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cinémaCinéma d'horreur : de "Psychose" à "They/Them", les trans reviennent de loin

Par Marion Olité le 31/10/2023
Film "Pulsions", de Brian de Palma

Travestis meurtriers, transformations corporelles effrayantes, twists sur le genre… Si la représentation trans est plébiscitée dans le genre horrifique, star d'Halloween, c'est surtout pour le pire.

Nue sous sa douche, Marion Crane n’a pas le temps de réagir quand une silhouette féminine la surprend dans son intimité. Un couteau de boucher s’abat violemment sur elle, à plusieurs reprises, sur une bande son entêtante. Tirée de Psychose, d’Alfred Hitchcock, c’est la scène horrifique la plus célèbre de l’histoire du cinéma hollywoodien. Elle a scellé pour plusieurs décennies le trope (figure narrative) le plus commun concernant la représentation transgenre au cinéma, celui du psychopathe trans – ou cofidié trans.

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Le psychiatre qui étudie à la fin du film Norman Bates, le tueur, insiste sur le fait que celui-ci se prend pour sa mère. Mais il suffit de se pencher sur les films d’horreur qui ont par la suite mis en scène le même type de personnage travesti et meurtrier pour s’en rendre compte : dans Pulsions (1980), le tueur se grime en femme blonde, puis dans Le Silence des Agneaux (1991), Buffalo Bill porte du maquillage et pratique la couture, ayant pour but de se confectionner un vêtement fait… de peaux de femmes cisgenres.

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Le Silence des agneaux

Un imaginaire transphobe

À une époque où la représentation trans est implicite, ce type de personnage, dont les tendances meurtrières plongent leurs racines dans une confusion des genres, devient un archétype négatif. Le genre horrifique va chercher les peurs du public dans l’altérité. Et dans notre société régie par une stricte politique du genre, y déroger ou l’interroger place directement ce type de personnage dans la catégorie des monstres.

Si cette réflexion s’applique à toute la représentation LGBTQI+, longtemps cantonnée à Hollywood aux personnages négatifs, c’est encore plus vrai pour les personnages trans ou codifiés tels. Le meurtrier qui se travestit est en proie à des troubles psychiatriques, bien souvent à un trouble dissociatif de l'identité. Résultat : d’un côté, les personnes trans n'ont sous la main, en termes de représentation, que des stéréotypes ultra-flippants. De l’autre, les personnes cis qui n’ont aucune connaissance sur la transidentité vont l'associer à la folie.

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Pulsions

Ces films, réalisés par des cinéastes cis à destination d’un public itou, s’inscrivent dans une politique de domination hétéro et cisnormative. Tout ce qui s’échappe de la norme est forcément mauvais. Et si vous pensiez qu’en 2023, ce cliché avait fait son temps, détrompez-vous. "J’ai toujours aimé me travestir, c’est ce qu’on fait quand on ne sait pas vraiment qui on est, n’est-ce-pas ?", affirme l’antihéros de Dogman, le dernier Luc Besson. Le film est centré sur un personnage genderfuck et tétraplégique, qui tente de trouver du réconfort dans un cabaret de drag queens où il est maltraité. Ce qui n'a pas manqué de faire réagir la drag queen La Briochée : "C'est vrai que sortir un film sur un tueur et criminel qui s'habille en femme dans le contexte actuel transphobe et contre les drags c'est une EXCELLENTE IDÉE".

La transidentité exploitée comme un twist

Le film Massacre au camp d'été (1983) représente l’une des premières et des plus marquantes représentations trans explicites du genre horrifique. Dans ce slasher iconique de la culture américaine, de jeunes gens sont massacrés les uns après les autres par un mystérieux tueur qui se révèle être l’outsideuse de la bande, Angela, une femme… transgenre. Dans le final du film, deux campeurs encore en vie découvrent la tueuse. Elle se lève, nue et couverte de sang. Son rictus est resté célèbre, mais aussi son pénis, dévoilé en zoom arrière. "Comment est-ce possible ? Mon Dieu, c’est un garçon !", s’exclame le personnage masculin, visiblement plus choqué par ces organes génitaux que par la tête de la dernière victime qui roule à ses pieds.

"Ce qui est visuellement terrifiant chez Angela, ce n’est pas seulement qu’elle soit une tueuse, mais c’est qu’elle soit une tueuse transgenre, analyse Lucy J. Miller dans son essai Fear and the cisgender audience. La féminité trans devient, en ce sens, un simple costume de monstre de cinéma, avec des perruques, des robes, du maquillage et des pénis cachés remplaçant le masque de Jason ou les griffes de Freddy Krueger." Si le film possède des qualités – un ton camp, le sujet du harcèlement –, son dénouement souscrit entièrement à la politique cisnormative. Un flashback nous montre même que la mère toxique d’Angela l’a forcée à s’habiller comme une petite fille. Paresseusement exploité par les scénaristes, ce procédé narratif transphobe – les parents ont forcé l’enfant à quitter son genre soit-disant "naturel" – est par ailleurs de très mauvaise foi, tant on sait à quel point la société et les parents poussent au contraire les enfants à embrasser le genre attribué à la naissance.

