Récemment devenus grands-parents dans un contexte homoparental, Marie-Jo, Josette et Jean-Jacques - un ancien de la Manif Pour Tous - racontent la façon dont ils ont appréhendé ce nouveau rôle. Et comment la naissance a balayé la plupart des questions qui les taraudaient.
Lorsqu’elle a appris qu’Antoine, son fils, et Lionel souhaitaient devenir pères, Marie-Josèphe a posé beaucoup de questions. On ne se refait pas : Marie-Josèphe est psy. Dans sa tête, une seule préoccupation. « Au niveau psychologique, qu’est ce que ça va donner pour ce bébé ? »
La future mamie a donc cuisiné les futurs parents : depuis quand nourrissaient-ils ce projet ? Comment allaient-ils s’y prendre ? Etaient-ils accompagnés ? Voyaient-ils des gens avec lesquels ils pouvaient parler de ce désir de paternité ? « Ce qui me préoccupait, explique-t-elle, c’était de savoir comment ils avaient pensé les choses par rapport à leur petit. Ils m’ont informée qu’ils s’étaient rapprochés d’une association et j’ai pu constater que toutes leurs démarches exprimaient le souci de l’enfant à venir ».
Comme tout le monde !
Pendant la grossesse de Laura, la mère porteuse canadienne, Marie-Jo a attendu avec eux, elle s’est efforcée d’être à leurs côtés : « C’était compliqué et douloureux d’être loin ». Elle leur a suggéré d’enregistrer des contes, des chansons pour que la petite merveille entende leurs voix in utero. « Il fallait que le bébé sache qui ils étaient ». Juste après le premier cri d’Adèle au printemps 2019 et avant son retour en France, elle a conseillé que Laura prenne le temps de lui parler de ce qu’elles avaient vécu ensemble, « pour lui donner la possibilité d’aller son chemin ». Et si les lenteurs administratives n’étaient pas confortables pour les parents, la grand-mère les a jugées bénéfiques : « Adèle a pu avoir une séparation toute douce avec celle qui a été sa référence pendant neuf mois. Elle était déjà bien reliée à ses pères quand elle a pris l’avion. »
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Pour certaines générations, prendre soin des enfants demeure encore trop souvent perçu comme une tâche qui revient aux mères. À rebours des représentations sociales, Marie-Jo s’est montrée parfaitement confiante quant à l’aptitude d’Antoine et Lionel à s’occuper d’un nourrisson. « Autant j’ai pu me poser des questions par rapport à ma fille de 26 ans, autant je savais qu’ils avaient eu le temps de mûrir leur projet ! ». L'arrière-grand-mère d'Adèle, en revanche, était dubitative. « Elle me disait : mais, deux garçons, comment vont-ils faire ? Et moi, je répondais : 'comme tout le monde, ils vont apprendre sur le tas !' Une fois qu’elle a vu son arrière-petite-fille, tout était oublié, mais si elle avait pu empêcher sa conception, elle l’aurait fait ».
Ce que vont penser les gens
Ancienne institutrice en petite section de maternelle, Josette n’a pas non plus douté un instant des capacités de son fils Reeve et de Mathieu. « Ils le voulaient vraiment ce bébé, ils avaient réfléchi à tout ». Pour autant, la perspective de sa naissance a fait ressurgir de vieux démons. Il y a une douzaine d’années, quand Reeve lui a annoncé qu’il était attiré par les garçons sans qu’elle l’ait deviné, Josette était scotchée. « C’était mon gamin, je l’aime très fort, mais je ne m’y attendais pas du tout et j’avais besoin de faire mon chemin. J’avais peur du regard des autres, des personnes qui me connaissent. Il a fallu que j’apprenne à vaincre cette peur. » Depuis, bien qu’elle ait elle-même marié les amoureux en 2019 dans le petit village dont elle est conseillère municipale, elle n’a pas pu réfréner une certaine appréhension quand leur désir de paternité s’est orienté vers la GPA. « Même s’il s’agissait d’un bébé de l’amour et qu’on ne pouvait pas le nier, je me suis demandé ce qu’allaient penser les gens.»
