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Nos archives"Oh, je voulais être homosexuel !" Jane Birkin, ses deux interviews à têtu·

Par têtu· le 17/07/2023
Jane Birkin est morte ce dimanche 16 juillet à l'âge de 76 ans

Alors que la France pleure la mort de Jane Birkin, disparue ce dimanche 16 juillet 2023, on vous propose de redécouvrir les deux interviews que l'actrice et chanteuse britannico-française avait données à têtu·, en 2006 et 2009. Elle s'y confiait sur ses engagements, notamment dans la lutte contre le VIH et les discriminations homophobes.

Jane Birkin, l'échappée belle (2006)

Quinze ans après la mort de Serge Gainsbourg, Jane Birkin excelle toujours dans l'art d'interpréter les mots des autres. La preuve avec Fictions, son nouvel album, auquel ont collaboré des artistes prestigieux, de Rufus Wainwright à The Divine Comedy.

Alors que Serge Gainsbourg est fêté de toutes parts en cette année commémorative, Jane Birkin, actrice et chanteuse, égérie chérie de l'homme à tête de chou, file son bonhomme de chemin à la rencontre d'autres univers et livre un nouvel album somptueux, presque entièrement en anglais. Une première ! Fictions réunit de grands noms de la scène musicale (The Divine Comedy, Tom Waits, Rufus Wainwright, Dominique A, The Magic Numbers, Neil Young, Arthur H...) et contient un texte d'Hervé Guibert sur une musique de Maurice Ravel. Un pur ravissement des sens.

Pour votre nouvel album, Fictions, vous avez à nouveau choisi de travailler avec des artistes singuliers.

Oui j'en ai retrouvé certains, comme Beth Gibbons, et j'ai fait de nouvelles et belles rencontres, comme The Divine Comedy ou The Magic Numbers. Je suis également contente de reprendre Alice, de Tom Waits.

Vous avez aussi choisir de dire un texte d'Hervé Guibert.

C'est un ami qui m'a suggéré de le faire. J'avais peur de traficoter et de mettre en musique les mots d'un auteur mort, mais sa veuve m'a gentiment fait lire des textes inédits. Je ne le connaissais pas bien ; j'ai mieux saisi sa drôlerie et sa profondeur en écoutant Patrice Chéreau et Philippe Calvario lire ses textes.

Vous collaborez également avec Rufus Wainwright...

Cela faisait quelque temps que Rufus souhaitait que nous travaillions ensemble. Lorsqu'il m'a écrit "Waterloo Station", j'ai été troublée et charmée, tout comme pour "Living in Paris", une autre chanson que nous avons chantée ensemble à La Cigale. J'aime la disponibilité de ce garçon.

Il a participé à la BO du film Le Secret de Brokeback Mountain. Vous l'avez vu ?

Oui, et je l'ai beaucoup aimé. J'étais folle du garçon, le fin [Heath Ledger qui interprète le rôle d'Ennis]. Il a un jeu tellement introverti que cela le rend extrêmement séduisant. Lorsqu'il est à genoux près du lac... J'ai pleuré.

Avez-vous déjà joué un rôle de lesbienne ?

Oui, dans La Pirate, de Jacques Doillon. J'embrassais Maruschka Detmers. Un scandale à l'époque ! Pendant la projection à Cannes, la salle chantait la musique de la pub Dim pour les soutiens-gorge... C'était dégueulasse. Je ne demande pas le respect, chacun a le droit de crier, mais, là, les gens ont sifflé dès le générique de début... Le lendemain de la projection de presse, je suis allée défendre le film ; c'est une des meilleures choses que j'ai faites dans ma carrière. Les journalistes qui étaient si bruyants pendant la projection étaient étonnamment silencieux... Après ce film, des femmes sont souvent venues me chuchoter à l'oreille : "Merci pour La Pirate !"

Comme pour Je t'aime moi non plus...

Oh oui ! Joe Dallesandro... Quelle beauté, celui-là ! L'innocence incarnée.... Truffaut, au "Masque et la plume", a dit : "N'allez pas voir mon film à moi, allez voir celui de Gainsbourg." C'est rare. Trente ans après, le film est culte ! J'y ai pensé en voyant Le Secret de Brokeback Mountain. Il y a certaines similitudes. Au moment où Ennis retourne sa femme dans le lit, je me suis dit : "Mon Dieu, est-ce qu'elle va dire comme moi : 'Je suis un garçon' ?" Il me semble que c'est le plus beau texte que l'on puisse dire...

Et Don Juan 73 ?

