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familles"Qu'est-ce qu'elle a ma famille ?" : rencontre avec Marc-Olivier Fogiel pour son livre sur la GPA

Par Romain Burrel le 27/12/2018
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[Interview] Dans son livre Qu'est-ce qu'elle a ma famille ?, Marc-Olivier Fogiel revient sur son parcours avec son mari pour donner naissance à leurs deux filles, Mila et Lily, toutes les deux issues d'une gestation pour autrui (GPA). Pour TÊTU, il revient entre autres sur son combat pour la reconnaissance de la filiation et son coming out.

Il a changé. Hier, si secret, si farouchement protecteur de sa vie privée, Marc-Olivier Fogiel est devenu transparent sur lui, sa famille, son orientation sexuelle. Que s'est-il passé ? L’âge ? Sûrement. À l’aube de la cinquantaine, le journaliste a arrondi les angles. L'amour, aussi. Son mariage avec le photographe François Roelants, qu'il a épousé en 2013, l'a apaisé. Mais la paternité, surtout. Être père, ça vous change un homme. Le présentateur star de RTL et de France 3 en convient volontiers.

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Son parcours pour devenir parent, par le biais de la gestation pour autrui (GPA), le journaliste le raconte dans un livre-enquête, Qu’est-ce qu’elle a ma famille ?, paru aux éditions Grasset en octobre dernier. Aux États-Unis ou en Angleterre, des personnalités comme Ricky Martin, Matt Bomer, Tom Daley ou Elton John mettent en avant leur famille et leurs enfants issus de GPA. Mais en France, pays de la Manif pour tous où cette pratique est toujours illégale, le sujet est encore tabou. 

Après un plan promo rondement mené, l’animateur a accepté de répondre aux questions de TÊTU. Justement, parlons-en de TÊTU ! Pendant des années, le journaliste a systématiquement refusé toutes les demandes d'interview du magazine. Jamais à l'époque, on n'aurait imaginé MOF devenir une sorte de Neil Patrick Harris à la Française. Et aujourd'hui, voilà que le journaliste est devenu l'un des actionnaires de TÊTU. Puisqu’on vous dit qu’il a changé...

Votre livre, Qu’est-ce qu’elle a ma famille ?, s’ouvre sur une scène ahurissante où des militants de la Manif pour tous balancent des tracts dans la poussette où se trouve votre fille. C'est une scène réelle ? 

Marc-Olivier Fogiel : En fait, cette scène est le condensé de deux. La première a eu lieu la veille d’une manifestation où des militants de la Manif pour tous tractaient dans la rue. C’était une scène assez désagréable mais, en réalité, pas si violente à vivre. Elle s’est vite désamorcée lorsqu’on est entré dans un magasin de chaussures où nous étions plus saoulés que Mila refuse tous les souliers qu’on lui faisait essayer que par ce que nous venions de traverser. Au bout de la cinquième paire, on en avait ras-le-bol. (rires)

Quand on a levé la tête, on s’est rendu compte qu’un autre couple gay, lui aussi avec un enfant, était aussi présent et vivait la même situation. On s’est mis à rire du décalage entre ce qu’on était en train de vivre et le fantasme des gens qui défilaient dans la rue, redoutant de nouvelles formes de famille qui, de fait, étaient déjà là.

Mais l’autre scène, plus violente, s’est déroulée un jour de manif. On traversait la rue avec François et la poussette de Mila encore toute petite. Soudain, un mec au volant d’une voiture me reconnaît et accélère volontairement pour piler à deux centimètres de nous. Il aurait pu renverser le landau. François a eu très peur. À l’arrière de la voiture, je remarque deux enfants en train d’agiter chacun un drapeau de la Manif pour tous à travers les vitres. J’ai souri au conducteur, je lui ai souhaité un "Bon dimanche en famille". C’était ça ou je pétais la bagnole.

"Globalement, je n’en veux pas aux gens qui sont descendus dans la rue. Ils manifestent une appréhension."

Est-ce que vous en voulez à ces gens qui ont manifesté parfois si violemment contre nos droits ?

