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cinémaNans Laborde-Jourdáa, la révélation de la Queer Palm

Par Morgan Crochet le 21/02/2024
Nans Laborde Jourdáa, réalisateiur de "Boléro"

Son dernier court-métrage a tout raflé sur son passage, de Cannes au Champs-Élysées Film Festival. Rencontre avec Nans Laborde-Jourdáa, réalisateur de Boléro, tourné dans son Béarn natal et nominé aux Césars 2024.

C’est place Gambetta, dans le quartier du Père-Lachaise à Paris, que nous avons rencontré Nans Laborde-Jourdàa, 36 ans, grand garçon chevelu aux yeux clairs déroutants, qui tranchent avec les sonorités graves de sa voix de baryton basse béarnais. “Je ne connais pas encore bien le quartier, mais il est plus calme que celui où j’habitais avant, et ça me fait du bien.”

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Comédien et metteur en scène – il a cofondé la compagnie Toro Toro avec Margot Alexandre –, il est également l’auteur de trois courts-métrages, Looking for ReikoLéo la nuit, et surtout Boléro, qui a remporté au dernier Festival de Cannes la Queer Palm dans sa catégorie (tandis que L'Innocence d’Hirokazu Kore-eda a reçu celle du long-métrage). “Que ce soit la Queer Palm ou les Teddy Awards à Berlin, ce sont des prix qui ont toujours été importants pour moi, au même titre que les bars gays, ou les cabarets queers. Je me suis toujours senti concerné par le fait que ça existe et qu’il y ait des endroits pour parler de nos récits.”

Un Pyrénéen à Paris

Les siens, le trentenaire les puise dans son vécu, où il trouve la matière de ses films. Originaire d’Oloron-Sainte-Marie, une sous-préfecture de 10.000 habitants dans les marges pyrénéennes, il n’a que 14 ans quand il quitte le Béarn pour poursuivre sa scolarité à Bayonne avant de rejoindre Bordeaux, puis Paris. Comme de nombreux jeunes gays, il éprouve alors la nécessité de gagner une ville importante. “J’avais l’impression, chaque fois, que ça allait être libérateur. Mais ce n’est pas à cet endroit-là que ça se jouait. Ça, je l’ai compris plus tard, vers l’âge de 27 ans. La libération par l’éloignement a été plus longue que ce que je pensais.”

En 2018, après sa collaboration à une pièce de Nicolas Giret-Famin, Le Temps des h+mmes, une réécriture de Théorème de Pasolini, il comprend que sa vie queer doit désormais transparaître dans son travail de comédien, mais également de metteur en scène. Il tourne alors dans la foulée son premier film, Looking for Reiko, au Japon, où il rejoint son petit ami de l’époque : l’histoire d’un Français parti interviewer une actrice-chanteuse, Ike Reiko, dont la carrière s’est brutalement arrêtée au début des années 1980. On pense dès les premières images aux films de Marker, au Mystère Koumiko, à Level Five. “J’ai découvert son œuvre vers l’âge de 17 ans, en particulier Sans Soleil, un documentaire tourné en partie au Japon.” Réalisé sans argent, et avec un téléphone pour seule caméra, Looking for Reiko, qui a finalement été monté avec les rushs perso du réalisateur et de son copain, est un vrai-faux journal intime, et surtout la première pierre de son cinéma pédé caractérisé par l’errance de ses personnages, libres et paumés.

Léo la nuit, présélectionné aux Césars

Ainsi en est-il du personnage principal de son deuxième film, Léo la nuit, présélectionné pour le César du meilleur court-métrage de fiction 2023 et primé au Festival européen de Lille. Cette fois, il s’agit du récit d’un père homosexuel en prise avec les possibilités infinies que nous offre la vie pour être au monde. Traversé par de nombreux personnages, ce court-métrage surprend par la singularité de son récit, de ses âmes décousues et attachantes. “Je me suis rendu compte que ce que je construisais depuis des années était nomade, que je rencontrais des gens différents, vivant au jour le jour, confie-t-il. Ça peut être lié à l’homosexualité, mais aussi à une certaine forme de précarité, qui fait qu’on ne peut pas vraiment se poser, ou encore à un refus de rentrer dans des schémas.” Réalisé dans une sorte d’urgence au sortir du confinement, Léo la nuit témoigne de l’énergie bordélique qui a résulté de cette période “post-covid”, ainsi que de notre soudaine et insatiable soif de vivre, des autres.

