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télévision"L'amour est dans le pré" : l'interview replay avec Delphine, l'agricultrice lesbienne

Par Tessa Lanney le 01/12/2021
Delphine est la première candidate lesbienne de "L'amour est dans le pré"

Cette année, c'est la première fois que l'on voyait un couple de femmes dans L'amour est dans le pré. Delphine raconte à TÊTU la façon dont elle a vécu puis mis à terme à sa relation avec Ghyslaine, et revient aussi sur son parcours personnel dans le programme.

Après des semaines à suivre les histoires d'amour naissantes de douze agriculteurs et agricultrices, la saison 2021 de L'amour est dans le pré a pris fin. Lors de l'émission du lundi 22 novembre, Delphine, première candidate lesbienne de l'émission, est venue seule dresser avec Karine Le Marchand le bilan de son aventure. Si le coup de foudre ressenti pour Ghyslaine lors du speed dating s'est confirmé par la suite, le couple a fini par se disloquer. Dans une interview accordée à TÊTU, l'arboricultrice du Tarn-et-Garonne revient sur les raisons de cette soudaine séparation. Loin de regretter sa participation à ADP (voir les replay ici), et forte de ses découvertes sur elle-même, elle est plus déterminée que jamais à trouver l'amour…

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À l'heure du bilan, qu’est ce que tu conserves de l’aventure L'amour est dans le pré ?

L’amour est dans le pré m’a amenée à évoluer, dans le bon sens. J’ai réalisé que cette aventure qui aurait dû être amoureuse s’est révélée être une aventure intérieure. J’étais très heureuse d’avoir pu participer pour cette raison. C’était génial parce qu’en regardant les images a posteriori, j’ai pu prendre de la distance par rapport à la personne que j’étais et comprendre mon mode de fonctionnement. Par exemple, quand on s’est disputées avec Christelle, je me suis rendu compte que je prenais les choses trop à cœur. Christelle et Ghyslaine étaient chez moi et je voulais à tout prix que tout le monde se sente bien. J’aurais dû m’effacer à certains moments, lorsque les problèmes ne me concernaient pas. Christelle avait beau me faire la réflexion qu’on ne vivait pas en communauté, c’était bel et bien le cas. On était trois, ce qui impliquait des interactions différentes qui s’apparentaient à celles d’une communauté.

Est-ce que tout cela aura une influence sur tes prochaines relations ?

C’est sûr. Ce qui est super, c’est que les spectatrices de l'émission ont vu le 30 août un portrait de moi qui était tout simplement magnifique. Ce qu’elles ont vu, c’est moi. Mais par la suite, elles ont pu voir une autre facette de ma personnalité. Elles m’ont vue démunie dans des situations où je ne savais plus quoi dire ni quoi faire. C’est intéressant aussi. Les filles qui m’écrivent ou pensent à m’écrire ont vu cette partie de moi moins lumineuse et c’est une bonne chose.

Être la première candidate lesbienne de L’amour est dans le pré, ça t’a fait ressentir une pression supplémentaire ?

Je n’ai pas ressenti de pression, finalement. En fin de compte, pour moi, ce passage dans l’émission était une façon de semer large, de récolter abondamment. Je n’avais pas un objectif de quantité mais bien de qualité. J’espérais rencontrer celle qui ferait mon bonheur et moi le sien. C’est toujours le cas d’ailleurs.

Pendant douze ans, tu n’assumais pas ton homosexualité au grand jour. Aujourd’hui, plus de 4 millions de téléspectateurs t’ont découverte sur leurs écrans. Qu’est-ce que ça dit de toi ?

Ça montre que je suis en phase avec moi-même, pas plus, pas moins. Bien sûr, ce n’est pas évident d’exprimer un amour naissant face aux caméras. Dans l’intimité je fais preuve de moins de réserve, mais je l’ai vécu assez sereinement. La Delphine d’avant, celle qui ne s’assumait pas, serait super fière. Et en même temps tout s’est fait en douceur, j’ai été douce avec moi-même. Je savais que je n’avais rien à démontrer.

Comment es-tu accueillie par ceux qui t’ont vue dans l’émission chercher l’amour avec une femme ?

