Depuis la publication d'une pétition qui appelle à la panthéonisation des deux poètes, le débat fait rage. Le couple gay le plus célèbre de l'histoire littéraire française a-t-il vraiment sa place dans le temple des "Grands Hommes" ?
La semaine dernière, dans Le Point, une pétition appelait à la panthéonisation d'Arthur Rimbaud et de Paul Verlaine. Elle est signée d'une centaine de personnalités, parmi lesquelles neuf anciens ministres de la Culture. Roselyne Bachelot, l'actuelle titulaire du poste, soutient la démarche sans pour autant apposer officiellement sa signature. Initiée par le sociologue Frédéric Martel et l'éditeur Jean-Luc Barré, le texte a fait beaucoup de bruit : leur entrée au Panthéon constituerait une première pour le temple de la République. Ce serait en effet la première fois qu'un couple homo est enterré sous le frontispice "aux grands hommes, la patrie reconnaissante".
"Des amours de tigre"
Un couple homo ? Pas tout à fait jugent les détracteurs de la pétition. S'ils entrent ensemble au Panthéon, “tout le monde va penser ‘homosexuels’, mais ce n’est pas vrai. Rimbaud n’a pas commencé sa vie avec Verlaine et ne l’a pas terminée avec lui, ce sont juste quelques années de sa jeunesse”, a estimé auprès de l'AFP Jacqueline Teissier-Rimbaud, arrière-petite-nièce d’Arthur Rimbaud. “Arthur Rimbaud avait rompu avec Paul Verlaine et ne voulait plus évoquer cette période des quatre années où il l’avait côtoyé. Il tenait absolument à vivre une autre vie, ce qu’il a fait en partant en Afrique – où il a vécu avec une jeune femme”, enfonce Alain Tourneux, le président des Amis de Rimbaud, une association de 120 passionnés.
Dans une tribune publiée dans Le Monde, un collectif de détracteurs regrette que l'on panthéonise les deux hommes. "Nous voyons un acte supplémentaire de l’américanisation, par ce communautarisme (qui peut mener loin dans les admissions au Panthéon), qui envahit la culture française et qui la compromet chaque jour jusque dans notre langue française", écrivent-ils - sans rire. "Tout porte à croire que sa relation amoureuse avec Verlaine ('des amours de tigre', 'un mauvais rêve', dira Verlaine) participe de la provocation antibourgeoise, si l’on veut bien se placer dans le contexte moral de son époque, et de ce qu’il nomme 'l’encrapulement' nécessaire à son entreprise poétique", lâchent-ils.
"Dans le monde entier, on sait que Rimbaud et Verlaine se désirèrent"
L'argument ne fait pas peur à Vincent Monadé, président du Centre national du livre et fervent défenseur de la panthéonisation des poètes. "La famille de Rimbaud cherche à minimiser la force de leur relation par des arguments teintés d'homophobie", regrette-t-il auprès de TÊTU. Il considère que "la littérature a fait d'eux un couple iconique qu'il s'agit d'honorer". Le prix Médicis Arthur Dreyfus clot le débat : "Rimbaud appartient davantage à la France qu’à l’arrière-petite-fille de son frère"
"Bien sûr qu’Arthur et Paul ne furent pas un couple au sens moderne ; ni au sens ancien peut-être. Bien sûr qu’ils n’auraient pas loué un trois-pièces dans le Marais pour fêter leur pacs (je parierais d’ailleurs que les mêmes ennemis intérieurs de cette panthéonisation huaient en leur temps le mariage gay, vu comme un emblème hétéro-bourgeois). Il n’empêche : dans le monde entier, on sait que Rimbaud et Verlaine se désirèrent", poursuit-il. D'ailleurs, souligne Frédéric Martel, "on les fait entrer ensemble et pas en tant que couple. Ce n'est pas un couple comme Simone Veil et son mari. Mais ils assument cette homosexualité, bien que le mot 'homosexuel' n'existe pas encore".
"La révolte de Rimbaud est existentielle"
Au-delà du débat sur leur couple, qui agace Andrea Schellino, auteur de la préface d'une édition des Écrits sur Rimbaud de Verlaine (Payot-Rivages), c'est d'enfermer dans le formol "l'homme aux semelles de vent". "Institutionnaliser le rebelle qui était Rimbaud, c'est une pure aberration, souligne-t-il au téléphone. Il suffit de lire ses poèmes politiques pour comprendre qu'il est incapable d'une forme d'adhésion. La révolte de Rimbaud, ce n'est pas une simple révolution, c'est un sentiment existentiel avant d'être un choix politique", insiste-t-il. Selon lui, Rimbaud n'a cure de "la république reconnaissante", "au contraire, c'est accorder une valeur à une institution qui n'en n'a pas à ses yeux".
À LIRE AUSSI - À New York, un parc rendra hommage à la militante noire et trans Marsha P. Johnson
"La panthéonisation, c'est une lecture ouvertement politique de l'histoire, elle se fait à un instant T", répond Vincent Monadé citant, à l'inverse, la dépanthéonisation de Marat. "Alors qu'on enseigne à tous les enfants les poèmes de Rimbaud et de Verlaine, la République ne peut pas refuser de leur rendre hommage", souffle-t-il "Le bateau ivre, c'est une sacré claque", insiste-t-il. "Rimbaud est sans doute le plus grand poète de la langue française. C'est un des symboles de la France : le rebelle, le dissident, le bohème. C'est éternel", insiste Frédéric Martel.
Crédit photo : 1995, New Line Cinema.