Dans une note pour la fondation Jean Jaurès, Denis Quinqueton revient sur l'origine de la pénalisation de l'homosexualité en 1942, par le régime de Philippe Pétain. Une législation homophobe qui ne sera abrogée que 40 ans plus tard, en 1982.
"Après son café au lait et sa tartine, Pétain réprima l'homosexualité". Dans une note publiée pour le compte de la Fondation Jean Jaurès, Denis Quinqueton, ancien président de Homosexualité et socialisme, revient sur les conditions de l'adoption, sous le régime de Vicky en 1942, de la législation anti-gay qui perdura dans le droit français jusqu'en 1982.
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La loi adoptée par un décret de Philippe Pétain sera en effet conservée dans le Code Pénal à la Libération, et fera des ravages jusqu'à son abrogation grâce à Robert Badinter et la députée Gisèle Halimi. Elle aurait fait quelque 10.000 victimes, selon les historiens, condamnées pour leur homosexualité. Alors que cette année marque les 80 ans de la pénalisation de l'homosexualité et les 40 ans de sa dépénalisation, il faut revenir sur ce passé pas si vieux d'une France pratiquant l'homophobie d'État. Entretien avec Denis Quinqueton.
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Les condamnations en raison de l'orientation sexuelle en France datent-elles seulement de la loi vichiste de 1942 ?
Denis Quinqueton : Non, car avant 1942, il y avait déjà une répression arbitraire de l'homosexualité. Mais les autorités tordaient un peu les lois, ne disposant pas d'un arsenal législatif pour la réprimer. On utilisait notamment le "vagabondage" comme délit fourre-tout et totalement arbitraire ou l’attentat à la pudeur ou encore l’exhibition, même dans un lieu privé.
Quelles fins poursuivait alors cette répression de l'homosexualité ?
Mais ce zèle des forces de l'ordre avait davantage comme finalité le contrôle social que la répression à proprement parler. Il faut se représenter que la mentalité de l'époque est particulièrement patriarcale, dans laquelle la sexualité n'intervient que pour la reproduction. Dans une France qu'il faut repeupler plus vite que l'Allemagne, il s'agit d'éviter aux adolescents et jeunes adultes de devenir à leur tour homosexuels. L'époque voyait l'homosexualité à travers un prisme déformé de la psychanalyse de Freud où elle serait provoquée par un événement lors de la jeunesse. On pensait que l'homosexualité s'apprenait, ou se transmettait, jeune, au contact d'homosexuels plus âgés.
En 1942, pourquoi le régime de Philippe Pétain trouve-t-il urgent de criminaliser l'homosexualité alors que la guerre fait rage en Europe ?
Au lieu de régler les questions cruciales, le régime de Vichy s'est contenté de s'occuper de problèmes tout à fait accessoires. Cela permettait de donner l'illusion du pouvoir. La continuité entre le IIIe République et le régime de Vichy, c'est qu'un certain nombre de magistrats et de policiers s'insurgent du manque de textes pour réprimer l'homosexualité. Ils produisent des rapports, qui sont remontés jusqu'au ministère de la Justice. Et c'est ainsi qu'une différence de majorité sexuelle est établie entre un rapport hétérosexuel, où elle est fixée à 13 ans à l'époque, mais à 21 ans pour un rapport homosexuel.
Pourquoi établir une différence de majorité sexuelle plutôt qu'une condamnation de l'homosexualité, comme dans d'autre pays ?
Je pense que c'est la première idée qui leur est venue : les autorités ont hésité sur l'âge, mais pas sur le principe d'une différence de majorité. Le crime de sodomie avait été supprimé par la Révolution, sur le principe qu'il ne peut y avoir de crime sans victime. C'était difficile de revenir sur un principe de droit qui a survécu à de nombreux régimes. D'ailleurs, les autres pays ont intégré dans leur Code pénal une répression bien avant la France. En Angleterre, l'homosexualité est réprimée dans la première moitié du XIXe siècle, et en Allemagne à la fin du XIXe siècle.
La répression visait particulièrement… les marins. Pourquoi ?
Les marins étaient une figure ultra homoérotique de l'époque, un peu comme les sapeurs-pompiers aujourd'hui. Le ministère de la marine se plaignait de cette réputation, sans parvenir à convaincre. Il faut se remettre dans le contexte d'une France qui appuie sa puissance sur sa marine et ses colonies. Militairement, la marine était donc très prestigieuse. Selon la pensée de l'époque, les autorités veulent endiguer l'homosexualité plus que la faire reculer. Quand on regarde les débats autour de l'amendement Mirguet [en 1960, l'Assemblée nationale vote ce texte définissant l'homosexualité comme "fléau social", ndlr], les parlementaires sont affolés par ce qu'ils estiment être une démocratisation de l'homosexualité. On découvre que cela concerne toutes les classes sociales. C'est une angoisse irrationnelle avec de gros relents homophobes que l'on retrouve encore aujourd'hui, par exemple, dans la dénonciation des interventions en milieu scolaire, pourtant indispensables.
Quels effets ont cette loi sur la vie homosexuelle ?
Dans les années 1950 et 1960, notamment, il y a une atmosphère particulièrement lourde du fait de la capacité d'intimidation causée par cette loi. Elle crée une suspicion généralisée, notamment chez les jeunes. Les parents n'hésitaient pas à porter plainte lorsqu'ils apprenaient que leur enfant presque majeur avait eu une relation sexuelle avec une personne de même sexe qui l'était tout juste. Sur les lieux de drague, évidemment, on n'allait pas demander un extrait de naissance à un jeune homme que l'on croisait. C'étaient des années clandestines qui empêchaient la rébellion.
On a du mal à évaluer précisément le nombre de victimes de cette législation homophobe…
Je connais le travail de Régis Schlagdenhauffen [historien, ndlr] afin de comptabiliser le nombre de condamnations pour homosexualité. Mais on n'arrivera jamais à un chiffre exhaustif : il y avait tout un éventail de moyens légaux permettant d'emmerder les homos. Ce que l'on sait, c'est qu'il y a au moins 10.000 condamnations, et certainement énormément plus.
Pourquoi est-ce important à vos yeux, aujourd'hui, de revenir sur cette histoire ?
C'est une culture que la génération qui m'a précédé ne m'a pas transmise. Car c'est un élément de culture qui a été écrasé par l'arrivée du sida. À peine la dépénalisation était-elle acquise que l'attention s'est portée sur l'urgence du moment. Tout ne se joue pas autour de la loi, mais il y a quelque chose dans la bataille culturelle et la visibilité : si l'on ne parle pas pour nous-mêmes, on laisse les magistrats et les policiers le faire pour nous. Et aujourd'hui, dans la sphère politique, ceux qui parlent de nous sont nos adversaires.
Vous soutenez donc l'initiative de têtu· appelant l'État français à reconnaître officiellement cette histoire ?
Excellente initiative, en effet. J’invite chacune et chacun à signer la pétition comme je l’ai fait sur change.org. L’Etat doit reconnaitre qu’il est sorti de son rôle avec une telle législation. Alors qu'on est inscrit dans une époque saccadée pour les droits humains, c'est une manière de rappeler à l'avenir que ce ne serait pas une bonne politique de revenir en arrière. Ce n'est pas une assurance tout risque, mais c'est un moyen de protéger les droits acquis.
► Signer la pétition : Pour que la France reconnaisse sa répression anti-gay
Crédit photo : Gai Pied, archive