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interviewHomophobie d'État : "La peur doit changer de camp en Europe"

Par Nicolas Scheffer le 19/11/2021
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Président du groupe Renew au Parlement européen, l'eurodéputé LREM Stéphane Séjourné met la pression sur la Commission européenne pour qu'elle sanctionne les pays membres qui ne respectent pas l'État de droit, comme en ce moment la Pologne et la Hongrie.

Alors que les gouvernants actuels de la Pologne et de la Hongrie alimentent un climat et une législation LGBTphobes dans leurs pays, la Commission européenne a pour rôle de leur rappeler les valeurs auxquelles les deux États ont adhéré en décidant de rejoindre l'Union européenne. Ainsi lorsque le gouvernement polonais salue la prolifération de zones "sans idéologie LGBT", l'institution garante des traités, par la voix de sa présidente Ursula von der Leyen, dénonce des zones "sans humanité". Et quand le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, fait adopter une loi ouvertement homophobe et transphobe, la même pointe une "honte".

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Après les discours, la Commission a lancé des procédures d'infraction contre les deux pays. Insuffisant pour l'eurodéputé Stéphane Séjourné, ex-conseiller d'Emmanuel Macron qui, élu en octobre président du groupe Renew (celui de LREM) au Parlement européen, a aussitôt réclamé "un recours contre la Commission pour inaction", afin d'augmenter la pression pour une effectivité des sanctions : "Le mécanisme État de droit doit être activé pour la Pologne et la Hongrie". TÊTU l'a donc sollicité pour faire le point sur ces dossiers, mais aussi évoquer le bilan du quinquennat sur les dossiers LGBTQI+, et les débats qui s'ouvrent en vue des échéances électorales de 2022. Entretien.

Après de longs mois de silence, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a haussé le ton depuis un an contre l'homophobie d'État qui se développe en Pologne et en Hongrie. Qu’est-ce qui, selon vous, a provoqué ce déclic à Bruxelles ? 

Stéphane Séjourné : Il y a eu une pression politique forte, notamment du Parlement européen. Le groupe Renew a pris des engagements pour l'égalité des droits LGBTQI+ dont plusieurs ont été repris par la Commission : égalité des droits pour les familles homoparentales, conditionnalité de budgets au respect de l'État de droit, pression pour faire payer les régions polonaises se déclarant "sans idéologie LGBT"... Ce qui était un combat de niche est devenu le combat du parlement européen.

L'une de vos premières actions à la tête du groupe Renew au Parlement européen a été de lancer une procédure en "inaction" contre la Commission sur les dossiers hongrois et polonais. Qu'en attendez-vous ?

Dans le jeu institutionnel européen, chacun doit jouer son rôle. Le Parlement doit mettre la pression politique pour que la Commission utilise la nouvelle réglementation européenne. Le mécanisme de conditionnalité à l'Etat de droit, adossé l'an dernier au plan de relance post-Covid, vise à couper les fonds aux États membres qui ne respecteraient pas le droit européen sur ces questions. Jusqu'à présent, les dispositifs de sanction ont été plutôt symboliques et n'ont pas abouti. Or si l'on souhaite que ces dispositifs soient efficaces, ils doivent être crédibles.

Entre l'arme atomique de l'article 7, qui peut aboutir à l'exclusion d'un État, ou les moyens de sanction détournés portant sur les fonds européens, ne manquez-vous pas d'un outil conventionnel et efficace pour punir les atteintes à l'État de droit ?

Notre enjeu est de montrer qu'on peut aller jusqu'au bout pour que la peur change de camp. Aujourd'hui, les institutions ont plus peur de la politique de la chaise vide, qui paralyserait l'Europe, que ces pays ne craignent les dispositifs que nous actionnons. L'unanimité requise pour faire avancer de nombreux sujets au Conseil européen donne aux États membres un pouvoir très important dans le rapport de force. Il faut examiner comment on peut, sur certains thèmes, passer de l'unanimité requise à la majorité. C'est le combat des prochaines années et la présidence française de l'Union européenne devrait pouvoir accélérer ce chantier.

À moyen terme, que considèreriez-vous comme une victoire politique européenne sur ces sujets ?

