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Nos sériesDanièle Cottereau, pionnière des ondes lesbiennes

Par Tom Umbdenstock le 16/06/2023
Portrait de la militante Danièle Cottereau

[N'oublions pas nos militantes, ép.2] Militante lesbienne et féministe, animatrice de la première heure sur Fréquence Gaie (devenue Radio FG), mais aussi peintre et musicienne engagée, Danièle Cottereau fait le récit à têtu· de ses années rebelles. 

À la gare d’Aulnay-Sous-Bois, Danièle, 74 ans, nous attend. Sa veste blanche la distingue de la foule. Comme sa voix de fumeuse invétérée, et son air provoc’ post soixante-huitard lorsqu'elle hurle “ta gueule” au chien qui beugle derrière une grille dans ce quartier pavillonnaire où nous la suivons jusqu'à chez elle ; une maison où elle habite seule depuis quinze ans.

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Danièle est née Paris, dans le 17e arrondissement, d’un père prof de français et d’histoire-géo, et d’une mère secrétaire dans les ministères. Sa jeunesse se passe entre Saint-Ouen, proche banlieue nord de la capitale ; le XIXe arrondissement, porte de Pantin, où elle grandit ; le lycée Bergson, où elle étudie ; et les buttes Chaumont, où elle passe le reste du temps. À ses camarades de classe, elle dira “je sais que ne me marierai pas”. À l'époque, le mariage pour tous est en effet loin d'être d'actualité.

Un réseau de copines lesbiennes

À cinq ans, j'étais amoureuse de l'institutrice, nous confie Danièle Cottereau. Même si à cet âge, tu ne te dis pas que tu es lesbienne, évidemment. Et puis à huit ans, j'ai été amoureuse de la fille du boucher. À quinze ans, j'étais amoureuse d'une autre fille, et à dix-huit, d'une autre encore.” Pas la peine de faire de coming out auprès de sa mère, qui tombe sur une carte postale arrivée tout droit du Brésil, dans laquelle une certaine Natacha lui écrit qu’elle l’aime et l’embrasse. Du côté paternel : “On ne parlait pas au père de ce genre de choses à l'époque.” Etait-ce difficile d’être une adolescente lesbienne dans les années 1960 ? “Je ne me suis pas rendu compte tout de suite de la difficulté que ce serait.

À Paris, dans sa jeunesse, “il n'y avait pas un 'milieu', comme chez les garçons". "On avait un réseau de copines”, explique Danièle Cottereau. Quelques endroits où se retrouver existent toutefois, comme le bar Le Champmeslé, ou Le Katmandou, “une boîte de femmes rue du Vieux-Colombier”. “Quand j'avais fini de bosser [au théâtre Le Lucernaire, où elle travaillait à l'époque], j'allais y boire un verre, seule ou avec des copines.

Les années MLF de de Danièle Cottereau

Vers 1973, quelque chose comme ça”, elle rejoint le Mouvement de libération des femmes (MLF) aux côtés de Cathy Bernheim ou de Liliane Kandel, qu’elle connaissait bien, mais aussi de Delphine Seyrig, Françoise d’Eaubonne ou Monique Wittig. “Moi, j’écoutais”, se souvient celle qui préfère ne pas utiliser l’abréviation MLF –“ce nom a été déposé comme marque commerciale par un petit groupe dont je n’ai pas fait partie.” Antoinette Fouque, militante féministe historique, déposera en effet la marque en 1979, créant une scission dans le mouvement. 

Au MLF, où se trouvent à l'époque beaucoup de lesbiennes, se mêlent des réunions durant lesquelles “on pouvait se retrouver à 20 ou 50” et des actions plus ou moins improvisées. Ou encore des moments d’activisme, comme ce jour où les militantes se sont rendues rue Saint-Denis. "Il y en a deux ou trois qui sont rentrées dans un sex shop et qui ont sorti des poupées gonflables en disant ‘la pornographie, ça pue’”, raconte la militante.