Les gens que je croise sont très bienveillants. Dernièrement, je suis allée faire une radio. J’étais en salle d’attente avec une mamie de 85 ans. Très vite, elle me reconnaît, me demande l’air de rien si j’ai bien participé à un programme sur M6. J’ai confirmé et elle trouvait ça génial. Au fil de la discussion, on en est venues à parler de tolérance. Cette dame est un trésor. Elle n’a jamais été confrontée à l’homosexualité mais fait preuve d’une grande ouverture d’esprit. Je trouve ça très prometteur.

Tu as le sentiment d’avoir contribué à une visibilisation de l’homosexualité féminine ?

Je me rends compte que, malgré moi, j’ai pu apporter quelque chose aux gens. Je ne suis pas venue pour être un modèle mais je suis admirative et reconnaissante de la réaction des gens par rapport à l’homosexualité. Notamment dans les campagnes où on me témoigne un certain respect vis-à-vis de mon coming out. On m’a beaucoup remerciée aussi parce qu’au delà de l’homosexualité, je parle d’amour. Beaucoup d’hétéros se sont aussi reconnus dans ce que j’ai vécu. J’ai essayé d’être authentique et je pense avoir réussi.

Tu disais être restée un moment dans l’observation avant de te livrer à la séduction. C’est difficile d’être démonstrative à l’écran ?

Ce n’est pas évident de faire une démarche de l’ordre de l’intime à la vue de tous… C'est vrai que j’étais aussi dans l’observation pour me protéger. Hors caméra, ça aurait été différent. Mais ce qui est particulier, c’est surtout d’avoir deux femmes chez soi qui sont toutes les deux dans l’optique de construire une relation intime. Il faut faire attention à la susceptibilité de tout le monde. En revanche, je me comportais de la même façon lorsque les caméras tournaient et quand on était seules. Je suis restée vraie, sincère. C’est aussi le retour que j’ai de mes amis, ou des gens que je croise dans la rue et qui me reconnaissent. Il n’y a pas eu un seul moment où j’ai triché.

Finalement, on a suivi ton histoire avec Ghyslaine jusqu’à ta visite à Compiègne pour un week-end surtout rythmé par des moments entre ami·es à faire du sport. Après ça, tu lui annonces que tu as besoin d’être seule avec elle pour mieux apprendre à la connaître et tu décides de prolonger ton séjour. Comment se déroulent les jours suivants ?

Eh bien, on a encore fait pas mal de sport, mais ensemble cette fois. J’ai expressément demandé à ce qu’on ait de l’intimité, alors elle a dû un peu désorganiser ce qu’elle avait prévu, sinon on aurait encore été avec ses ami·es. J’ai donc pris l’initiative de les appeler pour les décommander moi-même et leur expliquer ma démarche. Ils ont tout à fait compris qu’on ait besoin de ce temps à nous pour apprendre se connaître. Si on avait habité à 50 km l’une de l’autre, la configuration aurait été différente. Bien sûr, ses ami·es renseignent aussi sur qui elle est et j’ai beaucoup aimé la voir avec eux. Mais là, j’avais envie de vivre pleinement l’instant pour pouvoir faire preuve de discernement parce qu’il s’agissait d’un amour naissant.

Pourquoi n’y a-t-il plus d’images ensuite ?

Après ce séjour, la séparation est arrivée assez tôt. En fin de compte, il y a même eu plusieurs séparations. C’est pour ça qu’il n’y a pas eu de tournage de ce qui devait être un week-end en amoureuses. Je voulais être cohérente. L’émission s’est montrée très respectueuse et à l’écoute. J’ai eu l’impression que l’humain était placé au centre. L’accent était mis sur la construction du couple, pas forcément sur le fait de filmer. L’amour est dans le pré a même essayé de faire en sorte qu’un dialogue puisse se recréer avec Ghyslaine. J’ai ressenti beaucoup d’amour et de compassion de leur part.

Tu révèles dans le bilan que la jalousie était en grande partie responsable de votre séparation. Tu crois que les choses auraient été différentes si vous vous étiez rencontrées autrement ?

