politiqueLe RN au pouvoir, certitude d'une vie pire pour les LGBT+

Par Nicolas Scheffer le 02/07/2024
Rassemblement à Paris contre le RN au soir du premier tour des élections législatives, le 30 juin 2024.

Que ce soit pour les droits des familles homoparentales, l'éducation contre l'homophobie ou l'accompagnement des mineurs trans, l'arrivée au pouvoir du Rassemblement national (RN) serait une menace pour les personnes LGBT+. L'inquiétude grandit donc face au risque de victoire du parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella au second tour des élections législatives anticipées ce dimanche 7 juillet 2024.

À sept mois de grossesse, Justine est physiquement fatiguée, mais elle ne manque pas d'énergie pour tenter de convaincre ses parents de ne pas voter pour l’extrême droite, à l'aube du second tour des élections législatives ce dimanche 7 juillet. "Ils ne se rendent pas compte à quel point le Rassemblement national est dangereux pour notre famille, alors, je sors mon bâton de pèlerin pour leur expliquer ce que cela signifie pour nous : stigmatisation, violence, reculs des droits", dit cette policière trentenaire originaire de Sète (Hérault). Sa famille, pour laquelle elle s'inquiète, elle l'a fondée avec sa compagne, Camille, grâce à une procréation médicalement assistée (PMA), ouverte aux lesbiennes depuis 2021.

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Marine Le Pen hostile à l'homoparentalité

Si Marine Le Pen a promis en 2022 à une femme lesbienne qu'une fois au pouvoir le Rassemblement national (RN) ne reviendrait pas sur ce droit, Camille n'a pas oublié que ce parti a combattu jusqu'au bout l'extension de la PMA aux couples de femmes : après s'y être opposée catégoriquement lors de sa campagne présidentielle de 2017 – lorsqu'elle projetait également d'abolir la loi Taubira ouvrant le mariage aux couples de même sexe –, Marine Le Pen a bel et bien voté contre à l'Assemblée nationale en 2021. "Le RN ne cesse de stigmatiser nos familles, laissant entendre que les parents d’intention ne seraient pas de véritables parents. Je crains que, petit à petit, cette idée n'infuse dans la société", soupire Justine. De fait, au-delà de son revirement sur la PMA lors de sa dernière campagne présidentielle, Marine Le Pen a longtemps affiché un refus clair et net de l'homoparentalité, proclamant dès 2013 : "Nous sommes radicalement opposés à l'adoption des enfants par les couples homosexuels."

En tant que mère biologique, Justine sait que la reconnaissance administrative de sa qualité de mère n'est pas en question, mais quant à sa compagne… "Depuis quelques semaines, Camille est très inquiète, témoigne-t-elle. Elle n'en dort pas la nuit et s'est mise à militer contre le RN avec en tête le précédent de Giorgia Meloni, en Italie." À la tête du gouvernement depuis 2022, l'alter ego de Marine Le Pen à Rome a montré comment l'extrême droite au pouvoir s'en prend aux familles homoparentales : Giorgia Meloni est passée par une circulaire pour ordonner aux maires de ne plus transcrire automatiquement les certificats de naissance des enfants nés d'une GPA (gestation pour autrui) à l'étranger, laquelle a été utilisée par plusieurs procureurs zélés afin de remettre en cause les certificats de naissance d'enfants issus d'une PMA, rayant la deuxième mère des certificats de naissance (une pratique remise en cause depuis par la justice italienne).

Jordan Bardella contre la GPA

L'exemple italien, Philippe l'a aussi en tête : engagé à l'étranger dans un processus de GPA, ce notaire parisien de 40 ans pense aussi que le RN pourrait l’empêcher d’être reconnu comme père de ses futurs enfants. "Avec mon mari, Nicolas, nous avions accéléré les choses pour que la GPA soit terminée avant la présidentielle de 2027, mais avec les législatives anticipées nous sommes très angoissés", explique-t-il. Car si aucun parti français ne promet aujourd'hui la légalisation de la GPA, l'extrême droite est en pointe en Europe (aux côtés de la droite conservatrice de François-Xavier Bellamy) pour faire de la gestation pour autrui un délit universel, comme le propose en Italie une loi du gouvernement Meloni (aujourd'hui aux mains du Sénat). Quitte à propager de fausses informations, comme lorsque Jordan Bardella a tenu, en avril à "rendre hommage" à François-Xavier Bellamy qui prétendait faussement avoir fait inscrire la GPA sur la "liste des eurocrimes".

