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LilleL’assistante familiale d’Avril, l’adolescente trans qui s’est suicidée à Lille, empêchée d'assister à l'enterrement

Par Nicolas Scheffer le 24/03/2021
Avril

Pendant 16 ans, Marie-Céline a été l'assistante familiale d'Avril, la jeune adolescente trans qui s'est suicidée à Lille en décembre dernier. Mais la famille biologique l'a empêchée d'accéder à la morgue, au cimetière et aux vêtements d'Avril.

"Elle était une très jolie fille", lâche dans un sanglot celle qu'Avril* appelait Mamou. À 69 ans, Marie-Céline Pottier a vécu le pire. En décembre dernier, Avril, qu'elle considère comme sa propre fille s'est donnée la mort, à Lille. Pire encore, Marie-Céline, elle, n'a jamais pu entamer son travail de deuil. Pour cause, cette assistante familiale qui a élevé Avril pendant 16 ans, n'a pas pu lui dire au revoir. On lui a refusé l'accès à la morgue.

Pas d'autorité parentale

Le 16 décembre dernier, le monde s'écroule sous les pieds de Marie-Céline. Elle reçoit un appel de l'Aide sociale à l'enfance pour lui apprendre qu'Avril s'est donnée la mort dans la chambre de son foyer. Deux jours plutôt pourtant, l'assistante familiale avait l'adolescente transgenre de 17 ans au téléphone. Avril lui parlait de sa transition en cours, de sa vie au foyer - où elle était arrivée il y a quelques mois. "Elle me disait qu'elle avait hâte de me voir à Noël et je lui ai promis de lui offrir de l'argent pour qu'elle puisse s'acheter de nouveaux vêtements féminins", raconte Marie-Céline à TÊTU. Quelques semaines avant son décès, le lycée d'Avril l'avait autorisée à venir en jupe, après l'en avoir d'abord dissuadée.

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"Depuis, elle ne mettait plus que des jupes. Je lui disais qu'elle était tellement belle que ça se voyait qu'elle ne tenait pas de moi !", répond celle qui l'a élevée, selon elle, comme sa propre fille. Avril a été placée à l'âge de 10 mois à l'Aide sociale à l'Enfance (ASE). Elle a été confiée à Marie-Céline, assistante familiale, qui l'a nourrie, éduquée, maternée pendant 16 ans.  Mais malgré tout son amour, Marie-Céline n'avait pas autorité parentale sur la jeune fille, qui restait sous la tutelle de ses parents biologiques. "Avril avait vraiment très peu de liens avec sa famille d'origine. Son père ne l'aurait certainement pas reconnue dans la rue", dit l'assistante familiale.

Impossibilité de lui dire adieu

Quand Marie-Céline apprend la mort d'Avril, elle ne peut pas le croire. "Je suis incapable de dire pourquoi elle a fait ça. Quand je l'ai eue au téléphone, elle n'a pas fait état d'un problème particulier", raconte-t-elle. Pour y croire, elle veut la voir une dernière fois, mais quelques heures avant de se rendre à la morgue, l'ASE l'arrête. La famille biologique d'Avril lui refuse cet adieu.

"Le suicide d'Avril commençait à faire du bruit. J'était plutôt favorable à ce qu'on parle d'elle et qu'on honore sa mémoire, mais cela gênait sa famille d'origine. Alors, ils ont refusé... et je n'ai rien pu faire". Marie-Céline n'est même pas invitée lors de l'enterrement de la jeune femme. Pour lui rendre hommage, elle a fait déposer 30 roses et deux compositions florales sur la tombe d'Avril. Pour celle qui a perdu son fils, Grégory, cinq ans auparavant, c'est une nouvelle douleur.

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"Dans la plupart des cas, les parents qui ont confié leur enfant à l'Aide sociale à l'enfance conservent l'autorité parentale. Ce sont eux qui prennent les décisions importantes pour l'enfant. L'ASE ne peut alors intervenir, sauf exception, que sur décisions usuelles liées à la vie quotidienne de l'enfant", indique à TÊTU Anne Devreese, en charge de la protection de l'enfance dans le département du Nord.

"Le métier de famille d'accueil est compliqué. Ne pas reconnaître le lien qui peut unir une femme et l'enfant qu'elle a élevé pendant des années, c'est indigne et barbare. D'autant que c'est la seule personne qui a apporté à Avril le soutien et l'amour dont elle avait besoin", réagit auprès de TÊTU Lyes Louffok, auteur de Dans l'enfer des enfants placés, où il raconte son expérience.

La chambre d'Avril n'a pas bougée

Depuis son départ, la chambre d'Avril n'a pas bougée. On y trouve encore sa guitare et ses peluches. Mais pas ses vêtements féminins, envoyés à la famille biologique. "J'aurais aimé les avoir pour les ranger dans son placard, par respect pour elle", dit son assistante familiale. Début février, elle a écrit au président du département pour faire part de ses regrets et sa révolte. En réponse, le président du département du Nord devrait recevoir cette "seconde mère" endeuillée. Marie-Céline, "pas à l'aise avec l'informatique", voudrait aussi pouvoir accéder aux vidéos TikTok d'Avril. Désemparée et ne sachant pas à qui s'adresser, elle a appelé Apple pour être aidée dans sa recherche, en vain.

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Elle aurait aimé garder ces souvenirs, voir celle qu'elle présente comme sa fille d'adoption s'amuser. "Elle m'avait montré ses chorégraphies, elle savait très bien les faire". À défaut, tous les matins, Marie-Céline lève les yeux au ciel, "je dis 'bonjour Avril, bonjour Grégory' et je pense à eux".

 

*Note de la rédaction : La jeune femme était en cours de transition. Plusieurs sources interrogées par TÊTU indiquent qu'elle n'avait pas arrêté son nom d'usage. Elle avait demandé à ses ami·e·s de continuer de l'appeler par son deadname. Mais auprès de sa mère et des personnes qui accompagnaient sa transition, elle se faisait appeler Avril. Nous avons choisi d'utiliser Avril, le prénom qu'elle utilisait le plus régulièrement.

 

Crédit photo : Mercedes Mehling / Unsplash