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spectacleRomain Brau : "J’aime rassembler les gens, les talents, c’est ça qui m’excite"

Par Aurélien Martinez le 04/10/2023
Romain Brau, par Jean Ranobrac

Chanteur de cabaret, comédien de cinéma et de théâtre, styliste confirmé… Romain Brau donne son nom à son premier spectacle chanté intense et drôle, à voir cet automne au Palais des glaces à Paris.

Que ce soit devant un public ou en interview, tout est excessif, théâtral, grandiose avec Romain Brau, "artiste de scène", comme il se définit. Sur le plateau, celui que l’on a pu voir au cinéma (Les Crevettes pailletées), au cabaret (chez Madame Arthur) ou au théâtre (en juin dernier avec Helena Noguerra) a tout d’une star. Accompagné de la pianiste Leslie Bourdin, et vêtu de sublimes tenues qu'il a créées avec soin, il se met à nu (littéralement sur l’affiche) en chansons comme en textes, souvent très drôles.

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Bienvenue dans le cœur d’un touche-à-tout singulier au parcours riche, cabossé, et surtout fascinant, qu’on le connaisse ou non. Car si le monde de Romain Brau est à mille lieues de celui du commun des mortels que nous sommes, derrière les paillettes – et les lunettes de soleil qu'il porte ce jour, attablé face au Génie de la Bastille, à Paris –, ses questionnements, eux, sont aussi les nôtres. "Tant mieux si on me montre du doigt, C’est parce que je montre le chemin, Quand on me regarde et qu'on dit : c’est quoi ?, Je réponds que je suis demain." (extrait de sa chanson "Brûlez-moi").

Comment est né ton spectacle, sobrement intitulé Romain Brau ?

Tout a commencé durant la tournée promo des Crevettes pailletées. On nous avait donné des bombers bleus comme ceux du film, mais j’ai refusé de porter le mien – je ne voulais pas ressembler à un sac à patates ! Donc, à chaque projection, je débarquais en tailleur, en robe de soirée, maquillé comme jamais ; je faisais le show… Ça plaisait tellement à notre attachée de presse qu’elle m’a dit un soir, enthousiaste, qu’il fallait qu’on imagine quelque chose ensemble.

Quelque chose, mais quoi ?

Un show bien sûr ! Ce que je ne savais pas, c’est qu’elle travaillait avec le service presse de Live Nation, la plus grosse régie mondiale de show businessman, avec laquelle elle m’a organisé un rendez-vous. Je ne suis pas conne, avant d’y aller, j’ai mis dans la boucle Nicolas Boualami, la personne avec qui j’ai écrit le spectacle, vu que je ne fais jamais rien seul : j’aime rassembler les gens, les talents, c’est ça qui m’excite. Ils nous ont donné carte blanche, on s’est lancés… et le covid est tombé quelque semaines après ! On a donc eu plus d’un an pour écrire ce spectacle.

Ce spectacle n’est pas une fiction ou un prolongement du personnage que tu joues dans Les Crevettes pailletées, mais parle tout simplement de toi…

Oui ! On a commencé par écrire des chansons sur ma vie, et l'on a aussi travaillé avec d’autres : Martin Dust, le cofondateur du Cabaret de Poussière, nous a fait "Brulez-moi", et Doriand, qui écrit aussi pour Mika, Keren Ann, Vanessa Paradis…, nous a offert "Danse-moi". C’était la folie ! J’ai l’impression d'avoir reçu plein de magnifiques cadeaux.

On trouve dans ce spectacle des chansons légères, mais aussi d’autres plus personnelles, à l’image de Suzanne, dans laquelle tu chantes le harcèlement que tu as vécu enfant

C’est sans doute la plus personnelle. C’est Nicolas qui l’a écrite. On s’était mis sur son lit pendant deux heures, je lui racontais des anecdotes d’enfance – j’étais très réservé, timide, sans amis –, dont cette histoire de Suzanne qui m’a traumatisé. Une semaine après, il arrive avec une poésie complétement bouleversante. Je n’ai pas envie de faire partie d’un phénomène de mode ou d’actualité, mais je vois bien qu’elle résonne aujourd’hui. Quand l’émission Culturebox m’a invité, ils m'ont demandé de chanter Suzanne parce qu’ils trouvaient important qu’on l’entende à la télé.