Comme de l'autre côté des Alpes, la bataille pour les familles homoparentales en cas d'accession au pouvoir du RN pourrait se jouer dans les tribunaux plutôt qu'à l'Assemblée. "Des juges aux ordres pourront multiplier les demandes administratives pour compliquer la vie de parents qui auraient fait une GPA à l’étranger, avertit Caroline Mecary, avocate qui se bat depuis des décennies auprès de nos familles. Certains iront en appel, en cassation, mais combien accepteront une mauvaise décision pour ne pas s’engager dans un parcours judiciaire qui peut prendre des années ?" D'autant, craint l'avocate, qu'une France gouvernée par le RN ne risque guère de respecter les arrêts de la Cour européenne des droits humains (CEDH), qui a notamment produit de nombreuses décisions en matière de GPA. "Quoi qu'il en soit, anticipe Philippe, le climat sera délétère pour nos familles."

La propagande anti-LGBT du RN

Autre endroit où l'inquiétude est palpable ces dernières semaines : les salles des profs. Aux multiples motifs d'opposition à l'extrême droite, le corps enseignant attaché au respect des séances prévues d'éducation sexuelle et au développement d'une éducation à l'altérité craint un retour en arrière qui ferait à nouveau perdre à l'école française, déjà très en retard sur ces sujets, de précieuses années. Depuis le suicide d'un de ses élèves trans, Sacha [prénom modifié], professeur de français en Bretagne et référent égalité de son établissement, fait régulièrement intervenir des associations agrémentées par le ministère pour sensibiliser ses élèves à l'homophobie et à la transphobie. Une nécessité pour déconstruire les stéréotypes. "Lorsqu'on fait ce genre de séances, c'est systématique, on reçoit des menaces de parents qui, souvent, retirent leur enfant de l'école ce jour-là, expose-t-il. Nous avons besoin d’un soutien de la hiérarchie, mais nos efforts seront réduits à néant si le ministre de l'Éducation est opposé à notre action."

Un sujet sur lequel Marine Le Pen n'hésite pas à s'inscrire dans la rhétorique favorite du lobby réac international depuis que Vladimir Poutine a fait voter en Russie une loi contre la "propagande LGBT" auprès des mineurs. "Il ne faut faire la promotion d'aucune sexualité auprès des mineurs", osait-elle ainsi sur France Inter en 2021, interrogée sur une loi anti-gay d'inspiration russe votée en Hongrie. Il faut dire que le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, n'est pas que l'ami de Vladimir Poutine : en 2022, il avait carrément enregistré une vidéo de soutien à la campagne de Marine Le Pen, diffusée lors d'un meeting de la candidate du RN, proclamant leur objectif commun : “Nous voulons protéger les familles et nous ne voulons pas laisser entrer les militants LGBTQ dans les écoles.”  En 2023, Jordan Bardella est allé lui cirer les pompes à Budapest, déclarant que "Viktor Orbán montre à l’Europe la voie du courage et de la liberté" et encensant l'action de son modèle contre le "wokisme" et pour la "famille traditionnelle".

"Évidemment, nous ne faisons la promotion d'aucune sexualité, nous inculquons aux élèves le respect, reprend Sacha. Nous avons besoin d’une école qui donne aux élèves les clefs pour comprendre et intégrer les valeurs de la République. C’est la seule manière efficace pour faire baisser les insultes homophobes dans les cours de récré et peut-être les agressions que subissent de nombreux gays." Lesquelles mènent encore à des suicides de jeunes ados, comme celui de Dinah, 14 ans, en 2021, et de Lucas, 13 ans, l'année suivante. Qui veut vraiment protéger les enfants ?