Je ne peux pas refaire l’histoire mais je pense que même si nous nous étions rencontrées en dehors de l’émission et que je n’avais reçu aucune lettre de femmes à la suite de mon passage, l’issue aurait été la même. La jalousie était là. Dès que le téléphone sonnait, elle s'imaginait immédiatement qu’il y avait une fille au bout du fil. Ce n’était pas possible. Ça ne se fait pas. Je n’ai aucun regret et je pense qu’elle et moi avions à vivre cette expérience. J’en garderai le meilleur. Pour résumer, je suis contente d’avoir croisé sa route mais je suis contente qu’on l’ait décroisée.

Rompre a été une décision difficile à prendre ?

Je suis plutôt fière d’avoir fait preuve de lucidité quant à ma décision de rompre. J’aurais pu prendre en compte certains enjeux comme l’envie d’être en couple à la fin de l’émission, mais je voulais être vraie. D’accord, ce n’est pas très confortable d’être seule au bilan, mais c’est une étape à passer. Je ne vois pas cela comme un échec.

Karine Lemarchand t’a transmis une lettre de Ghyslaine le jour du bilan. Avec du recul, est-ce que celle-ci t’a fait douter ?

La lettre ne m’a pas fait douter, même avec du recul. Ghyslaine revenait sur ce qu’on avait vécu, sur ce qu’elle avait ressenti avec moi et avec aucune autre. Il y avait beaucoup de compliments, ça m’aurait fait une super pub. Mais je pense que si je l’avais lue à haute voix, certaines femmes auraient pu croire que la flamme n’était pas éteinte. Mais c’est pourtant le cas. Pour moi, cette lettre est positive parce que, finalement, Ghyslaine était là jusqu’à la fin même si ça faisait deux mois qu’on n’était plus ensemble. C’est Gigi, c’est sa façon d’être.

Si on comprend bien, tu es entièrement prête à vivre une nouvelle histoire ?

Aujourd’hui, je pense qu’on voit que je suis prête à passer à autre chose. Mon cœur a fait du chemin. La rupture n’a pas été facile, bien sûr. J’étais en récolte, ce qui m'a permis de penser à autre chose, mais je m'étais investie dans la relation alors c’était compliqué. C’est la première fois que je me demandais si j’avais fait le bon choix puisque c’était la première fois que je quittais quelqu’un. C’était une grande découverte, et figurez-vous que ce n’est pas plus simple que de se faire quitter. Mais je suis surtout heureuse de m’être respectée en disant “non” à une relation.

Tu suscites d’ailleurs l’intérêt de bon nombre de téléspectatrices

Je reçois pas mal de courrier, je suis gâtée ! Il y a de très jolies lettres, mais parfois je n’apprends pas grand-chose sur la personne à part son nom, ce qui ne me permet pas de me faire une idée. Si j’ai un message à délivrer, c’est surtout d’accompagner les messages d’une photo. Il n’est pas question de critères physiques mais je voudrais pouvoir me faire une idée de la personne à qui je parle. Les filles m’ont vue pendant environ 1 heure cette saison, elles savent plus ou moins qui je suis. J’ai un métier assez prenant alors sans photo, sans lettre qui m’explique qui elles sont et ce qu’elles veulent, je ne réponds pas. Je suis quelqu’un de simple, de pragmatique, et quand je me retrouve face à une lettre seule, j’ai du mal à me projeter. Un sourire en dit beaucoup sur une personne.

Et pour tes prochains dates, tu prévois d’organiser des week-ends à la ferme ?

Surtout pas ! Si on habite loin l’une de l’autre, on se rencontrera à mi-chemin. Dans la vraie vie, on ne fait pas rentrer une personne qu’on ne connaît pas chez soi. Se voir dans un endroit neutre, c’est quand même plus pratique au départ. On peut s’échapper à tout moment si on en ressent le besoin. Se retrouver chez moi, après des heures de vol ou de train pour finir par avoir envie de se barrer au bout d’une heure, ça ne vaut pas le coup. Et puis après L’amour est dans le pré, j’ai besoin d’un sevrage, plus personne à la ferme !

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Crédit photo : Cécile Rogue, M6