La préoccupation première des femmes du MLF est alors la disposition de leur corps avec, en premier lieu, le droit à la contraception et à l’avortement. Le corps des femmes, “lieu symbolique de la domination masculine, que nous nommons rapidement : phallocratie”, peut-on lire dans l'autobiographie Amazones du soir, bonsoir, parue en 2011. Lesbiennes et féministes s’accordent alors pour lutter contre un monde voulant, selon les mots de la militante, “maintenir la femme dans une relation de soumission et de dépendance à l’homme, afin qu’il puisse avoir des relations sexuelles avec un “objet” qu’il juge inférieur à lui et dont il a la propriété et l’exclusivité.”

Dans ce groupe, Danièle Cottereau noue surtout des affinités. “J'y allais de temps en temps, mais je ne me sentais pas complètement investie”, reconnaît-elle. Plus réformiste qu’activiste, du moins plus dans l’action que dans les débats, qu’elle juge parfois stériles, elle milite toutefois activement jusqu’au début des années 1980. Elle participe au collectif Femmes et à la section des artistes interprètes au sein du Parti socialiste, qu’elle quitte rapidement à la suite d'un vote pro-nucléaire qu’elle désapprouve.

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Fréquence Gaie, une radio associative

C’est finalement dans la jeune station Fréquence Gaie (qui perdure depuis 1991 sous le nom Radio FG) que Danièle Cottereau brillera le plus activement. En 1981, alors que Mitterrand met fin au monopole de l'État sur la bande FM, Danièle apprend l’existence de cette radio libre : “C'est une copine qui a dû me dire ‘tiens, il y a une radio homo’. Puis, en écoutant, je suis tombée sur une émission de petites annonces féminines. Les animatrices étaient assez délurées et joyeuses. Et donc, à la fin de l'émission, j'ai téléphoné en disant ‘Écoutez, si vous avez besoin de quelqu'un, même pour faire le café, je suis là’." C'est ainsi qu'en décembre 1981, la militante fait son entrée à Fréquence Gaie, dont elle sera une des toutes premières animatrices. La radio, associative et en quête de bénévoles, a pour objectif d’émettre 24h/24. Autant dire que tous les soutiens sont les bienvenus. À l’époque, les locaux se trouvent dans un ancien magasin, à Montmartre, dans lequel on entre à quatre pattes sous une grille à moitié fermée pour éviter l’intrusion potentielle d’homophobes. 

Noël est arrivé là-dessus. Une animatrice avait de la famille en province, donc elle ne pouvait pas faire l'émission ce jour-là. Je me suis retrouvée toute seule à l'antenne pour la remplacer”, se souvient Danièle Cottereau. Quarante ans plus tard, difficile pour elle de faire le détail des nombreuses émissions auxquelles elle a participé. Pour en dresser la liste, elle préfère renvoyer à son livre, page 117. On y trouve Cœur de Femmes, La Pêche à la ligne, Atout cœur, Pour ou contre, Dix questions dix réponses, Cinéma de traverse, Sapho night, et peut-être surtout : Amazones du soir, bonsoir ! 

À Fréquence Gaie, Danièle l'animatrice vit de belles années parsemées d’épisodes qu’elle prend plaisir à raconter. Comme celui où l’équipe a accepté le principe d’une interview de Jean-Marie Le Pen “pour voir ce qu’il avait dans le bide”. À l’antenne, l’invité envisage sérieusement la lobotomie comme réponse à l’homosexualité. “Au moins ça avait le mérite d’être clair”, ironise aujourd’hui Danièle. Ou encore cet épisode où elle ordonne à une des invités, dont elle apprend qu'elle n’a que 17 ans, de se mettre dans un coin du studio et de rester muette. 

"Nous sommes des femmes, pas des sous-pédés”

Elle raconte également que lors d'un autre épisode, un membre de la radio s'est avancé en disant de “Nous, la radio des pédés”. Et Danièle de répondre “... et des lesbiennes”, argumentant volontiers que “non, ce n’est pas pareil, nous sommes des femmes, pas des sous-pédés”. Car des femmes, il y en avait peu à Fréquence Gaie. Environ 25 sur les quelque 140 bénévoles de la station. Et seules quatre donneront leurs nom et prénom au micro, de peur d’être discriminées ou agressées. Si la loi menait les gays et lesbiennes vers plus d’égalité, les “mentalités sont toujours lentes à évoluer”, écrit Danièle. 

