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Nos médiastêtu·, 30 ans de fiertés à la une

Par Thomas Vampouille le 27/06/2025

[Article à retrouver dans le magazine têtu· de l'été, ou sur abonnement] Des majuscules de ses débuts (TÊTU) au point médian d'aujourd'hui, têtu· porte depuis trois décennies nos combats et nos fiertés, en premier lieu via sa couverture. Cet été, retrouvez chez votre marchand de journaux notre numéro spécial anniversaire : "On ne retournera pas au placard !"

Ce magazine, ce n'est pas que des popstars, des papiers sexo rigolos et des beaux gosses en couverture. Ce n'est pas que des plaidoyers contre l'homophobie et pour le pacs, le mariage et l'éducation sexuelle. têtu·, c'est une expérience gay universelle. Vous ne me croyez pas ? Demandez à mon ami Thierry : "On se souvient tous de la première fois qu'on a osé l'ouvrir, sinon l'acheter. On a tous une histoire de têtu·."

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Moi, c'était au début des années 2000. C'est un adolescent curieux mais honteux qui s'est glissé discrètement vers le rayon des revues de charme parmi lesquelles était souvent rangé têtu·. Accroupi, guettant l'arrivée de ma mère, je me suis saisi du "magazine des gays et des lesbiennes". Je l'ai feuilleté trop vite, d'un doigt fébrile, pour trouver dans ses pages l'écho du désir naissant qui me troublait. Certains prenaient soin d'ajouter un autre journal par-dessus celui-ci en passant à la caisse. "têtu·, tu l'achètes pas pareil que les autres, non, tu l'achètes moins fort", résumait un jour Philippe Caverivière dans un billet d'humour sur RTL. Ce vécu commun a donné naissance à la chronique qui ferme aujourd'hui le magazine en vous donnant la parole : "Mon histoire avec têtu·".

Sexy et intelligent

Quand le journal est né, ma génération regardait encore le Club Dorothée. Nous sommes en 1995, l'épidémie de sida ravage la communauté gay, l'homosexualité n'est dépénalisée en France que depuis treize ans. Alors pour son premier numéro, la couverture de têtu· se devait d'être un manifeste : "Sortez du placard." Le premier enjeu évident d'un média à l'identité homosexuelle assumée, comme le revendique en lettres d'or le numéro de décembre 1996, est d'être "visibles", fièrement "différents" (juillet 1998).

La une du magazine est l'outil premier de cette visibilité. De Rupert Everett (1996) à Eddy de Pretto (2023), d'Ellen DeGeneres (1997) à Hoshi (2021), d'Amélie Mauresmo (1999) à Aloïse Sauvage (2023), l'idée est simple : les LGBTphobies pèsent sur la commu comme sur les épaules d'un seul homme, multiplier nos fiertés permet d'en répartir le poids et de faire front. De banaliser, aussi, l'identité homo, puis queer, sous toutes ses formes et dans tous les domaines possibles.

Quand têtu· atteint sa majorité, les combats ont déjà changé. Le magazine a porté la bataille du pacs ; en 2013, c'est un fier papa gay qui s'affiche en couverture avec son enfant dans les bras. têtu· est politique, et le restera. Suivront les batailles pour le mariage, pour la PMA, pour la simplification du changement d'état civil, etc.

Le "gay gaze" porté sur les garçons s'est mué en regard queer sur le monde.

Des choix de couvertures faits au fil des années, celui du "cover boy" sexy, inauguré en 1998 et systématisé peu à peu, colle le plus à l'image de têtu·. Tous muscles dehors, le message est clair : vous pouvez nous planquer au rayon porno, on s'aime à mourir, et ces torses nus proclament qu'on n'aura plus honte. Un désir gay s'assume, un regard gay ("gay gaze") s'affirme. Politiquement, le cliché n'est pas dénué de sens : deux ans après l'arrivée des premières trithérapies, il aide au passage à remplacer l'image, imprimée dans les rétines, de l'homo malade et décharné – pensez à la performance de Tom Hanks dans Philadelphia (1993). C'est aussi – d'abord ? – un choix pragmatique, qu'explicite en 2008 l'alors propriétaire du média, Pierre Bergé : "Un choix raisonné qui a fait le succès de têtu· et qui l'a rendu, pour tout le monde, un magazine sexy et intelligent." Par "raisonné", il faut entendre commercial : l'effet d'un cover boy sexy se vérifie toujours sur les ventes du magazine, dont il faut assurer la pérennité. Après la mort de son bienfaiteur historique, le mensuel disparaîtra d'ailleurs deux fois, en 2015 puis en 2017, avant d'être relancé en 2018 dans sa forme actuelle.

Au fil des décennies, le "gay gaze" porté sur les garçons s'est mué en regard queer sur le monde. S'affirme progressivement la nécessité d'une représentation LGBTQI+ toujours plus plurielle. Au tournant des années 2000, des unes questionnent les représentations de genre : Valérie Lemercier en garçon (1999), un homme enceint pour le premier numéro du millénaire, Doc Gynéco s'appliquant du rouge à lèvres (2001), Mylène Farmer faisant mine de se raser (2008).

Représentez-moi

Face à la persistance de la queerphobie, la remise en cause de la normativité genrée reste un enjeu central. En 2017, à l'occasion d'une première relance du magazine, un garçon trans, Adrian, est pour la première fois en une. "Bye-bye le cover boy flashé, musclé, huilé. Internet est là pour ça. têtu· sur papier ne se fera pas le chantre des corps parfaits", écrit le rédacteur en chef, Adrien Naselli.

Le travail de représentations multiples reprend : Rose Walls, première femme trans à faire la une de têtu· en 2021, avant Kim Petras l'année suivante et Bambi aujourd'hui. Bilal Hassani pose en robe (2021), Nicky Doll en drag (2022), et c'est Léon Salin, garçon trans, qui reprend en 2024 le flambeau du cover boy torse nu.

Pour bâtir un monde plus inclusif, l'une de ses missions, têtu· doit aussi exister en dehors du cercle unique de la communauté LGBTQI+. On n'est pas sectaire, on aime aussi les personnalités hétéros. La première à faire la une du magazine sera Catherine Deneuve, fidèle alliée, avant que se succèdent Tom Cruise, Keanu Reeves, Matt Damon… Car têtu· est cool tout autant que politique. De Gaspard Ulliel à Artus en passant par Jamel Debbouze ou Madonna : on ne vient pas chez nous par hasard. Et c'est encore mieux quand ces alliés en couverture sont des icônes de virilité venues d'un sport roi chez les hétéros – mais aussi chez les homophobes. En attendant qu'un footballeur de Ligue 1 fasse son coming out, David Ginola, Olivier Giroud et Antoine Griezmann ont pris la une de têtu·, ainsi qu'un rugbyman, Antoine Dupont.

Malgré bien des vents contraires – homophobes comme économiques –, têtu· fête bel et bien ses 30 ans. 243 numéros au compteur, ça vous pose un magazine. Merci à vous, lecteurs et lectrices, d'avoir permis cela, et joyeux anniversaire, têtu· !

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