J'étais ravie de jouer avec Bardot. Je pouvais voir la perfection de son corps, absolument sans défaut, même ses pieds. C'était comme si j'étais face à Marlon Brando. Nous étions un peu embêtées au lit, on ne savait pas comment faire, alors elle m'a dit : "On n'a qu'à chanter 'Je t'aime moi non plus'."

Pensez-vous que vous auriez pu avoir une histoire d'amour avec une femme ?

Ça ne s'est jamais produit, et, quand les choses ne se produisent pas... Je me suis souvent trompée en pensant que les gens étaient homosexuels, et ils ne l'étaient pas, comme Jacques Doillon, je me suis trompée... Je n'ai pas l'intuition de qui est quoi.

Que pensez-vous du mariage gay ?

Le mariage, je ne sais pas, ce qui est important, c'est l'adoption. J'ai un souvenir, certainement une des plus belles choses que j'aie vues. C'était à Gaza. J'étais avec un couple de garçons, et je n'ai jamais vu un tel désir d'adopter des enfants, dans cet endroit où il y avait une multitude de petits garçons et petites filles à adopter. Ces deux garçons auraient été des pères parfaits.

Dans le flot de vos souvenirs avec Serge Gainsbourg, il y en a un qui est particulièrement joli. Le premier soir où vous sortez ensemble, il vous emmène boire un verre chez Madame Arthur.

Le père de Serge était pianiste chez Madame Arthur. Serge était aussi à l'aise avec tous ces travestis – ils l'adoraient ! – qu'avec les filles du Crazy Horse. Il avait une réelle attraction pour la beauté. L'idée de "Mon légionnaire" était vraiment gonflée. Serge n'était pas homosexuel, que je sache, mais il était beaucoup plus à l'aise avec les garçons qu'avec les filles. Ce n'était pas un hasard. Je t'aime moi non plus : ce n'était pas un hasard. La Décadence : ce n'était pas un hasard, son goût pour l'ambiguïté.

Et vous, l'ambiguïté vous touche-t-elle ?

Oui. J'ai vu L'Homme blessé trois fois de suite, à sa sortie. Je voulais faire partie de leur monde, j'étais frustrée et triste de ne pas pouvoir être eux. Lorsqu'André Téchiné a voulu réaliser Les Sœurs Brontë, je l'ai appelé : je voulais jouer le frère. Lorsque Patrice Chéreau m'a proposé de jouer dans La Fausse Suivante, de Marivaux, j'ai cru qu'il voulait me faire jouer la fille qui se déguise en garçon...

Si vous aviez été un garçon, auriez-vous aimé être gay ?

Je ne sais pas, mais j'aurais été vachement mignon, en tout cas...

Propos recueillis par Hervé Pons en 2009.

À lire aussi : Mort de Jane Birkin : la perte d'une alliée inspirante de grâce et de liberté

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Jane Birkin dans Je t'aime moi non plus, de Serge Gainsbourg.

Jane Birkin : "Je me dis qu'à 60 ans, il est temps de faire les choses pour les autres" (2009)

C'est son assistant qui ouvre une dame aussi est la, qui nous propose un the vert grillé japonais. En attendant Jane B., on s'installe dans ce grand appartement du 6e arrondissement parisien où les pièces en enfilade sont recouvertes de tapis d'Orient, de tapisseries et de tentures, depuis les murs jusqu'au plafond, rouge sang. Les photographies vont par dizaines, anciennes pour la plupart, ses parents sûrement, il y a un piano dans un coin, des étagères lourdes de disques dans un autre, un grand poster de la Birmane Aung San Suu Kyi près d'une fenêtre où le soleil, éclaboussant pourtant cette fin d'après-midi, a presque du mal à entrer, comme intimidé par la solennité foutraque de l'endroit, les souvenirs qu'il abrite, la personnalité en tornade de celle qui l'habite. Elle arrive en Converse, jean et chemise, très Jane B., cheveux courts de polissonne et lunettes en bout de nez, et dès qu'on la voit les textes de Gainsbourg chantés par elle nous trottent dans la tête, mais on n'est pas là pour cela, on n'a qu'une heure - ce qui dans son emploi du temps promotionnel est énorme - et elle est très fatiguée. Mais aussi bavarde, partant en mille et une digressions, parfois sur la lune, et sur la réserve aussi, bien qu'elle se révèle d'une franchise incroyable à d'autres moments. Elle se tortille près de la table basse, son imposant fauteuil est trop loin de nous et elle passe ces soixante minutes et quelques presque assise sur les talons, charmante comme on l'imagine, sautant d'une anecdote à l'autre, des seins de Maruschka Demers à ses engagements militants, de Serge à sa passion pour L'Homme blessé, de Patrice Chéreau. Bienvenue chez mademoiselle Birkin.