Non. Et c’est l’objet du livre. J’en veux à certains, évidemment. Aux organisateurs qui, en conscience, instrumentalisent et manipulent les gens en déformant des réalités. Mon livre a vocation à rétablir la vérité. Globalement, je n’en veux pas aux gens qui sont descendus dans la rue. Ils manifestent une appréhension. C’est à eux aussi que je m’adresse dans le bouquin et à qui je réponds de temps en temps sur les réseaux sociaux.

Le livre est très pédagogique sur ce qu’on appelle la GPA éthique. Il existe des cas où chaque partie en présence – la famille, la femme qui porte l’enfant, la donneuse d’ovocyte et bien sûr l’enfant – sort grandis de ce parcours…

C’est ce que j’ai moi-même découvert. Il y a, à travers ces histoires, un lien incroyable qui se crée. Chacun s’accomplit totalement. Evidemment, nous, parents et enfants, dans la famille que l'on forme. Mais Michelle, qui a porté nos enfants, ou Jane, qui nous a donné ses ovocytes, se sont accomplies totalement à travers cette expérience. Regardez !

(Marc Olivier Fogiel nous tend son portable est nous laisse lire un long SMS de Jane, envoyé très tôt le matin. A la fin du texto, on lit "Vous me manquez, vous et les filles." Des coeurs partout.) Vous voyez, ce sont des relations très proches. On n’est pas dans quelque chose de glauque ! Chacun s’y est retrouvé. Notre histoire commune est douce, pleine et humaine.

Mais je dois avouer que mon livre a un défaut. Je m’en rends compte après coup : en évoquant ces parcours pour devenir parent, je ne voudrais pas donner l’impression qu’il y a des gens qui font bien et d’autres mal. Chacun se débrouille. Dans le chapitre que j’ai consacré à la coparentalité, il y a des exemples de coparentalité qui se passent mal. Mais chacun fait famille comme il l’entend. Il n’y a pas un modèle qui prévaut sur les autres. Il n’y a pas le camp du bien et celui du mal.

Peut-être qu’en voulant expliquer les parcours éthiques, je donne l’impression qu’il y a des bonnes et mauvaises familles. Si c’est le cas, je le regrette. Je raconte mon trajet. Personnellement, je ne me voyais pas mentir pour construire une famille et me prétendre célibataire quand je ne l’étais pas. Mais je ne voudrais pas laisser penser que les gens qui, eux, ont peut-être menti pour pouvoir adopter, sont des gens dans l’erreur. Chacun écrit sa propre histoire et tout cela fait de belles familles. Si j’avais un mea-culpa à faire, ce serait celui là. Ce n’était pas mes choix. Mais ces choix-là, je les respecte.

"Tous ces gens qui hurlent contre la 'marchandisation des corps', parlent à la place de ces femmes qui, en conscience, décident de ce qu’elles font de leur corps, justement."

C’est peut-être la principale crainte des adversaires de la GPA : quels sont le rôle et la place de la femme qui porte l’enfant ?

C’est pour ça que j’ai écrit un chapitre entier sur les mères porteuses. Parce que tous ces gens qui hurlent contre la "marchandisation des corps", parlent à la place de ces femmes qui, en conscience, décident de ce qu’elles font de leur corps, justement. Le mieux, c’est encore de les écouter elles ! Et surtout ne pas les instrumentaliser. Comme lorsque la Manif pour tous fait venir une de ces femmes en oubliant de dire que si effectivement sa troisième grossesse s’est mal passée, les deux premières fois elle était super contente (référence au témoignage de Kelly, gestatrice américaine mise en avant par la Manif pour tous en novembre dernier, ndlr) !

Ces histoires existent mais elles relèvent du fait divers. Evidemment, le schéma "un papa, une maman" est formidable. Loin de moi l’idée de résumer les familles hétérosexuelles aux cas de maltraitance et prétendre que ce serait la preuve que le schéma hétéro n’est pas le bon. Ce serait totalement débile ! On peut toujours trouver des histoires qui se passent mal, mais elles ne sont pas représentatives de la réalité de la GPA.

