EuropeLa Pologne commence à tourner la page de 8 ans de "ténèbres" réac anti-LGBT

Par têtu· avec AFP le 12/12/2023
Donald Tusk, le nouveau Premier ministre de Pologne.

Dans un discours de politique générale pro-européen, le nouveau Premier ministre de Pologne, Donald Tusk, a promis de "redresser tous les torts" causés par le pouvoir sortant qui a notamment affaibli les droits des femmes et des LGBT+.

Rétablir la crédibilité de la Pologne au sein de l'Union européenne (UE). C'est l'ambition affichée ce mardi 12 décembre par Donald Tusk, le chef élu du nouveau gouvernement de Pologne, après huit ans de pouvoir exercé par le parti Droit et Justice (PiS), nationaliste, populiste et réactionnaire – et donc LGBTphobe. Le gouvernement qu'il a présenté a reçu dans l'après-midi le vote de confiance de la chambre basse du Parlement (la Diète, en polonais "Sejm"), contrôlée par son alliance multipartite. Le nouveau Premier ministre doit désormais prêter serment ce mercredi matin.

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Donald Tusk, qui a déjà été Premier ministre de 2007 à 2014 et président du Conseil européen de 2014 à 2019, est aujourd'hui à la tête d'une coalition gouvernementale pro-européenne disposant de 248 députés, composée par la Coalition Civique (KO, centre), la Troisième Voie (démocrate chrétien) et la gauche. En face, 194 élus du PiS et 18 de la Confédération (extrême droite) resteront une opposition puissante et continueront de contrôler plusieurs institutions d'État. Les analystes parlent d'"une toile d'araignée" tissée depuis 2015 par le PiS autour de l'État, d'autant plus solide que le mandat présidentiel d'Andrzej Duda, issu de ses rangs, ne s'achève qu'en 2025 et qu'il peut à tout moment opposer son veto à des lois adoptées par le Parlement.

"Redresser tous les torts" de la Pologne

Même si la coalition de forces pro-européennes avait remporté les législatives du 15 octobre, c'est d'abord au pouvoir nationaliste sortant que le président Duda a confié la tâche de constituer un gouvernement, offrant au camp nationaliste populiste deux mois supplémentaires au pouvoir. Lundi, le Parlement a refusé sa confiance au gouvernement sortant de Mateusz Morawiecki avant d'élire Donald Tusk au poste de président du Conseil des ministres.

Dans son discours de politique générale ce mardi matin, ce dernier a envoyé plusieurs messages clairs signant le retour de son pays sur la scène européenne, en particulier son soutien à l'Ukraine en guerre et sa volonté de reconstruire une communauté nationale profondément divisée. Décrivant l'administration sortante comme des années de "ténèbres", il a déclaré que son gouvernement s'efforcerait d'en "redresser tous les torts". Fidèle à la rhétorique de son parti, le chef du PiS, Jaroslaw Kaczynski, a riposté en l'accusant d'être un "agent allemand" et a déploré "la fin de la démocratie". Lech Walesa, héros de la liberté polonaise et lauréat du prix Nobel de la Paix, s'est dit "heureux que la Pologne soit de nouveau sur la voie du développement".

"Nous sommes d'autant plus forts, d'autant plus souverains non seulement quand la Pologne est plus forte, mais aussi quand l'Union européenne l'est", a déclaré le chef du nouveau gouvernement, promettant de rétablir l'État de droit mis à mal dans son pays, source de discorde profonde entre Varsovie et Bruxelles, en particulier après des réformes controversées du système judiciaire. En représailles à ces manquements, l'UE a bloqué plus de 35 milliards d'euros destinés à la Pologne dans le cadre de son Fonds de relance post-covid. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a félicité Donald Tusk, en tweetant : "Votre expérience et votre fort engagement envers nos valeurs européennes seront précieux pour forger une Europe plus forte".

Le lourd héritage du PiS

La tâche sera difficile pour le nouveau gouvernement, tant l'héritage des huit ans de pouvoir du PiS est lourd. Le parti nationaliste contrôle toujours la Cour Suprême et la Banque centrale ainsi que plusieurs autres institutions judiciaires et financières de l'État, tout comme les médias publics, transformés en une machine de propagande gouvernementale. Auprès de l'AFP, l'analyste politique Jaroslaw Kuisz évoque "un champ de mines judiciaire", "un bourbier". En offrant au PiS un sursis au pouvoir, le président Duda lui a donné l'occasion de nommer deux de ses anciens ministres à la tête des institutions financières d'État, avec des mandats pratiquement irrévocables, et des procureurs au parquet national. Depuis le 15 octobre, le président a en outre nommé environ 150 nouveaux juges, choisis par un organe critiqué par Bruxelles pour sa dépendance au parti. Le PiS, a résumé Donald Tusk, a consacré "ses dernières semaines (au pouvoir) à démolir l'État polonais".

Sur le plan des droits humains, l'héritage du PiS s'est concrétisé par des reculs sur le droit à l'avortement et par une homophobie d'État, qui s'est traduite notamment par des zones anti-LGBT dans une large partie du pays. Hasard du calendrier, la Cour européenne des droits humains (CEDH) a condamné ce mardi la Pologne pour violation du droit au respect de la vie privée à cause de l'absence de cadre juridique assurant "une reconnaissance et une protection" des couples de même sexe. La Cour avait été saisie par cinq couples polonais dont les mariages avaient été refusés au motif que le droit polonais autorise seulement l'union d'un homme et d'une femme. La CEDH leur a donné raison, rappelant que les États signataires de la Convention européenne de sauvegarde des droits humains sont "tenus d'offrir un cadre juridique permettant aux personnes de même sexe de bénéficier d'une reconnaissance et d'une protection adéquates de leurs relations de couple", par le mariage ou une autre forme d'union.

Avant la Pologne, la Russie, la Roumanie, la Bulgarie ou encore l'Ukraine ont été condamnées pour le même motif en 2023. "Je ressens beaucoup de soulagement. J'espère que ça constituera une première impulsion forte en faveur du changement et de l'égalité, après le changement de gouvernement", a réagi auprès de l'AFP Krzysztof Alcer, l'un des requérants. Avant de compléter : "Nous devrons probablement attendre qu’un autre président polonais prenne ses fonctions, un président qui ne soit pas homophobe, pour parler franchement. Mais ça vaut le coup d'attendre".

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Crédit photo : Donald Tusk (au centre), par Wojtek Radwanski / AFP