Vous êtes fatiguée parait-il?

Oh, voulez-vous que je vous détaille le menu de mes derniers jours ? La, je reviens d'enregistrer, en studio, une chanson en duo avec un jeune artiste, Tahiti Boy. Ce matin, j'ai donné des interviews pour la sortie de mon album live au Palace, tout en préparant une manifestation pour Aung San Suu Kyi, début octobre à Paris – ce qui signifie passer des coups de fil à mes amis artistes afin qu'ils se déplacent, mais aussi régler des milliers de choses avec les associations ou les gens d'Amnesty International. Hier, j'étais à Londres où j'inaugurais un festival de films français, et la veille, à Londres également, j'ai chanté pour une association qui combat le sida en Afrique, et je revenais du Japon où je n'ai pas arrêté non plus, entre engagements promotionnels et humanitaires... C'est épuisant. Mais je me dis qu'à 60 ans, il est temps de faire des choses pour les autres.

Vous aviez eu des engagements, bien plus tôt.

C'est exact. À 14 ans, je défilais avec mon père contre la peine de mort. Il était dans la Navy pendant la Seconde Guerre mondiale, une sorte d'espion qui avait effectué environ 80 missions de sauvetage de résistants français – dont François Mitterrand, qui gardait pour lui une grande reconnaissance. Eh bien, mon père – ma mère était actrice – avait cette liberté de pensée qui le faisait s'opposer à des choses comme la prison à tous crins, la peine de mort... Ma famille était assez excentrique, de cette excentricité anglaise qui fait qu'on peut se promener sur King's Road en haut-de-forme et pieds nus, sans que personne ne s'en soucie.

Vous arrivez en France à la fin des années 1960, à un moment où la contestation sociale est grande.

Je suis bien tombée! Avec Delphine Seyrig, nous avons assisté au procès de Bobigny, en 1972, où la plaidoirie de Gisèle Halimi fut décisive pour le droit à l'avortement. Je trouvais que Delphine avait un mari très chic, Sami Frey, qui nous faisait des œufs à la coque le matin. (Rires.) Serge, lui, trouvait dangereux que je m'engage autant. Puis, en 1977, j'ai écrit un courrier à France-Soir, le journal préféré de Serge à l'époque, et dans cette lettre ouverte je félicitais les jurés de la cour d'assises de Troyes de n'avoir pas condamné Patrick Henry à la guillotine. J'ai ensuite marché contre la peine de mort au côté de Badinter.

Là encore, Serge était réticent: non qu'il soutenait la peine capitale, mais il détestait l'idée que je sois impopulaire. En tant que fils d'immigrants juifs venant de Russie, il ne voulait surtout pas faire de vagues. Alors qu'à peine arrivée en France, je m'impliquais pour des choses qui, normalement, vous valent des insultes dans la rue!

Et le militantisme gay?

Act Up, bien sûr! J'y ai milité dès les débuts, avec Chéreau notamment.

Que pensez-vous des revendications gays et lesbiennes quant à l'accession à la parentalité, à l'adoption?

Vous parlez à une femme qui, non sans difficultés, s'est débrouillée pour élever ses trois filles sans leur père biologique. La plupart des mères y arrivent cependant, et les mères célèbres, comme Deneuve, également. Cela dit, moi qui ai récemment pensé adopter, j'ai réalisé que je ne le ferais pas seule. Il faut être deux, je pense qu'on a toujours besoin du soutien de l'autre.

Quel que soit le sexe? S'agit-il, avant tout, d'une question d'environnement et d'amour?

Une question d'amour. Mais pour être honnête, je n'ai aucun exemple, dans mon entourage, de ce genre de situation... Hormis cette cousine, en Angleterre, qui s'est fait inséminer deux fois de suite. Ce qui est certain : les difficultés sont les mêmes.

Avec Gainsbourg, vous faisiez des choses qui, en un sens, avaient une portée révolutionnaire, notamment dans Je t'aime moi non plus. Quand je l'ai chantée en Espagne, cette chanson, bien plus tard, on m'a dit que Franco avait mis six mois avant de comprendre qu'elle était sulfureuse. Mais pour ceux qui l'écoutaient sous le franquisme, c'était une respiration qui signifiait: tout est possible. D'apprendre cela m'avait fait bien plus plaisir, alors, que mille autres choses !

Dans les années 1970, vous aviez, avec Gainsbourg, une image sulfureuse. Cela vous a-t-il valu des insultes?

