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spectacle"Les Possédés d'Illfurth" : démons d'hier et d'aujourd'hui

Par Aurélien Martinez le 28/12/2022
Lionel Lingelser, les possédés d'Illfurth

[Article à retrouver dans le magazine têtu· chez vos marchands de journaux] Seul-en-scène de Lionel Lingelser, Les Possédés d’Illfurth entremêle blessure intime et histoire de possession dans un geste artistique d’une immense force. Nous avons rencontré le comédien entre deux dates d’une longue tournée française.

Un soir, au bar d’un théâtre. Un homme d’une soixantaine d’années, visiblement bouleversé, s’avance vers le comédien Lionel Lingelser, qui vient de terminer une représentation des Possédés d'Illfurth. Le spectateur veut faire signer le texte du spectacle qu’il a déjà vu plusieurs fois. Il bredouille timidement : "Vous savez, ce qui vous est arrivé m’est arrivé aussi." Lionel Lingelser, qui dévoile sur scène une agression sexuelle dont il a été victime plus jeune, est ému par cette révélation, comme il nous le raconte quelques mois après : "Plusieurs fois, des gens sont venus me confier leur histoire. Ce que je raconte résonne fortement en eux, les chamboule ; ça me touche. Après, ce spectacle n’est surtout pas une thérapie pour moi, je suis serein et en paix avec tout ça. Mais s’il peut soigner les autres, c’est bien."

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Pourtant, son spectacle part d’un fait divers bien loin d’aujourd’hui et, a priori, de lui. Il s’est déroulé il y a plus de 150 ans à Illfurth, petit village alsacien, au sein même de la ferme où son grand-père a grandi. Dans une famille quelconque, deux des enfants sont atteints d’un mal mystérieux. Et s’ils étaient sous l’emprise de démons maléfiques ? Une possibilité qui inquiète d’abord tout le village, puis ensuite les autorités nationales et religieuses, qui prennent ce cas très au sérieux.

Un spectacle sur la possession et l'emprise

"Je pense que dans la bibliothèque de tous les Illfurthois, il y a le bouquin qui relate ça", explique Lionel Lingelser, qui a toujours su qu’il ferait quelque chose d’artistique de cet épisode historique. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’en travaillant avec l’auteur Yann Verburgh, la grande histoire rejoindrait la sienne via un double de fiction : "Avant que Yann commence l’écriture, je me suis vraiment livré à lui, je suis allé très loin." Jusqu’à lui dévoiler une blessure intime vécue à l’adolescence. "Avec Yann, on s’est finalement dit que la clé de voute du spectacle, ce serait la possession, l’emprise sur l’autre."

En s’écartant très vite du fait divers historique, Les Possédés d'Illfurth devient alors un seul-en-scène fort qui, après les avoir fait rire, laisse beaucoup de spectatrices et spectateurs bouleversés – c’était du moins le cas le soir où nous l’avons découvert. "Je voulais que ce spectacle retourne les gens", nous confie Lionel Lingelser, qui réussit son pari grâce au récit, bien sûr, mais aussi à la façon qu’il a de l’incarner, très physique – il finit chaque représentation en nage. Sur scène, il campe ainsi plusieurs personnages qui ont croisé sa route, dépeints avec talent.

Au vu du succès rencontré (en juillet, il a joué la plupart des soirs à guichets fermés dans le off du Festival d’Avignon), Lionel Lingelser sait que ce spectacle va vivre de nombreuses années à ses côtés : "Je suis parti pour le jouer encore longtemps, peut-être jusqu’à 50 ans !"

"Les Possédés d'Illfurth" de Lionel Lingelser & Munstrum Théâtre from La Filature on Vimeo.

>> Tournée en France (Dinan, Évreux, La Réunion, Montreuil, Lorient…) jusqu’en mai, avant de nouvelles dates pour les saisons prochaines. Calendrier complet sur le site de la compagnie Le Munstrum Théâtre.

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Crédit photo : Jean-Louis Fernandez