Abo

interviewEddy de Pretto : rencontre avec le Kid gay du rap français

Par Adrien Naselli le 09/10/2017
Eddy de Pretto Kid

Eddy de Pretto ne veut pas en dire trop. Pourtant, ses chansons intimes sont limpides, directes, incisives. Il sort son EP "Kid", porté par un clip audacieux.

Nous vous en parlions au cœur de l'été, quand Eddy de Pretto sortait son premier clip, "Fête de trop". À la découverte de "Kid", son deuxième titre, on s'est dit qu'Eddy et nous avions beaucoup de choses à nous raconter. Son disque est sorti ce vendredi 6 octobre, avec des textes percutants et un son fier qui abordent frontalement les questionnements d'une jeunesse contemporaine diluée : la mélancolie des fêtes, la drague sur les applications de rencontre, la permanence du patriarcat, la quête d'une identité propre. Discussion avec un jeune homme qui sait ce qu'il fait.

Peux-tu retracer les étapes qui t’ont conduit à sortir "Kid" ?

Eddy de Pretto : Ça a été long ! Au début j’ai dû travailler tout seul, je n’avais aucune équipe derrière moi mais j’avais l’envie de me produire sur scène. À force d’exigence, je me suis entouré de gens de plus en plus haut placés [notamment les producteurs de Booba, ndlr]. Aujourd’hui, on est une grosse équipe à avoir tout préparé.

Est-ce que le Printemps de Bourges a été un tournant ? Pensais-tu pouvoir remporter le prix Les Inouïs ?

Des groupes passés par là ont eu beaucoup de succès après, comme Christine and the Queens. Mais d'autres ne sont plus du tout connus ! Ça a été comme un tampon qui m’a surtout donné une énorme visibilité dans le milieu professionnel : "Ah, Eddy il faudra faire attention à ce qu'il fait". Après, savoir si j’allais remporter le prix… Je déteste perdre. Au fond de moi, je savais que j’allais gagner.

Quels sont les artistes qui t’inspirent sur scène ?

Je pense à David Bowie, Frank Ocean, Freddie Mercury. Remarque, Frank Ocean est assez sobre sur scène. Mon interprétation est très liée au corps, la scène est sacrée pour moi. Je ne peux pas arriver comme un rappeur à la PNL qui fume son joint en s’en foutant de son public. J’ai besoin d’avoir un énorme retour.

En quatre chansons, tu abordes l’excès de sorties et la mélancolie qui va avec, le patriarcat, la solitude des applis de rencontre et les classes sociales… Il parait que dans une ancienne chanson (introuvable depuis), tu avais écrit "Normal" sur l'’homophobie ?

J’avais une colère vis-à-vis de gens qui m'attaquaient parce qu'ils n’aimaient pas la personne que je pouvais représenter. Mais j'ai un album prévu pour début 2018 : elle reviendra, cette chanson ! En attendant, j’avais envie de commencer par ces quatre morceaux. J'ai mis en travaux les anciens morceaux que j’avais fait en solo pour les ressortir mieux travaillés…

Ton écriture est ciselée et précise, entre la chanson française classique et le rap. Comment travailles-tu le texte ?

Je mets longtemps à écrire mais je ne retravaille pas. Je retouche énormément sur le moment. Ce sont des thèmes qui macèrent, qui fécondent et qui sortent le jour où ils ont envie de sortir. Je fais des collages de choses que j’avais déjà écrites, dans le métro, sur mon portable… Sur le sens, j’essaie d’être le plus précis et direct. Il faut que ça me touche.

C’est toi qui as imaginé la mise en scène du clip de "Kid" ?

Oui ! Ça me plaisait, la salle de sport. Je trouvais que c’étaient des codes qu’on n’avait pas trop vus en France. Le paradoxe entre mon corps frêle et l'attente d'un corps musclé me plaisait.

Tu dis que tu aimes bien "la nouvelle esthétique du moche". Qu’est-ce que tu entends par là ?

Ça ne concerne que l’image, la manière de s’habiller. Un tee-shirt blanc, un jogging random et des chaussures bateau, ça peut faire un look génial pour peu qu'on le décrète. C’est l'idée de casser le trop bien apprêté. On le retrouve dans "Fête de trop", je voulais juste qu’on voie ma gueule de manière frontale, dans une salle-de-bain, et point. Dans "Kid", c’est un peu plus léché et contemplatif. Je voulais créer une figure d’Apollon raté, malgré lui.

Ta chanson fait étonnement écho aux disputes sur les études de genre en France. Est-ce que tu penses que ces débats à tort et à travers ont inspiré ta chanson ?

Je ne pensais pas que "Kid" aurait un tel écho chez les féministes. J’ai eu des tonnes de mail encourageants. La chanson est plus politique que je ne le pensais, pour moi il ne s’agissait que de mon histoire personnelle. Celle de mon père qui me disait : "Cours après les ballons et joue aux voitures".

Certaines féministes disent que c’est à présent aux hommes de faire leur révolution. Tu es d’accord ?

Oui, j’entends totalement. Ça me plait cette idée-là. Je suis confronté à la virilité dans la rue, l’image des hommes est cantonnée à des choses qui datent de trop longtemps. C’est encore une bataille personnelle pour moi. Le jour où les hommes se seront détachés de ce qu’ils sont censés représenter dans la famille, dans la société, on aura réussi. Mais il y a encore du chemin à faire car pour le moment, ce sont principalement les gens qui s’intéressent à ces problématiques et les gays qui l’ont parcouru !

Tu termines ta chanson par ce pied-de-nez que tu répètes : "Mais moi, je joue avec les filles". Pas mal de nos lecteurs pourront se reconnaître là-dedans !

J’ai écrit cette chanson pour TÊTU (rires). J’avais des copines et je préférais tout simplement jouer à la poupée avec ma voisine plutôt qu’aller jouer au ballon avec les garçons.

À lire aussi : Eddy de Pretto : "Il me semble important de raconter le monde vu par un pédé"