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Le livre décrit aussi les garde-fous qui existent dans le cadre d’une GPA éthique…

Le parcours que moi je connais, aux Etats-Unis,  et que j’ai pu comprendre encore mieux grâce à l’enquête, est une procédure très cadrée. D’un point de vue psy, médical et légal. Et il est très long. On dit souvent que lors d’une grossesse hétérosexuelle, les neuf mois de gestation sont importants pour devenir de bons parents. Que la nature a bien fait les choses. De la même manière, lors d’une GPA, ce temps – qui est démultiplié, beaucoup plus long que les neuf mois de grossesse ; grosso modo deux ans et demi, trois ans avant d’arriver à une naissance – je pense que c’est la bonne durée pour se poser toutes les questions. Pour être confronté à toutes les réalités. Pour construire une histoire ensemble. De temps en temps, c’est douloureux. Mais il faut freiner son impatience et cela oblige à se poser les bonnes questions.

Quel a été le moment le plus difficile de ce parcours ?

Le retour en France, quand il a fallu trouver un statut pour mes filles et François. À l’époque, il n’y avait pas de possibilité d’être désigné comme le deuxième parent. Il fallait établir une délégation d’autorité parentale, un acte relativement banal. Mais on nous a imposé un véritable parcours du combattant : la police est venue à la maison, le procureur, qui clairement nous mettait des bâtons dans les roues, était de mauvaise foi. Il prétendait qu’on était incapables de connaitre la date de naissance de notre fille et sous-entendait qu’on l’avait "commandée". Alors que cette délégation était quelque chose de simple et de légitime qu’on a d’ailleurs fini par obtenir. Ça, c’était dur, oui. C’est fragilisant d’être parent. Notre fille était toute petite et son arrivée bouleversait déjà nos vies et notre quotidien.

Votre livre est-il un plaidoyer pour la légalisation de la Gestation pour autrui en France, comme on a pu le lire ici et là ?

Pas du tout. Je ne me bats pas pour la légalisation de la GPA, mais pour la reconnaissance des enfants nés de GPA à l’étranger. Et petit à petit, on y arrive. On demande la transcription de l’acte de naissance dans les registres de l'état civil français et la reconnaissance des deux parents, pas seulement du parent génétique. Que les parents qui ont conçu le projet parental et qui élèvent leur enfant – qu’ils soient hétérosexuels, pour la plupart des cas d’ailleurs, ou homosexuels – soient reconnus. Que le père et la mère ou les deux pères soient bien reconnus au nom de la protection de l’enfant. Ce n’est pas quelque chose de symbolique. Il peut se passer des choses dans la vie : des séparations, des décès... Il faut protéger ces enfants comme tous les autres. Pour que leur filiation soit reconnue. Mon combat, c’est celui-là.

Dans le parcours promo qui a été savamment orchestré autour de la sortie de votre livre, il y a eu un moment plutôt tendu. On fait référence à cet échange vif entre Charles Consigny, Muriel Robin et vous sur le plateau d'ONPC

Ce soir-là, Charles Consigny a montré ses limites. Pour avoir présenté ce style d’émissions pendant des années, je savais à peu près à quoi m’attendre. Encore une fois, c’est normal qu’il y ait une contestation. Le sujet amène un débat. Il y a des tas de gens qui ont été des snipers chez Laurent Ruquier avec lesquels je n’étais pas d’accord, mais qui ont une structure de pensée, une vraie réflexion. Tout ce qui manque à Consigny. Il ne verse que dans le rejet basique en niant des réalités.

Ça montre chez lui un manque de structure. C’est ce qui se passe quand ça va trop vite dans un parcours professionnel. Il y a un décalage entre l’exposition énorme qu’entraine l’émission de Laurent Ruquier et les capacités de ce gars-là, qui n’est pas un idiot, mais qui joue sur une facilité. J’ai fait l’inverse dans ma vie professionnelle. J’ai travaillé pour mériter les positions de plus en plus importantes qu’on me donnait.

Au final, cela a donné un moment de télévision car Muriel Robin, ulcérée, après avoir gardé pendant trop longtemps le silence, a fini par exploser comme elle sait le faire. Ce que je retiens surtout, au-delà du buzz, c’est la méconnaissance du sujet par ce jeune homme. Christine Angot n’est pas favorable à la GPA, mais, elle, avait une réflexion, des arguments et une pensée construite. Consigny, à part dire qu’il était contre, c’était le vide…

Ce jour-là, à la télévision, il y avait quatre personnes LGBT qui s’engueulaient sur fond d’homoparentalité. C’est un peu triste, non ?