La Pologne vient de débattre en première lecture d'une loi "Stop LGBT", ce serait bien qu'elle soit retirée. Notre objectif, c'est que la vie des gens soient meilleure demain qu'aujourd'hui. En Pologne, actuellement, elle est désastreuse.

"Ce qui m'importe, c'est que l'Éducation nationale continue de dire aux jeunes 'aimez qui vous voulez'."

Votre camp politique montre à l'échelon européen un engagement sur les sujets LGBTQI+ qui paraît plus timide au plan national...

Je ne suis pas d'accord, nous pouvons être fiers de ce que nous avons fait depuis cinq ans. Une stratégie nationale pluriannuelle, c'est inédit. L'ouverture de la PMA à toutes les femmes, on l'a faite alors que la gauche n'avait pas eu le courage de le faire. L'interdiction des "thérapies de conversion" a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale. Nous avons créé un guide pour l'accueil des élèves transgenres, l'état civil va être adapté pour les familles homoparentales... On peut toujours aller plus loin, mais nous avons fait tout ça, et sans provoquer les manifestations qu'il y avait eu au moment du mariage pour tous, avec les relents d'homophobie qui nous ont tous choqués.

Dans la campagne présidentielle qui s'ouvre, Éric Zemmour et la droite montent au créneau contre qu'ils appellent "l'idéologie du genre", rejoints dans ce combat par le ministre de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer. La ligne macroniste, c'est Séjourné ou Blanquer ?

Ce qui m'importe, c'est que l'Éducation nationale continue de dire aux jeunes "aimez qui vous voulez", que les jeunes trans soient protégés et que les auteurs LGBTQI+ soient plus au programme. Dans les faits, on ne peut pas dire qu'il y ait un retour en arrière sur ces sujets, bien au contraire. On ne peut pas comparer la situation des pays européens que l'on vient d'évoquer et la position d'un ministre sur le discours anti-woke, qui pose débat.

Lorsque Jean-Michel Blanquer soutient que l'utilisation du pronom neutre "iel" est une attaque contre nos valeurs, ça ressemble quand même à un retour en arrière du macronisme !

Le combat politique, il est d'abord contre les approches d'Éric Zemmour et Marine Le Pen. Que les associations et responsables politiques veuillent nous pousser à aller toujours plus loin, c'est une bonne chose. Mais je ne veux pas revivre les manifestations, la haine, le recul en arrière que l'on a connus lors du mariage pour tous... Le gouvernement doit faire évoluer les sujets sociétaux en représentant l'intégralité des Français.

Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, au nom du gouvernement, a d'ores et déjà tracé une "ligne rouge" devant l'ouverture du débat sur la GPA. C'est votre position également ?

La position du gouvernement sur la GPA a toujours été claire : les sujets éthiques doivent être travaillés avant d'être mis à l'agenda politique. Je suis favorable à l'ouverture du débat, mais la légalisation de la GPA ne peut pas être un engagement pour 2022. Moi-même, je n'ai pas de position tranchée, si ce n'est que le pire des scénario serait un débat enfermé dans l'idéologie qui perde de vue le pragmatisme. Au sein du gouvernement, il y a le même débat que dans la société. Si le sujet de la GPA devient un clivage politique, on aura perdu.

Le Monde a publié un portrait intitulé "Stéphane Séjourné et Gabriel Attal, un couple au cœur du pouvoir". Qu'en avez-vous pensé ?

Qu'on soit homo ou hétéro, chacun a le droit à sa vie privée. Chacun a sa personnalité et sa sensibilité sur ce sujet, la mienne est discrète. J'ai autant le droit à mon intimité que quelqu'un d'autre et je ne suis pas sûr que Le Monde aurait publié le même papier s'agissant d'un couple hétérosexuel. Quant à la question de la représentation, il existe déjà énormément d’exemples de couples homos qui pourraient inspirer les jeunes.

Le portrait indique que des parlementaires de votre propre camp politique ont menacé, avant que votre relation avec Gabriel Attal ne soit connue, d'outer votre couple. Est-ce exact ?

Je le confirme.

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Crédit photo : Eric VIDAL / Parlement Européen