politiqueMichel Barnier Premier ministre : le pouvoir à la droite anti-pacs appréciée de Viktor Orbán

Par Nicolas Scheffer le 06/09/2024
Michel Barnier et Christine Boutin dans le gouvernement de François Fillon, en 2007.

En nommant Michel Barnier à Matignon, Emmanuel Macron a choisi un Premier ministre qui a voté contre la dépénalisation de l'homosexualité, contre le pacs, et qui a reçu le soutien du champion européen de l'homophobie d'État.

Que de symboles ce jeudi 5 septembre dans la cour de Matignon. Entre Gabriel Attal, 35 ans, et Michel Barnier, 73 ans, il n'y avait pas que la passation de pouvoir du Premier ministre le plus jeune de la Ve République au plus âgé. Il y avait aussi cette ironie : si Gabriel Attal a pu devenir le premier chef de gouvernement ouvertement gay de notre histoire, c'est qu'il est né dans un monde dont Michel Barnier aura passé sa longue carrière politique à essayer d'empêcher l'avènement…

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Le jeune Attal n'était même pas né quand, le soir du 20 décembre 1981, l'Assemblée nationale examine en première lecture la loi de dépénalisation de l'homosexualité portée par Gisèle Halimi, Raymond Forni et Robert Badinter. Michel Barnier, alors âgé de 30 ans, est le benjamin des députés, élu en 1978 en Savoie sous les couleurs de la droite RPR (Rassemblement pour la République). Aux côtés de François Fillon et de Jacques Chirac, il vote contre cette loi visant à supprimer la discrimination homophobe qui établissait une différence d'âge de la majorité sexuelle selon qu'on soit homo ou hétéro, et servait de base à la persécution légale des homosexuels.

Michel contre le pacs

Ce vote contre les homos n'est pas un accident dans le parcours politique de Michel Barnier. En 1999, le petit Gabriel vient tout juste de fêter ses 10 ans quand son successeur d'aujourd'hui s'oppose cette fois à la reconnaissance des couples de même sexe par le pacte civil de solidarité (pacs). Comme elle le fera en 2013 contre le mariage pour tous, la droite a engagé toutes ses forces dans cette bataille : treize mois de débat, 2.161 amendements, 120 heures de discussion, deux exceptions d'irrecevabilité... À trois reprises, les 23 mars, 11 mai et 30 juin, Michel Barnier vote contre le pacs, main dans la main avec Christine Boutin qui brandit sa Bible à l'Assemblée. Les deux se retrouveront en 2007 dans le gouvernement de François Fillon, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Pour le macronisme, la bascule est donc achevée : après avoir confié aux mains de Gabriel Attal le gouvernement le plus LMPT-compatible depuis la naissance de La Manif pour tous, voici que Matignon est dirigé par un homme issu de la droite historiquement opposée à l'avancée des droits LGBT. Mais ce n'est pas tout. Si l'on n'a pas entendu Michel Barnier pendant l'examen de la loi Taubira, en 2012-2013, c'est qu'il n'était plus député mais en poste à la Commission de Bruxelles où il est très apprécié… du lobby réac européen.

Orbán fan de Barnier

"Le seul Français de ce niveau qui nous dise bonjour", salue en lui un certain Viktor Orbán, selon des propos cités par Le Monde. Et le Français fait plus que saluer le Premier ministre de la Hongrie, champion européen de la droite réactionnaire et de l'homophobie d'État : lorsqu'il se présente par deux fois à la présidence de la Commission européenne, en 2014 puis en 2019, Michel Barnier reçoit le soutien du Fidesz, le parti du populiste hongrois. Avant de toper, Viktor Orbán avait posé trois conditions détaillées par L'Opinion : "Premièrement, il doit reconnaître que la force de l’Europe vient de celle de ses nations et non d'États-Unis d'Europe. Deuxièmement, il ne faut pas gérer le phénomène migratoire, mais tout faire pour l'arrêter et le dissuader. Troisièmement, il doit être sensible à nos valeurs de Hongrois, qui sont celles d’une démocratie chrétienne." Banco.

LMPT-compatible et Orbán-compatible, Michel Barnier peut donc bel et bien rassembler d'Aurore Bergé au Rassemblement national (RN). Avec l'extrême droite, il partage la rhétorique concernant l'immigration, lui qui appelait, lorsqu'il était candidat à la primaire de la droite pour l'élection présidentielle de 2022, à modifier la Constitution française pour s'affranchir des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Dans le même mouvement, il promettait de supprimer l'Aide médicale d'État (AME), laquelle permet notamment aux étrangers d'accéder à des antirétroviraux contre le VIH. Marine Le Pen et Jordan Bardella applaudissent.

Ne l'appelez pas Michiel Barnier

En 2022 toujours, Michel Barnier s'élevait sur Cnews contre "l'écriture inclusive et le iel", qu'il faudrait selon lui interdire "définitivement dans tous les documents publics" – tout en déclarant aimer se faire appeler le "Joe Biden à la française". Bref, ce nouveau Premier ministre n'aurait guère été compatible avec Emmanuel Macron première version, qui a notamment ouvert la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de lesbiennes. Mais il est complètement raccord avec celui qui, en juin, surfait sur la transphobie en vogue dans l'espoir de sauver sa campagne européenne, reniant ses promesses de facilitation de la vie des personnes trans pour fustiger "des choses complètement ubuesques, comme par exemple aller changer de sexe en mairie"

Aux journalistes politiques qui font le siège devant le perron de l'Élysée, la présidence fait savoir depuis la nomination de Michel Barnier que s'ouvre une période non de "cohabitation" mais de "coexistence exigeante". Et d'expliciter cet élément de langage en ces termes : "Coexister signifie vivre ensemble." Bon courage : Marine Le Pen a déjà six chats.

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Crédit photo : Frederick Florin / AFP

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