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interview"Close", palme d’or du cœur : rencontre avec Lukas Dhont et Émilie Dequenne

Par Franck Finance-Madureira le 31/05/2022
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Close, c’est la palme d’or du cœur de têtu· au Festival de Cannes 2022. Pour évoquer ce film attendu en salles à l’automne, nous avons rencontré son réalisateur et la comédienne Émilie Dequenne. 

C’est sans doute le film qui a le plus ému les spectateurs du Festival de Cannes 2022. Quatre ans après Girl, le jeune réalisateur belge Lukas Dhont propose un film à la fois solaire et sombre, un drame intime qui met en scène deux jeunes garçons dont la relation fusionnelle va être empêchée par le regard normatif. Rencontre avec son réalisateur et la comédienne Émilie Dequenne. 

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>> Entretien avec Lukas Dhont

On imagine que le succès de Girl vous a donné de nombreuses opportunités, et vous tournez votre deuxième film près de chez vous sur un sujet très intime. Qu’avez-vous refusé entretemps ? 

Lukas Dhont : J’ai reçu des propositions très difficiles à refuser ! On m’a fait lire de nombreux scénarios qui ne me ressemblaient pas, mais certains étaient très intéressants et attachés à des acteurs et actrices que j’adorais, en France ou aux États-Unis, parfois de très grosses productions. Mais je sentais que je devais retourner avant à quelque chose de très intime pour moi. Beaucoup de réalisateurs parlent de leur difficulté à faire leur deuxième film et je me suis dit que, malgré les propositions qui pouvaient m’attirer, je voulais partir de quelque chose de très proche de moi, en famille. C’était une façon d’être très protégé.

Comment est né Close ?

Après Girl, j’avais le sentiment qu’il y avait un film en moi qui s’imposait, que je devais faire. J’ai reçu une lettre, écrite à la main, d’un très grand comédien oscarisé qui était complètement amoureux du film et qui voulait se lancer dans la production et me confier la réalisation d’un autre, mais une petite voix dans ma tête me disait "Non, tu n’es pas prêt". Et mon entourage, ceux avec qui je travaille, vous dirait que j’aime avoir la maîtrise de mes projets. Je n’avais pas envie de faire un film que je n’avais pas envie de faire, j’ai préféré être prudent.

"En ne me permettant pas ces relations quand j’étais enfant, je me suis infligé une violence à moi-même."

Est-ce que ce film s’adresse directement au petit garçon gay que vous étiez ?

Bien sûr ! Je me rappelle d’un moment précis : une performance de danse que j’avais faite à l’école quand j’avais 12 ans, j’étais maquillé avec du rouge à lèvres, et cela a été un moment honteux, on s’est moqué de moi. Une de mes professeurs m’a dit "Un jour, tu vas faire quelque chose avec ça". Ce ressenti m’a pesé très longtemps et, avec ce film, je rends aussi hommage aux garçons que j’ai tenu éloignés de moi à cause de la peur du regard des autres. J’en fais le deuil chaque jour encore. Mais oui, j’ai vraiment fait ce film pour l’enfant que j’étais ou, en tout cas, à cause de l’enfant que j’étais. Quand je suis dans le Thalys, je regarde la série Hearstopper et je pleure à chaque épisode. Ça, c’est fait pour l’enfant que j’étais à 12 ans. Je pense que, souvent au cinéma, on parle de la violence qui est faite par la société aux personnes queers, et je voulais aussi parler de la violence qui est intériorisée à cause du regard des autres, à cause de ce monde. En ne me permettant pas ces relations quand j’étais enfant, je me suis infligé une violence à moi-même. Close parle de cette violence-là. Ce qu’il faut en garder c’est que notre temps sur cette Terre est limité, que l’amitié est vulnérable et qu’il faut profiter du temps qu’on a avec les autres. 

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>> Entretien avec Émilie Dequenne

Dans Close, vous interprétez une mère de famille confrontée au pire des drames avec une pudeur immense. Était-ce un défi ? 

Émilie Dequenne : Ah oui, oui, oui ! C’est même d’ailleurs ce que Lukas m’a fait faire tout le film. À un moment donné, forcément, étant moi-même maman, rien que dans la description de ce qu’il voulait raconter et comment il voulait le raconter, notamment sur le fait d’être soi, c’est quelque chose qui m’atteinte en plein cœur. Il m’a donné beaucoup de choses à lire, des témoignages de mamans ; on ne peut pas savoir si on ne l’a pas vécu mais c’est une question d’empathie, c’est viscéral. J’ai des souvenirs très, très forts de mon adolescence, et des amitiés de la fin de l’enfance et de l’adolescence. Ça peut être extrêmement violent. Donc oui effectivement, je me souviens de cette séquence avec Eden (Eden Dambrine, qui interprète Léo dans le film, ndlr) où on est tous les deux dans la cuisine et on discute de tout et de rien, et je ne sais pas combien de fois on a recommencé. Moi je m’écroulais à chaque fois et Lukas me disait "Non, non, non, elle a une armure !". 

Vous avez commencé le cinéma très jeune, on peut imaginer que vous avez été de bon conseil pour les jeunes acteurs au centre du film…

Il y a un effet miroir très fort. Eden m’a renvoyé à quelque chose de tellement personnel, par rapport à Rosetta, parce que je savais comment étaient ses journées, je savais ce qu’il portait sur ses épaules, et je voyais à quel point il était à sa place comme je m’étais senti à ma place à son âge ou un peu plus. En connaissant Lukas, je savais que ce film allait se retrouver à Cannes, cela ne pouvait pas en être autrement  et j’avais un peu préparé Gustav (Gustav De Waele, qui joue Rémi, ndlr) et Eden car je voulais qu’ils arrivent à en profiter. Moi je n’avais pas réussi à en profiter, à l’époque, car je suis quelqu’un de très nerveuse, très anxieuse et j’ai très peu confiance en moi, donc ce genre d’événements, je n’en profite pas beaucoup. 

L’homophobie est un sujet qui vous touche particulièrement ? 

Le film m’a fait réfléchir car pour moi, c’est évident : le déclencheur de tout ça, c’est l’homophobie, c’est la façon dont on projette sur eux le fait qu’ils ne sont pas dans la norme. Si les gens étaient ouverts et n’avaient pas un regard genré sur le monde, cela créerait moins de souffrance. Je rêve qu’on supprime les genres sur la carte d’identité. Hier encore, j’étais en interview avec une journaliste qui me parlait de Girl et qui disait qu’il s’agissait du récit d’une jeune femme "transsexuelle", et ça m’a rendue dingue : mais transgenre quoi ! C’est un combat qui me touche personnellement. Ma fille va avoir 20 ans, c’est une personne merveilleuse et elle est en couple avec un garçon transgenre que j’adore. Pour moi le genre, la sexualité, ça n’appartient qu’à soi-même. L’homophobie et la transphobie, c’est inconcevable. Qu’il y ait des manifestations contre le mariage des homos, c’est un truc que je ne peux pas comprendre et cela réveille quelque chose de très ardent en moi. 

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Crédit photo : Clément Guinamard