Veuve depuis six ans, Josette évoque avec émotion le souvenir de Jacques, ce mari très large d’esprit qui l’a aidée « à ouvrir les yeux sur plein de choses ». Mais, éduquée chez les bonnes sœurs, elle peut comprendre les réticences suscitées par l’homoparentalité. « Je suis aussi passée par là. Simplement, ces histoires-là, il faut les vivre pour en parler. Et, moi, je pourrai montrer notre exemple. »
"Je suis une mamie"
Depuis qu’Augustine est née en janvier 2020 en Russie, Josette est aux anges. Elle compte, désormais, sept petits-enfants dont l’aînée a 18 ans. « Mes craintes sont derrière moi et je suis heureuse avec ma pupuce », dit-elle tout à son bonheur d’avoir pu partager des semaines privilégiées avec le trio qu’elle a accueilli sous son toit pendant le deuxième confinement. « J’avais oublié que c’était si agréable de s’occuper d’un bébé ! ». Le contexte particulier de la naissance de la petite dernière a-t-il fait d’elle une grand-mère différente de celle qu’elle est pour le reste de la troupe ? « Pour l’instant non, mais peut-être que les choses changeront quand Augustine sera plus grande et qu’elle ira à l’école… », estime-t-elle. Encore que. « Non, je ne crois pas que je serai différente. Je suis une Mamie ! »
Quand Jean-Jacques, 67 ans, parle de Valentin et de sa cousine Éléanore, c’est le même son de cloche. « J’ai autant de plaisir à être avec l’un qu’avec l’autre », assure ce prof d’anglais retraité. Valentin, son premier petit-enfant, est né d'une GPA au Canada à l’été 2017. Présent sur place le jour J, son grand-père n’a pas eu à attendre pour faire la connaissance de « cette petite boule avec une chevelure invraisemblable ! » « Il était super beau... Très spontanément, je l’ai pris dans mes bras, émerveillé par la vie, avec l’envie de le protéger. Et j’ai ressenti un bonheur immense par rapport à mon fils Jean-Raphaël ».
Un ex-Manif Pour Tous devenu papy
Si on lui avait prédit ce scénario il y a dix ans, sans doute Papy J.J. l’aurait-il trouvé… hautement improbable ! Car, en 2012-2013, il était de ceux qui défilaient dans les rues en scandant : « Taubira, ta loi ne passera pas ! ». A ses yeux, l’idée d’un « PACS Plus » était recevable, pas celle d’un mariage entre deux personnes du même sexe. « J’ignorais tout de l’univers des LGBT et ils me perturbaient énormément ». Fin 2012, alors que la Manif pour Tous mobilise ses troupes, Jean-Jacques pète un plomb et refuse de se rendre chez Jean-Raphaël et Samuel pour les fêtes de fin d’année. « J’ai dit que je ne voulais pas aller passer Noël chez des pédés, j’ai tenu des propos horribles devant ma femme et mon cadet. »
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Une absence de reconnaissance "invraisemblable"
Comme Jean-Raphaël et Samuel ont tous les deux effectué un don de gamètes et choisi de ne pas savoir lequel d’entre eux était le géniteur, Jean-Jacques ignore si son épouse et lui sont des grands-parents biologiques ou « sociaux ». Une configuration dont on imagine qu’elle pourrait susciter un sentiment d’illégitimité chez certains ou leur causer des difficultés à investir affectivement leur rôle.
Mais, pour Jean-Jacques, « le lien du sang n’a pas d’importance, seul compte le lien affectif. Mon fils et Samuel sont les parents de Valentin, ce qui fait de moi son grand-père». Les obstacles que ces derniers rencontrent sur le terrain de la filiation le taraudent, en revanche, sérieusement. Car, si le Canada les a reconnus comme pères dès 2017, ce n’est toujours pas le cas de l’hexagone et ils doivent batailler pour faire transcrire l’acte de naissance de leur fils à l’état civil français. « Invraisemblable ! », tempête le papy qui voudrait au plus vite le voir figurer sur leur livret de famille.
