déjà été lancée contre la Hongrie, avec le succès qu'on lui connaît...
Les Verts s'étaient battus depuis des années pour l'application de cette procédure. Or, plus on attend, plus on laisse ces pays opérer des coalitions pour se protéger. Si l'on ne réagit pas à cette loi bulgare, cela fera tache d'huile dans d'autres États. En parallèle, nous devons faire notre possible pour aider la société civile localement.
- La précédente composition du Parlement européen était plutôt favorable à l'avancée des droits LGBTQI+. Qu'en est-il selon vous depuis les élections du 9 juin ?
Je suis assez pessimiste. Nous n'avons jamais eu autant d'eurodéputés d'extrême droite. Jusqu'à présent, nous avions une majorité progressiste. Sa continuité dépendra d'où penchera le parti populaire européen (PPE, droite) : choisiront-ils de se rapprocher de l'extrême droite plutôt que des forces progressistes ? Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission confortée dans son poste, a fait un discours d'investiture vendeur tourné vers les forces progressistes. Espérons qu'elle continue dans ce sens.
- Pendant la campagne, vous plaidiez pour une interdiction à échelle européenne des "thérapies" de conversion. Vous avez un plan pour y parvenir ?
La différence entre le Parlement européen et l'Assemblée nationale, c'est que les citoyens peuvent interpeller par des pétitions les eurodéputés qui sont contraint de les examiner [à partir d'un million de signatures, ndlr]. C'est ainsi qu'un collectif de militants européens ont lancé une pétition pour cette interdiction [qui compte actuellement presque 100.000 signatures, ndlr]. Je les ai rencontrés à Strasbourg et nous allons voir ensemble comment on peut promouvoir l'initiative pour qu'elle atteigne le nombre de signatures nécessaire.
"Être lesbienne en politique n'est pas anodin."
- Vous avez choisi de siéger dans les commissions des libertés civiles (LIBE) et de l'égalité des genres (FEMM), comment faire vivre l'intersectionnalité à échelle européenne ?
En tant que rapporteure du budget de la commission FEMM, j'ai pu produire des amendements dans une perspective intersectionnelle pour rajouter du budget et surtout des mots qui ne sont jamais présents, "lesbienne" par exemple. C'est un moyen de faire changer la vision, c'est aussi ça faire de la politique.
- Vous qui êtes lesbienne, que vous inspire le fait que Lucie Castets, proposée à Matignon par le Nouveau Front populaire (NFP), puisse devenir la première Première ministre à l'être ouvertement ?
Les commentaires lesbophobes que l'on a pu lire sur les réseaux sociaux démontrent que l'homosexualité, notamment féminine, n'est toujours pas neutre. Je considère que la représentativité est toujours importante, notamment pour les jeunes filles qui se posent des questions et peuvent se sentir seules.
- Dans une interview à Libération Lucie Castets relativise l'importance de sa visibilité lesbienne – terme qu'elle ne prononce pas –, estimant qu'on aurait tout aussi bien pu retenir d'elle qu'elle est originaire de Caen ou qu'elle fait du sport... Qu'en pensez-vous ?
Ce n'est pas ma conception de la chose. Être lesbienne en politique n'est pas du tout anodin, et les réactions le montrent. Mais au-delà de la manière qu'elle a de voir son orientation, ce qui est le plus important, c'est le programme qu'elle porte. Gabriel Attal a beau avoir brisé un plafond de verre en étant le premier Premier ministre gay, il n'a pas porté de politique en faveur des personnes LGBTQI+, c'est même son gouvernement qui comporte le plus de ministres issus de la Manif pour tous. Lorsque Lucie Castets propose le changement d'état civil des personnes trans sur simple demande en mairie, Emmanuel Macron juge cela "ubuesque"…
- Si Emmanuel Macron refuse de nommer Lucie Castets à Matignon, que pensez-vous de l'hypothèse Martine Aubry, la maire de Lille où vous avez été conseillère municipale ?
Lucie Castets est la candidate désignée par la force arrivée en tête lors des élections législatives. Emmanuel Macron doit accepter la démocratie et la nommer. Lors des négociations, les socialistes ont appelé Martine Aubry pour la proposer, mais elle a refusé. Elle a sans doute jugé qu'il n'était pas temps pour elle de s'investir dans un nouveau sacerdoce.
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