Au cinéma depuis ce mercredi 14 février dans Le Molière imaginaire d'Olivier Py, Laurent Lafitte interprète aussi Cyrano de Bergerac sur les planches de la Comédie-Française. Rencontre avec un acteur caméléon.
Laurent Lafitte est dans sa période biopic. Après avoir incarné Bernard Tapie pour une série sur Netflix, Cyrano de Bergerac au théâtre (à la Comédie-Française jusqu'au 29 avril), l'acteur tout juste âgé de 50 ans prend les traits au cinéma de Molière, dans Le Molière imaginaire d'Olivier Py sorti ce mercredi 14 février. Le metteur en scène passé derrière la caméra lui donne à jouer les toutes dernières heures de la vie du dramaturge français dans un film fiévreux, virevoltant et théâtral, qui surprend en abordant sans détour la bisexualité de l’auteur du XVIIe siècle. L’occasion d’évoquer avec le comédien son rapport à la masculinité et à son métier.
- Qu’est-ce qui vous a séduit, dans cette proposition d’Olivier Py d’interpréter Molière ?
Laurent Lafitte : Souvent, au cinéma, il y a de très belles écritures mais qui sont plutôt dans la retenue au niveau des dialogues, dans un naturalisme qui n’encourage pas forcément le lyrisme ou la poésie. Ce qui est génial avec Olivier, c'est que c'est un auteur qui n’a pas peur de la grande phrase, du côté lyrique ou parfois même métaphysique d'un dialogue. Et là, en l’occurrence, il y a de la métaphysique partout : on est dans une espèce de mise en abyme, où un acteur – Molière – est en train de mourir sur scène alors qu'il joue quelqu'un qui fait semblant de mourir [Le Malade imaginaire, ndlr].
- Le film dépeint Molière bisexuel, c'est lui le Molière "imaginaire" qu'invoque son titre ?
C’est inédit comme approche, parce que Molière est devenu un tel symbole que, selon les siècles, on met en avant ce qui arrange un peu l'époque. Il a été muséifié alors que c'est une personnalité très complexe, dans un siècle beaucoup plus libre que ce qu'on peut imaginer. On a très peu d’éléments concrets sur la vie intime de Molière : quelques témoignages, notamment celui de Michel Baron, quelques pamphlets – l'équivalent de la presse à scandales d'aujourd'hui… Donc tout est toujours à prendre avec des pincettes.
- Que sait-on de son histoire avec Michel Baron ?
Michel Baron, c'est un jeune acteur qu'il a accueilli dans sa troupe, qui était apparemment très beau par rapport aux canons de l'époque, et qui est devenu une star immense par la suite. C'est un peu l'héritier du Molière acteur, dont il a repris tous les grands rôles, même s'il a aussi écrit des pièces. Leur relation ressemble beaucoup à une histoire assez passionnelle, elle est même très probable quand on se penche sur la vie de Molière, mais on n'en parle jamais. Ce film est l'occasion de montrer que c'était un personnage plus complexe que ce qu'on nous enseigne à l’école.
- Parallèlement, vous interprétez au théâtre un Cyrano que des critiques ont vu comme queer…
Le Figaro a titré "Un Cyrano trop dans l'air du temps". C'est un compliment ! Je n'ai pas compris : il faut vraiment être réactionnaire pour trouver le spectacle queer. C'est peut-être que je suis moins viril que ceux qui l'ont joué avant… Je ne trouve pas que le personnage d'Edmond Rostand soit queer, mais il y a eu autour de lui une espèce d'ultra-virilité que je ne trouve pas juste. Il est vrai que les références d'Emmanuel Daumas, le metteur en scène, c'est Jacques Demy, Vincente Minnelli… Mais cette esthétique correspond à l’époque où se déroule la pièce : il n'y avait pas que la taverne en bois avec les bougies, il y avait aussi les rubans roses dans tous les sens, le satin, le fard, les perruques… Alors, si ça, c'est queer, d'accord. Mais Emmanuel Daumas n'a pas tordu la pièce pour en faire une œuvre queer.
- Dans le dossier de presse, le metteur en scène Emmanuel Daumas évoque sa propre homosexualité dans sa lecture de Cyrano de Bergerac…
Oui mais ça s’arrête là, ce n’est pas pour ça qu'il détourne la pièce pour lui faire raconter ce qu'elle ne raconte pas, et on ne va pas commencer à jouer un Cyrano qui serait amoureux de Christian. En tout cas, Cyrano trouve Christian très beau. On peut trouver un homme très beau sans être attiré par les hommes. Ce qui est intéressant, c'est que le Cyrano, le vrai, le personnage historique – un contemporain de Molière – était notoirement homosexuel. Sur ça, il n'y a pas de débat. Il était d'ailleurs très amoureux, entre autres, de Chapelle, qui est représenté dans le film d'Olivier Py et qui tenait le registre de la troupe. Leur relation ne fait aucun doute, mais nous sommes dans un XVIIe siècle où l'homosexualité telle qu'on l'entend aujourd'hui n'existe pas, même si les rapports et le désir entre hommes existent – il suffit de voir le frère du roi et tous ses "mignons" ! C'est un siècle beaucoup moins conservateur que ce qu'on peut en imaginer maintenant.
- Comme toute une génération d'acteurs français, vous explorez la masculinité de façon assez différente de ce qu'on faisait avant. C'est voulu ?
Ça, c'est grâce aux rôles qu'on me propose. Par exemple, dans L’Heure de la sortie, de Sébastien Marnier, je joue un personnage gay, mais son homosexualité n’est pas du tout le sujet du scénario. Et ça, j'aime bien. Il y a beaucoup de peau dans le film, il m'a beaucoup sensualisé, plus que les metteurs en scène avec lesquels j'avais travaillé jusqu'à présent. Je suis beaucoup mieux ! Je dépends beaucoup du regard des metteurs en scène, comme quand Marion Vernoux fait de moi l’amant de Fanny Ardant (Les Beaux Jours) alors que je viens de faire Les Petits Mouchoirs. Elle pose d'un coup un regard très différent sur moi, et elle me permet de montrer autre chose.
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Crédit photo : Le Molière Imaginaire, Memento Distribution