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Des courriers d'auditrices innombrables

Pourtant elle reçoit des petites victoires par dizaines, sous forme de courriers, parmi lesquels des lettres et des cartes postales d'auditrices évoquant leurs vacances, et dont certaines lui déclarent même leur flamme. Une certaine Anne lui écrit, reconnaissante : “C’est mille fois vrai, Fréquence Gaie est un des instruments, un des piliers de la communauté homo. Je le ressens ainsi, c’est un lien pour moi qui vis encore mon amour pour une femme dans la clandestinité”. Une autre, Natacha, raconte : “Ça fait trois mois que mon transistor est bloqué sur 90FM [...] j’ai mis fin à mon nomadisme hertzien pour me fixer chez vous. J’y ai découvert un beau et doux climat, des voix féminines pleines de charme, de fraîcheur, d’humour, etc… (stop sinon j’en mets des pages) [...]”

Danièle, heureuse d’avoir pu libérer les ondes des lesbiennes, est encore surprise aujourd’hui de la jeunesse des auditrices qui lui ont écrit : “Quand t'es jeune, t'es pas sûre de toi. Elles me disaient que je leur apportais une sécurité, une bonne ambiance, beaucoup de rires, beaucoup de blagues. Du coup, elles se disaient que c'était pas si terrible d’être lesbiennes, puisqu'il y en a qui en rigolent”. 

Turbulences sur les ondes

Les premières années de Fréquences Gaie ont aussi été parmi les plus tumultueuses de la station. La radio a en effet été menacée très tôt. D’abord de disparaître dans le tri opéré parmi les nouvelles radios parisiennes – en janvier 1983, les auditeurs de Fréquence Gaie seront 6.000 à manifester pour que la station garde sa place sur les ondes, sans être noyée par les autres radios avec lesquelles elle doit partager sa fréquence. Puis par les désaccords sur l'organisation et la grille des programmes. Le matériel sera même confisqué pendant une journée par une partie de l’équipe dans une brève tentative de putsch. Le tout sur fond de désaccords politiques.

“Une fois que j'ai claqué la porte, que ce soit au travail ou dans mes relations amoureuses, je ne reviens pas en arrière."

En 1984, la radio se dirige vers un modèle commercial que Danièle ne cautionne plus. Une orientation nouvelle qui menace la présence d’émissions lesbiennes et la diversité, chères à l’animatrice qui rend son tablier en janvier 1985. L’occasion pour elle de réhausser un peu son niveau de vie : “Je gagnais très peu d'argent et je me disais qu’il serait peut-être temps de me mettre au boulot.” Lui passe ensuite l’envie d’écouter la station : “Une fois que j'ai claqué la porte, que ce soit au travail ou dans mes relations amoureuses, je ne reviens pas en arrière. Quand c'est fini, c'est fini.

Elle gardera toutefois un pied dans le monde militant en jouant sa musique (guitare/voix) à la maison des Femmes, au Palace et aux fêtes du journal Homophonies – magazine du Comité d'urgence anti-répression homosexuelle (CUARH). Elle publie aussi des dessins humoristiques dans les journaux du PSU (Parti socialiste unifié), puis dans la revue du ministère du Droit des femmes, Mignonne allons voir sous la rose, et dans le Canard enchaîné. Elle tentera même de faire un journal humoristique féministe, Folles Alliées, qui ne fera que deux numéros. Signe qu’elle n’a pas oublié ses années militantes, elle co-organisera en 2010 les 40 ans du MLF. Mais surtout, après ses années de radio, elle renouera avec ses premières amours : la peinture, qu’elle exerce en dessinant des fresques depuis près de 30 ans.

Avec son emménagement à Aulnay-sous-Bois, Danièle s’est éloignée de la vie militante en même temps que de sa vie parisienne. “J’habite seule avec maman”, chantonne-t-elle, comme pour adoucir le message. Sa dernière rupture lui a passé l’idée d’aimer une femme à nouveau : “Je suis bien chez moi et je n’imagine pas vivre avec quelqu'un." Avec Danièle, quand c’est fini, c’est fini.

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Illustration : Thibault Milet