C’était un plateau très gay, ça c’est sûr ! D’ailleurs Laurent l’a fait remarquer au début de l’émission. Mais la sexualité n’est pas ce qui induit le débat. C’est plutôt bien que sur de tels sujets, la sexualité ne détermine pas les arguments des uns et des autres. Je connais des tas d’homos qui sont contre la GPA ! Notre pensée n’est pas liée à nos sexualité ou au fait d’être plus ou moins concerné par le sujet. Ce soir-là, je pense que le débat aurait été le même avec des gens aux sexualités différentes. Avec la même violence, la même incompréhension… et la même forme de méconnaissance.

Avez-vous craint que votre public ne comprenne pas votre démarche ?

Pas du tout. Je suis sur la première radio de France, avec un public forcément très populaire et très divers. Tout le monde écoute RTL. Mais pour ce livre, j’ai eu le soutien a priori de mes patrons qui m’ont dit : "On sait qui tu es. On sait comment tu travailles. On te fait confiance." Personne ne m’a, par exemple, demandé de relire mon livre ou quel serait mon plan promo. Et en même temps, je ne raconte pas n’importe quoi ! Je fais très attention surtout, sur les réseaux sociaux, car c’est le seul endroit où l’on peut surréagir et ne pas maîtriser le cadre de ses échanges. Il y a un ou deux tweets que j’ai fait que j’ai regrettés. Mais je n’ai pas voulu les effacer. Je les assume.

Je ne suis jamais dans la préoccupation de me demander "Que va penser France 3 ou RTL ?" ou "Est-ce que ça ne va pas me couper d’une partie du public ?". Je suis comme je suis. J’ai toujours tout assumé. Il y a un moment de ma vie, où je ne voyais pas la nécessité de m’exposer davantage. Je n’ai jamais voulu être un porte-étendard, mais je n’ai jamais rien dissimulé. Les gens qui m’écoutent et me regardent m’aiment pour ce que je suis. Pas pour celui que je prétendrais être.

"Je me dis que ça aurait peut-être aidé pas mal de gens si, au pic de ma popularité, j’avais fait mon coming out…"

Mais comprenez-vous que vous nous avez manqué ? Quand on vous voyait à la télévision et que vous passiez sous silence le fait d'être homosexuel, comme si cela était quelque chose de gênant ?

Je le comprends. Mais on ne peut pas demander aux gens ce qu’ils ne sont pas capables de donner. Je ne me suis jamais dit que c’était un devoir de faire son coming out. A partir du moment où ça a été possible pour moi de le faire, je l’ai fait. On ne peut pas refaire sa vie, mais rétrospectivement, je me dis que ça aurait peut-être aidé pas mal de gens si, au pic de ma popularité, j’avais fait mon coming out… Mais je l’aurais sûrement mal fait. Aujourd’hui, je parle au bon endroit et avec les bons mots parce que je me suis constitué une expérience de vie. A l’époque, je n’étais pas assez centré pour le faire correctement.

A 50 ans, on n’a pas la même fragilité qu’à 30. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus solide. Et puis, je suis beaucoup moins exposé que je ne l’étais lorsque que j’étais en prime time chaque semaine à la télévision. A l’époque, je dirigeais une grande structure de production et j’avais déjà l’impression de donner beaucoup de moi-même. Pour moi qui suis d’une nature réservée, cette contrepartie est très lourde à payer. Alors, m’ouvrir sur le terrain de la sexualité, de mon couple, c’était impossible.

Les versions précédentes de TÊTU m’ont beaucoup reproché, et parfois même de façon véhémente, de ne pas assumer publiquement mon homosexualité. Mais personne n’est obligé de rien. Le reproche "Quand on a une place comme la tienne, tu te dois de dire que t’es gay.", je ne peux pas l’entendre. Par ailleurs, m’exposer à cette époque, c’était aussi exposer mon couple. Hors, c’était l’antithèse de mon compagnon de l’époque qui déteste l’exposition. Cela n’aurait pas engagé que moi. Je ne vis pas ce silence comme un manquement. Eventuellement, comme un regret…

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>> Qu'est-ce qu'elle a ma famille ?, de Marc-Olivier Fogiel, est publié chez Grasset.

Crédit photo : Grasset