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streaming"P-Valley" : pourquoi il faut rattraper cette série queer

Par Florian Ques le 23/06/2022
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Avec le milieu du strip-tease en arrière-fond, P-Valley (Starzplay) est la série queer dont trop de gens ignorent l'existence, loupant ainsi Uncle Clifford, un personnage flamboyant qui déconstruit les codes de genre.

Jamais une œuvre télévisuelle n'aura autant honoré l'art du strip-tease que P-Valley. Lancée à l'été 2020 alors que la France comme les États-Unis émergeaient d'une période de confinement, cette fiction estampillée Starz – accessible en streaming sur Starzplay – offrait un dépaysement nécessaire à cette période. À l'écran, les vies entremêlées de plusieurs personnages travaillant d'arrache-pied au Pynk, un strip-club située dans une bourgade du Mississippi. Et, à la tête de ce business peu commun, l'exubérante Uncle Clifford, maîtresse des lieux à la non-binarité affirmée.

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Dès sa première saison, P-Valley brasse une flopée d'intrigues au gré des épisodes : un ex-petit ami violent qui harcèle une danseuse, une autre qui s'apprête à prendre sa retraite dans l'espoir de lancer sa propre entreprise, une nouvelle venue qui débute sur scène et fuit un lourd passé... Entre magouilles pas toujours légales et états d'âme, la série s'apparente à un show de mafieux à la David Simon (The Wire, The Deuce...) qu'on aurait hybridé avec le côté glamour et sexy du strip-club. Sur le papier, avec ses héroïnes qui se trémoussent devant une foule de mecs, P-Valley a tout pour être une fiction des plus hétéros. Mais c'est compter sans Uncle Clifford.

Uncle Clifford, la personne qu'on aimerait (souvent) être

Campée par l'acteur ouvertement gay Nicco Annan, Uncle Clifford est la propriétaire non-binaire du Pynk. Un personnage qui s'ancre dans une ambivalence assumée, prenant autant soin de son collier de barbe que de ses divers talons aiguilles. "Le fait qu'elle s'approprie autant les pronoms féminins que son rôle de tonton auprès des filles du club prouve qu'elle trouve un équilibre dans tout, explique Katori Hall, créatrice de la série mais également de la pièce de théâtre Pussy Valley l'ayant inspirée. Sincèrement, je pense qu'on a toutes et tous accès à ces énergies masculine et féminine. Uncle Clifford se contente juste de les brandir fièrement sans jamais s'en excuser."

"P-Valley" : pourquoi il faut rattraper cette série queer
Crédit photo : Starzplay

Épisode après épisode, Uncle Clifford se dévoile. Une scène, on l'aperçoit en train de menacer un homme, flingue entre les mains. La suivante, elle partage des leçons de vie avec ses danseuses dans l'intimité de son bureau. De la dureté d'un mafioso à la vulnérabilité d'une maman poule, il n'y a qu'un pas... que le personnage n'hésite pas à franchir encore et encore. Une dualité inspirante, qui a d'ailleurs été conçue comme telle par les scénaristes, explique Katori Hall.

"On vit malheureusement dans un monde où il existe une homophobie crasse et j'ai l'impression qu'on n'a pas la chance de voir la queerness des personnes noires à l'écran de façon humaine, développe-t-elle. Or pour moi, c'est bien son humanité qui rend le personnage d'Uncle Clifford inspirant. Le fait qu'elle soit vulnérable : on la voit pleurer et trimer. On la voit prendre soin de sa grand-mère. Et malgré tout ça, elle reste une bad bitch. Peu importe qui tu es, tout le monde a envie d'être un peu plus comme elle." Une affirmation qu'on ne contredira certainement pas.

P-Valley, série engagée

Un autre aspect que P-Valley prend le temps de développer est la relation avec Lil Murda, un jeune rappeur à l'aube de sa carrière qui s'est entiché d'Uncle Clifford. Une relation qui se heurte à l'homophobie régnant dans leurs cercles sociaux respectifs. "C'était très important pour nous de montrer ces deux êtres humains qui se rapprochent d'une façon qui soit particulièrement passionnelle", confie la showrunneuse de la série. En découle une scène de sexe marquante à mi-parcours de la première saison.

"Il faut être prudents pour filmer ce genre de moment, signale Katori Hall. On a tout discuté pas à pas avec les acteurs, on a fait plusieurs répétitions et on a fait appel à une coordinatrice d'intimité. Il faut savoir que ce n'est pas sexy du tout de filmer une scène de sexe, c'est très technique et chorégraphié." Elle se réjouit du résultat, ainsi que des retours récoltés sur les réseaux sociaux : "On nous a beaucoup félicités parce qu'on a tenu à inclure l'usage du préservatif dans ce passage. Le fait qu'ils couchent ensemble, que ce soit aussi bouillant ET qu'ils aient pris soin d'enfiler une capote, c'est tellement rare de voir ce genre de scène à la télévision."

"P-Valley" : pourquoi il faut rattraper cette série queer
Crédit photo : Starzplay

Depuis le 19 juin dernier, la saison 2 de P-Valley a entamé en France sa diffusion sur Starzplay. Parmi les nombreux changements en vue, Katori Hall promet d'explorer davantage sa galerie de personnages en s'aventurant dans leur intimité, loin de l'éclairage néon du Pynk. La crise sanitaire est également incluse dans l'histoire et a un impact fort sur la relation queer au cœur de la série : "Je pense que beaucoup vont s'identifier à ce que j'appelle la 'soif pandémique', assure ainsi sa créatrice. C'est quand tu regardes ton téléphone et que tu vois tous ces gars que tu datais mais que tu ne peux rien faire, physiquement parlant, à cause du Covid. Donc il faut s'attendre à voir Uncle Clifford avoir ces moments de 'soif pandémique' pendant qu'il espionne Lil Murda sur Instagram…"

Une chose qui ne change pas, en revanche, est la détermination de Katori Hall à valoriser le travail de réalisatrices. À l'image de la première saison mais aussi d'une autre superbe série injustement ignorée (Queen Sugar), la réalisation des épisodes de ce second tour de piste a été confiée à des femmes. "On offre une vision qui est ancrée dans l'expérience féminine et noire, revendique-t-elle. Il est donc normal de créer des opportunités pour celles à qui on n'en donne généralement pas." Un engagement devant et derrière la caméra, donc.

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Crédit photo : Starzplay