Le spectacle est composé de chansons (dont une reprise de Cabrel), mais aussi de textes tout aussi personnels…

On s’est mis à les écrire pour raconter, expliquer les choses, partager des anecdotes très privées… Des messages sur la santé, la famille, l’éducation… Je me suis fait violence. Je me souviens avoir fondu en larmes un jour de répétition. Je ne pensais pas parvenir à raconter à des gens que je ne connais pas ma séropositivité ou le harcèlement que j’ai vécu. Mais finalement, je me suis dit que c’était important d’en parler. Ça me soigne, me fait du bien… Comme un encouragement.

Comment définirais-tu ce spectacle ?

C’est comme moi, je ne le définis pas ! C’est beau de faire des choses indéfinissables. Alors oui, certains disent que c’est entre le stand-up et le concert, et c’est vrai. Mais j’ai aussi l’impression de faire un peu de théâtre, ou encore une espèce de micro comédie musicale. L’important, c’est qu’il plaise, que les gens viennent, passent un très bon moment, en parlent à leurs amis…

"J’adore être avec le public, m’assoir à côté de lui, sur lui… Je n’ai jamais aimé le quatrième mur, être starifié par la lumière…"

Que ce soit dans ce spectacle ou chez Madame Arthur, tu installes un rapport particulier avec le public, que tu titilles, défies…

Je n’ai jamais rêvé de faire de la scène. Madame Arthur est venu comme une blague dans ma vie. Les premières fois où je suis monté sur scène avec Monsieur K et Charlie Voodoo, je me suis fait violence autant que j’ai été violenté par le public. Je n’avais pas de thune, pas de costume – j’étais en lingerie à l’époque –, on se maquillait avec les doigts… Certaines personnes venaient pour se moquer, se rincer l’œil ; ça pouvait être trash. Je me sentais en danger sur scène, j’étais mal dans ma peau. J’ai pu être très violent avec le public, auquel je demandais de se taire quand ils parlaient alors que je chantais… Au fil des ans, j’ai développé une relation très étrange avec lui, que je sais maintenant comment prendre pour avoir son attention, le toucher…

Dans ton spectacle, tu fais aujourd'hui du public ton complice !

Je l’attrape, je le mets sur scène, je le fais me porter, tenir une valise, un bouquet de fleur… Je pense que tout le monde se dit : merde, je n’ai pas du tout envie qu’il m’appelle. Mais c’est marrant, le lendemain, tu peux être sûr que presque tous m’envoient un message sur Instagram en me remerciant ! Ça crée un lien, une intimité. J’adore être avec le public, m’assoir à côté de lui, sur lui… Je n’ai jamais aimé le quatrième mur, être starifié par la lumière… Chez Madame Arthur, je monte sur les tables, je suis en string, je me jette sur les gens, ils me rattrapent… Le public est mon meilleur allié.

Sur scène, on admire aussi tes talents de styliste…

Je l’ai étudié à Anvers, dans la meilleure école du monde. Mon rêve quand j’étais gosse, c’était d’être peintre. Et je me suis dit que peindre des robes était encore plus drôle. Le corps est un support magnifique et merveilleux. J’ai ensuite eu des boutiques à Paris, possédé ma marque mais aussi travaillé pour d’autres, j’ai été styliste pour des célébrités… Mais j’ai fini par comprendre que je tournais en rond et que ce qui m’excitait vraiment, c’était de faire des costumes de folie et de les porter sur scène.

Romain Brau, au Petit Palais des Glaces, les vendredis à 22h et les samedis à 19h jusqu'au 15 octobre.

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Crédit photo : Jean Ranobrac