Mineurs trans et lutte contre le VIH

L’extrême droite au pouvoir fait craindre des difficultés particulières pour les adolescents transgenres. Le sénateur du RN Stéphane Ravier fait d'ailleurs partie des élus qui ont poussé une proposition de loi visant à restreindre l’accès des mineurs trans à un accompagnement médical. Aude, mère d'une adolescente trans de 17 ans, témoigne : "Ces traitements ont sauvé la vie de LiseMa fille a fait quatre tentatives de suicide en une année, imaginez ce que c’est pour une mère de subir cela, d'avoir constamment la boule au ventre. Heureusement, Lise a eu accès à une équipe de psychiatres spécialisée dans les transidentités." Après un examen collégial de sa situation, Lise a reçu une prise en charge médicale et, petit à petit, s’est sentie mieux dans son corps. Mais sa mère dort à nouveau moins bien, ces derniers temps : "Si le Rassemblement national arrive au pouvoir, le risque c’est que ces services soient démantelés, que les enfants n’aient pas accès à des médecins spécialisés qui comprennent ce qu’ils vivent."

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L'inquiétude des professionnels de santé s'étend aussi à la lutte contre le VIH. En premier lieu du fait de la volonté du parti de Jordan Bardella de s'en prendre à l'Aide médicale d'État (AME), qui permet notamment aux personnes étrangères séropositives de recevoir un traitement approprié. "C'est à l'opposé de la démarche 'd'aller vers' qui a fait ses preuves dans le combat contre le virus : nous avons besoin d'aller chercher les personnes les plus éloignées des dispositifs pour faire baisser le nombre de nouvelles contaminations", signale Florence Thune, directrice générale du Sidaction, qui n'a pas oublié les déclarations de Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national (l'ancêtre du RN), comparant les séropositifs à des "lépreux" qu'il faudrait isoler dans des "sidatoriums". "Depuis toujours, le FN-RN a désigné les personnes séropositives comme des ennemies et a largement entretenu leur rejet", abonde l'association Aides, qui rappelle que l'extrême droite s'est toujours opposée aux politiques de réduction des risques : "Elle s’insurgeait en 2015 dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale que Aides 'fournisse des seringues pour que les toxicomanes s'enfoncent davantage dans la drogue'." Dès lors, qu'adviendra-t-il de la prise en charge de la PrEP ? Du dépistage gratuit du VIH ? De l'accueil des usagers de drogue ? De la lutte contre les risques associés au chemsex ?

Malgré ces nombreuses questions, et autant de certitudes, les électeurs gays du Rassemblement national sont de plus en plus nombreux, comme le montrait en 2022 notre sondage réalisé par l'Ifop pour la présidentielle (28% de l'électorat LGB favorable à l'extrême droite Le Pen-Zemmour). Principale raison invoquée, comme nous le rapportions alors : "L'insécurité et la lutte contre l’islamisme". Rassurés par le nouveau vernis arc-en-ciel de l'ancien FN, ces électeurs ne sont pourtant pas forcément dupes de ce ripolinage. "Ce que je crains, ce n’est pas le recul de mes droits. Moi, je crains pour ma vie si l’islamisation de la France et l’immigration continuent", expliquait Frédérick dans notre reportage, revendiquant de faire passer ce sujet devant ses droits. "Les homosexuels qui votent RN ne politisent pas leur identité sexuelle. Ça ne veut pas dire qu’ils n’assument pas leur homosexualité, juste qu’ils en font une caractéristique secondaire", analyse cette année encore le sociologue du politique Mickaël Durand dans un entretien au Monde. Reste une question : a-t-on jamais vu une minorité se porter bien dans un pays gouverné par l'extrême droite ? Les sirènes du RN peuvent bien chanter ce qu'elles veulent pour séduire un électorat gay, la réponse est non. L'histoire est têtue.

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Crédit photo : Fiora Garenzi / Hans Lucas via AFP

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