"Un meilleur équilibre"
De façon plus secondaire, d’autres problèmes ont pu le titiller. Primo : comment Valentin allait-t-il distinguer ses papas ? « La Manif pour tous disait qu’il y aurait Papa 1-Papa 2. Du coup, c’est un point sur lequel je me posais beaucoup de questions, explique-t-il. Finalement, Valentin appelle mon fils Daddy ; Samuel, Papa, et cette solution fonctionne très bien. » L’idée qu’une présence maternelle puisse manquer à l’enfant lui a aussi traversé l’esprit, bien que « très rarement ». « Valentin n’avait pas de doudou parce que ses papas ne le souhaitaient pas. Nous respections les consignes, mais quand le petit bonhomme était un peu triste, j’ai pu me demander si un sein maternel ne serait pas réconfortant ou si une maman n’aurait pas fait autrement. »
Des Mamans, Liv, elle, en a deux. Et Valérie, sa jeune mamie de 51 ans, ne voit pas de faille dans cette configuration familiale. « Quand j’ai élevé mon fils et ma fille, mon mari ne m’a pas beaucoup aidée, voire pas du tout. Je ne le lui reproche pas : c’est moi qui voulais tout maîtriser et tout faire moi-même ». Mais, du coup, face à la famille qu’ont constituée Léa et Capucine toutes deux très investies auprès de leur bébé d’un an, elle estime que « Liv trouvera peut-être un meilleur équilibre que (s)es propres enfants entourés d’une mère très impliquée et d’un père aimant, mais plutôt distant. »
Répartition des rôles
Face à tous ces enjeux, Marie-Josèphe réagit en mamie-psy. « Dans un couple homo, on observe aussi une certaine répartition des rôles face à la parentalité. Comme dans le cadre d’un congé maternité, mon fils Antoine a pris quatre mois sans solde à l’arrivée d’Adèle et je constate qu’elle a un rapport différent à chacun de ses papas. L’un répond à la première figure d’attachement et elle pourra s’appuyer sur l’autre quand elle aura besoin de faire son pivot, à ce moment où l’on désacralisait jusqu'alors 'mama'" pour commencer à céder de la place à 'papa' afin de pouvoir s’individuer ».
Vis-à-vis d’Adèle, Marie-Josèphe se sent, cependant, investie d’un rôle particulier. « Elle s’inscrit dans une lignée des femmes, comme toutes les petites filles. Pour s’identifier au féminin, elle aura besoin de ses tantes, des amies de ses pères et de ses grands-mères qui sont, sans doute, les figures les plus actives et les plus constantes pour elle. Il faudra aussi qu’elle dispose d’un endroit où elle se sente en parfaite sécurité pour déposer ses préoccupations de fille. Que ce soit auprès de moi ou de quelqu’un d’autre ».
Le confinement durant lequel les deux papas se sont retirés chez elle à la campagne, lui a offert deux mois et demi pour créer ce lien. Et Mariejo éprouve le sentiment d’avoir « retrouvé une intimité » avec son fils depuis qu’il a effectué son long chemin vers la paternité. « Nous étions très proches et, puis comme tout garçon qui fait sa vie, Antoine a eu besoin de se séparer de moi. Quand il s’est engagé dans une démarche de GPA, il a vu que j’étais là, que je m’intéressais à ce qu’il vivait, que je prenais des nouvelles. Lionel et lui en avaient besoin, car ils se sentaient seuls face à ce parcours qui n’engage pas seulement de l’argent, mais aussi beaucoup de douleurs. »
Fierté et admiration
Conscient de ces difficultés, Jean-Jacques porte, aujourd’hui, un regard teinté d’admiration sur Jean-Raphaël. « J’éprouve une fierté certaine, car je suis conscient qu’il a fallu des preuves d’amour exceptionnelles pour que Valentin soit là. Samuel et lui ont affronté des tas d’embûches - y compris moi qui ai pu les perturber - et ils sont arrivés au bout d’un projet qui n’était pas gagné d’avance. » Comme lui, tous nos témoins ont tiré un coup de chapeau à la combativité dont ont fait preuve leurs enfants pour devenir parents.