Et c’est une nouvelle fois dans son vécu qu’il a puisé l’inspiration pour écrire son film, qui décrit une parentalité libérée de ses carcans normatifs. “Le personnage de l’enfant, c’est à la fois mon fils, mais aussi mon double. Pour moi, il y a une double lecture, la première concerne la paternité, et l’autre est un dialogue avec l’enfant que j’étais.” Le metteur en scène poursuit aujourd’hui ce dialogue avec Boléro, nominé aux Césars 2024 et tourné dans sa ville du Béarn, aux portes de la vallée d’Aspe. Là encore, le personnage, Fran, interprété par François Chaignaud, est une sorte de double du réalisateur – “iel est ce que j’aurais aimé être” –, qui le dirige d’ailleurs aux côtés de sa mère et de sa sœur. “Toutes deux ont des accents, des physiques et des énergies particulières. Je me suis construit avec elles, et ce sont avant tout des femmes fortes qu’on a peu l’occasion de voir dans le cinéma français”, explique Nans Laborde-Jourdàa, qui amorce dans Boléro un retour aux sources, alors qu’il n’a longtemps eu qu’une envie, fuir ce Sud-Ouest et la violence permanente qu’il ressentait en dehors de chez lui. “J’ai mis beaucoup de temps à comprendre quel impact ça avait eu sur moi, analyse-t-il. J’ai essayé de me gommer, d’être le plus masculin possible. Ça prend du temps de se libérer de tout ça, c’est compliqué, comme si j’avais mis des masques et des masques et des masques pour cacher ce que je suis.”

Le Boléro de Ravel le Basque

C’est donc à travers son personnage qu’il fait l’expérience de cette libération, tandis que Fran rend visite à sa famille, traverse un espace de cruising en forêt avant de rejoindre les toilettes d’un centre commercial où il va commencer à danser, dans une cabine, à moitié nu, sur le Boléro de Ravel – la danse va alors happer tous les clients du magasin, qui vont faire l’expérience d’une sorte de transe collective. Ce rôle, le réalisateur l’a taillé sur mesure pour son interprète. “J’avais écrit une première version du film pour François, explique-t-il. Puis j’ai vu son spectacle, monté avec Dominique Brun, sur la première chorégraphie du Boléro dansée par Nijinska [sœur du célèbre danseur Nijinski]. Il se trouve que j’avais aussi envie de travailler sur ce morceau, car Ravel et moi venons de la même région et on a tous deux rêvé, depuis nos vallées pyrénéennes pluvieuses, de l’Espagne. Cette musique obsédante oblige à un lâcher-prise. Ça allait très bien avec ce que je voulais raconter : comment l’art peut vraiment changer nos vies.”

Si Nans Laborde-Jourdàa a aujourd’hui fait la paix avec ses montagnes, la fin de Boléro, qui leur donne la part belle, traduit aussi une certaine vision de son époque : “J’ai l’impression qu’on arrive au bout d’un système, que les choses font se finir par elles-mêmes et repartir sur de nouvelles bases. Mais c’était aussi important que Boléro se termine, comme Léo la nuit, de façon joyeuse, ouverte et collective. C’est un peu politique. L’amitié, les familles qu’on se crée, surtout en tant que pédés, sont importantes. Si j’en suis là aujourd’hui, c’est vraiment grâce au fait d’être ensemble.” 

>> [VIDÉO] La bande-annonce de Boléro :

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Crédit photo : Nathan Ambrosioni