En compétition au dernier Festival de Cannes, Le Retour est sorti au cinéma ce 12 juillet. Dans ce film tourné en Corse, la réalisatrice Catherine Corsini revisite ses racines et explore les premiers émois d'une ado lesbienne.
Deux ans après La Fracture, qui lui avait valu la Queer Palm 2021, Catherine Corsini retrouve le chemin des salles avec Le Retour. Dans ce nouveau film, les destins mêlés de Khédidja et de ses deux filles, Jessica et Farah, qui déménagent en Corse où la mère a décroché un job de nourrice au sein d'une famille aisée. Les adolescentes vont découvrir l'île et renouer avec une partie de leur histoire et de leur famille. Pour l'aînée, ce sera aussi le temps de l'exploration de son homosexualité.
Bien que secoué par plusieurs accusations anonymes dénonçant les conditions de tournage, auxquelles la cinéaste a répondu dans un entretien au Monde, Le Retour était en compétition officielle du dernier Festival de Cannes. C'est là-bas, sur une terrasse du Palais des festivals, que la réalisatrice lesbienne nous a accordé un entretien. L'occasion de revenir sur les origines de son douzième long-métrage, pour lequel elle s'est grandement inspirée de sa propre vie, et sur l'importance de proposer, aussi, des récits optimistes.
Pourquoi avoir choisi la Corse pour raconter cette histoire ?
C'était une évidence pour moi. C'est mon histoire, c'est la part manquante de ma vie. Quand mon père est mort, à 26 ans, ma mère, qui n'en avait que 24 ans, m'a coupée de ma famille corse. C'était probablement trop douloureux pour elle d'y revenir. J'ai ressenti un grand manque, et je n'y ai remis les pieds que tard, à 15 ans. Ce fut un choc extrêmement violent, qui fait que j'ai ensuite mis une quinzaine d'années avant d'y retourner une seconde fois. Depuis, je n'ai cessé d'y aller pour retrouver cette famille que j'avais mise de côté.
Vous avez tout de même mis du temps avant de revisiter cette histoire au cinéma.
Il m'a fallu du temps pour tout conscientiser. Le film m'a permis de faire le deuil de ce père, très fantasmé, et d'aller vers une réconciliation avec la Corse. Pendant longtemps, je m'y sentais comme une banale touriste qui profitait du soleil sur la plage. Puis, petit à petit, j'ai appris à comprendre ce qu'être Corse voulait dire. Je voulais faire le portrait de cette île avec ses contradictions. Les Corses sont plus complexes que l'image xénophobe, raciste et homophobe qui leur est souvent rattachée.
Le film est porteur d'un certain optimisme. C'est important pour vous ?
Même si je suis d'une nature profondément pessimiste, j'essaie de faire un cinéma qui amène cette espérance. Les films doivent renvoyer des messages de courage et porter un certain optimisme si l'on ne veut pas sombrer dans la dépression et la folie, surtout aujourd'hui où les fractures sont de plus en plus visibles et violentes.
Les premiers amours d'été sont quasiment un genre cinématographique à part entière. Vous vous êtes inspirée de films en particulier ?
Il y a évidemment Call Me by Your Name, qui partage des thématiques similaires. C'est un film très puissant et très doux, et je voulais que cette même douceur accompagne la sensualité et la violence du paysage corse. Mais je tenais aussi à ce que la mère ait droit à la sexualité et ne soit pas simplement dans le sacrifice. Ça me semblait très important.
Il y a une romance entre deux femmes dans le film. À quel point mettez-vous de vos propres expériences ou ressentis dans les histoires lesbiennes que l'on peut voir dans vos films ?
Avec La Belle saison, c'était les années 70, donc ça correspondait beaucoup à ce que ma génération et moi-même avions vécu. On vivait cachés. Au boulot, les filles faisaient semblant d'avoir des maris ou des amants. De jeunes garçons se suicidaient. Puis il y a toute la période du sida... C'était d'une violence. Aujourd'hui, c'est différent : Jessica [jouée par Suzy Bemba dans le film] assume d'aimer une fille, et elle fonce. Quand je vois les filles de mes copains qui ont 13 ou 14 ans dire qu'elles sont lesbiennes, ça me met en joie. Que de temps gagné !
En quoi travailler avec Naïla Guiguet au scénario vous a aidée à dépeindre la jeunesse contemporaine incarnée par Jessica et Farah ?
Elle m'a été d'une aide précieuse. Naïla aussi est homosexuelle, elle a des enfants avec sa copine et elle vient d'un milieu plutôt pauvre. Elle se reconnaît autant dans Farah et son côté rebelle, qu'elle avait aussi étant plus jeune, que dans Jessica et son parcours de transfuge de classe. Elle a posé un vrai regard contemporain sur cette histoire. C'est une collaboration qui m'a réveillée, et j'avais à cœur d'aller vers la jeunesse.
Y a-t-il d'autres jeunes scénaristes dont vous appréciez le travail ?
Je pense surtout à des réalisatrices comme Lola Quivoron ou Héléna Klotz. J'adore aussi le travail d'Alexis Langlois qui a une proposition vraiment incroyable. Ce sont en tout cas des gens que j'ai rencontrés et avec qui je me suis extrêmement bien entendue.
>> [Vidéo] Bande-annonce du film Le Retour :
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Crédit photo : Le Pacte