Une trame de fond qui traverse le genre horrifique à différentes époques. C’est aussi le cas des tueurs de Insidious 2 (2013) et de La Maison au bout de la rue (2012), mais aussi de Private Parts (1972) et Quatre mouches de velours gris (1971), deux films qui mettent en scène des personnages masculins trans et meurtriers. La représentation des hommes trans dans l’horreur, plus rare que celle des femmes trans, se révèle tout aussi négative. "Tout comme les vrais hommes trans sont vus dans la vie par les transphobes à la fois comme des victimes d’une misogynie intériorisée et comme des vecteurs menaçants de 'l’idéologie du genre', les personnages d’hommes trans dans l’horreur sont généralement décrits comme à la fois pitoyables et effrayants", analyse Edwin Harris.

Body-horreur et transidentité

Si ces films d’horreur s’avèrent souvent problématiques en termes de représentation, reste qu’ils appartiennent au panthéon de la culture queer et que les personnes trans peuvent y trouver un certain réconfort. C’est le cas du
sous-genre body horror. Ces films, comme Alien (1979), La Mouche (1986) ou The Thing (1982), tournent autour d’une transformation corporelle subie par le protagoniste principal contre son gré. La sensation d’être étranger à son propre corps agit comme une métaphore de la transidentité. "J’ai ressenti quelque chose au-delà de la terreur, il y avait une fascination, un étrange sentiment d’identification. (…) Parce que là, juste en moi, des choses se produisaient pendant la puberté que je ne pouvais ni contrôler, ni arrêter, encore moins comprendre, et je n'avais même pas l’espace pour explorer le pourquoi de tout cela", écrit l’artiste trans Cressa Beer dans son article, "Body Horror and growing up trans".

Le body horror offre des narrations éloignées des tropes horrifiques habituels liés à la transidentité. Cressa Beer évoque la perspective féminine du film Titane (2021) de Julia Ducournau, qui suit la trajectoire d’Alexia, dont le corps a été modifié par un implant en titane. "La réalisatrice semble comprendre et présenter dans son film à la fois l'idée que les corps dits 'déviants' (et directement les corps trans) ne sont pas horribles, mais sont en fait une porte d'entrée pour quiconque souhaite apprendre à comprendre son corps, et ce que signifie exister à l'intérieur d'un corps", analyse-t-elle.

Exister à l’intérieur d’un corps, c’est aussi ce dont parle La piel que habito (2011), un film de body horror réalisé par le cinéaste gay Pedro Almodovar. Sa représentation trans s’avère plus complexe que dans les films d’horreur hétéros, mais reste critiquable. La protagoniste trans le devient contre son gré, et le film utilise l’identité de genre pour créer des révélations choquantes.

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La Mouche

Un manque de perspective trans

Les cinéastes queers donnent un aperçu de la potentialité des récits trans horrifiques. Depuis 2011, la série American Horror Story met en scène un grand nombre de protagonistes queers, mais reste plutôt timide sur la représentation trans explicite. Seule la saison 5, American Horror Story Hotel (2015), comprend un personnage trans, Liz Taylor, incarné par l’acteur cis Denis O’Hare. Toutefois, Ryan Murphy a engagé des actrices trans – Erika Ervin et Angelica Ross – pour incarner des personnages récurrents. La série ne fait pas mention de leur éventuelle transidentité, ce qui peut être vu comme une normalisation.

Faire tourner des acteur et actrices trans, c’est une autre facette d’un même combat : une représentation plus juste et plus diverse. Ces dernières années, on a vu l’émergence de stars comme Jamie Clayton ou Laverne Cox incarner des versions queers de reboot de films d’horreur cultes. La première tient le rôle de Pinhead dans Hellraiser (2023) et la deuxième incarne l’iconique Dr. Frank-N-Furter dans le remake de The Rocky Horror Picture Show (2016). C’est une façon pour la communauté trans de se réapproprier des œuvres de pop culture qui ont imprégné leurs imaginaires.

Si les clichés ont la peau dure (coucou Pretty Little Liars et la révélation de la transidentité de Cece Drake, aka "A", en 2017), on assiste parallèlement à un renouveau des représentations. En 2022, le réalisateur gay John Logan s’est attaqué au genre du slasher avec They/Them, film sur l’horreur des thérapie de conversion, qui place les personnages LGBTQI+ dans la peau des survivants. "Je voulais faire un film qui célèbre le fait d'être queer, et qui figure des personnages que je n'ai jamais vus au cinéma en grandissant", a-t-il expliqué. Parmi eux, Theo Germaine incarne Jordan, personne trans et non-binaire, et Quei Tann incarne Alexandra, une femme trans.

Si They/Them imagine enfin une histoire réaliste, les personnages trans ont longtemps été cantonnés à des rôles de meurtriers en puissance. Mais qui mieux que soi pour parler de son expérience ? En 2021, le film de found footage We’re All Going to the World’s Fair, réalisé par Jane Schoenbrun, cinéaste trans et non-binaire, s'intéresse à la solitude d’une adolescente qui participe à un challenge sur les légendes urbaines numériques. Les films d’horreur réalisés par des cinéastes trans restent des licornes. Espérons qu’elles se multiplient dans les prochaines années !

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Crédits photos : Filmways