Et tous ont exprimé une forme d’inquiétude face à l’accueil que la société réservera à leur descendance. Jean-Jacques qui craignait des « réactions de gêne », n’en a jamais rencontré depuis que Valentin a fait son apparition. Mais c’est pour plus tard, au collège surtout, qu’il redoute les malveillances. « Il y a aura toujours un gamin qui l’invectivera d’un 'toi, espèce de fils de pédés', regrette-t-il, tout en espérant que les insultes de cette nature seront dans les oubliettes de l’histoire ».
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Inquiétudes pour l'avenir
Valérie, elle, se félicite que Liv et ses mamans vivent au Portugal, même si la distance la prive de voir sa première petite-fille aussi souvent qu’elle l’aimerait. Car, si la société lui semble globalement plus inclusive, l’émergence de groupes extrémistes la tourmente. « Leur agressivité me fait un peu peur, même si elle me semble plus marquée vis-à-vis des hommes, dont certains se font maltraiter ou tabasser. » Dans un « cocon » portugais dont elle salue la tolérance, les expatriées « n’ont jamais essuyé aucune remarque désobligeante en trois ans » et lui semblent beaucoup plus en sécurité qu’en France.
Quand elle songe à demain, Josette mise sur l’évolution des mentalités et sur le fait qu’Augustine sera bien armée. Marie-Josèphe, de son côté, refuse de dramatiser. « Quand les enfants viennent au monde, ils ont tous un challenge et la société fera avec Adèle, je lui fais confiance. À Adèle, pas à la société… » À 63 ans, elle fond pour cette poupée « belle comme un cœur, souriante, intelligente, sympa, très cool ». L’idée qu’elle puisse subir un jour une quelconque hostilité est, évidemment, douloureuse, « mais si cela devait se produire, j’en ferais vite un cheval de bataille. Quand la Manif pour tous a défilé, j’ai pris mon sac à dos et je suis allée contre-manifester à Paris pour dire que ça suffisait. Je ne pourrai jamais empêcher les gens d’être cons, mais être présente aux côtés de mon fils, mon gendre et ma petite-fille, si !».
"Mon coming out de grand-père"
Autour d’elle, même parmi ses amis ou dans son entourage, la GPA ne fait pas l’unanimité, elle le sait. « Le père d’Antoine est remarié et sa femme était très choquée. Maintenant, elle fait avec, mais elle se demandait comment on pouvait recourir à une chose pareille, un enfant ne pouvait pas vivre sans sa mère, etc. » Mariejo dit regretter « un décalage entre le fantasme et la réalité sans lequel on pourrait beaucoup mieux baliser les parcours de GPA. On éviterait ainsi ce qui se pratique en cachette et des situations susceptibles de devenir dramatiques. »
Elle prévient aussi que des remarques malveillantes feraient « sortir la louve » en elle. « J’ai besoin de protéger ce que je trouve très beau et de faire en sorte qu’on ne vienne pas l’abîmer. » Jean-Jacques abonde dans ce sens. Dans les associations de motards dont il est membre, il a souvent entendu circuler des remarques du type : « il roule comme une tarlouze ». « Moi qui ai mis pas mal de temps avant de dire ouvertement que j’avais un fils homo, qui ne montais pas au créneau, je ne laisserai plus passer. Je répliquerai : 'Je connais des pédés qui seraient capables de te mettre cinq secondes sur un tour au circuit Carole !' Le rôle que je peux jouer aujourd’hui, c’est d’accepter de faire… mon coming-out de grand-père. »