Jamais, à ma grande chance. Et cela tient probablement au fait qu'on formait un couple, que je n'étais pas aussi dangereuse que Bardot, par exemple. Lorsque j'ai tourné avec Brigitte dans Don Juan 1973, de Vadim, j'ai constaté à quel point les gens étaient hargneux à son égard. Un jour qu'elle s'était engueulée avec Vadim – qui était son mari – pendant la nuit, ce qui arrive à tous les couples, et lui faisait des yeux bouffis par les pleurs, eh bien les badauds, dans la rue, étaient presque ravis. Ils disaient : "Ah, ce qu'elle est moche !" Jamais je n'ai vu une telle haine. Tout cela parce que, sur le plan sexuel, elle a vécu librement. Elle pouvait piquer le mari de n'importe qui, elle vivait comme un garçon, elle était dangereuse. cela s'avérait infiniment plus révolutionnaire que le couple formé par Serge et moi.

Vraiment ?

Oh oui ! Des gamins sonnaient chez nous, rue de Verneuil, pour voir si j'étais à poil. Mes enfants ont sans doute souffert, à l'école, du fait qu'on devait lancer des choses guère sympathique sur nous. mais c'est tout. Ah si ! Je me souviens d'une personne, du Front national, qui m'a dit que je pouvais rentrer chez moi si je n'étais pas contente. c'est la seule fois où l'on m'a tenu ce genre de discours. Assez étonnant non, avec tout ce que j'ai fait. (Rires.)

Même lorsque vous tournez dans des films à forte connotation homosexuelle, comme Je t'aime moi non plus, de Gainsbourg, ou La Pirate, de Jacques Doillon ? Pour La Pirate, l'accueil au Festival de Cannes fut d'ailleurs très violent, en 1984.

Très, très violent. Mais c'était stimulant, aussi, de défendre un film sur lequel on crachait autant; j'ai tellement cru en Jacques et en ce long-métrage que ce fut presque un privilège, lors de la conférence de presse, de pouvoir leur rentrer dedans – ceux qui critiquaient et avaient été si bruyants la nuit d'avant, lors de la projection. Ils avaient sifflé quand j'embrassais Maruschka Detmers, ils avaient sifflé dès le générique. Cela ressemblait vraiment à un règlement de comptes. Mais j'ai revu le film récemment, et si j'ai toujours une tendresse pour cette histoire, force est de reconnaître qu'on arrive dans la passion de quelqu'un d'autre comme dan Sun opéra, et comme dans un opéra l'on rit parfois aux éclats – parce qu'on ne comprend pas grand-chose. Avec le recul, je pense que certaines personnes n'ont pas compris ce film et que les autres étaient embarrassées, sexuellement parlant. Les filles rigolaient parce qu'elles étaient gênées, leurs mecs sifflaient : voilà comment est né la pagaille. Et lorsqu'en interview on cherchait du croustillant quant à mes scènes avec Maruschka, je répondais : "D'avoir la tête entre des seins aussi magnifiques, on ne peut que tomber amoureuse !" La séduction de cette femme était absolument sublime. Elle, qui venait de faire Carmen, vous courant après : franchement, quoi de plus somptueux ? Comment ne pas être dans le vertige, comment ne pas hésiter entre elle et un homme ? Ce fut une expérience extrêmement salutaire. Nombre de femmes, ensuite, sont venues me dire. "Merci pour La Pirate !" J'ai réalisé, et c'est incroyable de réaliser cela, que j'avais fait quelque chose qui, pour beaucoup, avait été une libération, sans compter sur les scènes avec Maruschka étaient très troublantes, magnifiquement troublantes, devrais-je dire.

Et le côté gay de Je t'aime moi non plus, quelques années avant, en 1977, comment fut-il perçu ?

Le sens disaient que nous jouions, Joe Dallessandro et moi, dans un film pornographique. Je rétorquais qu'il s'agissait d'un film shakespearien. Et l'on me répondait : mais bien sûr, avec sodomie et tout le reste ! Je le maintiens pourtant, Je t'aime moi non plus est une œuvre shakespearienne – la fille, le mari, l'amant jaloux, qui essaye de tuer la fille. Le plus beau moment des dialogues, selon moi, se déroulait dans la chambre d'hôtel éclairée de manière fantastique, quand j'avais à me retourner en lançant : "Je suis un garçon." C'était incroyable à dire, et à faire comprendre : que ce garçon en face de moi ne pouvait me prendre qu'ainsi… On a eu la chance d'être soutenus et défendus par François Truffaut, qui n'était pas n'importe qui – et cela donnait confiance, surtout lorsqu'on vous tirait dessus –, et par Pierre Tchernia, qui nous avait dit avoir été en larmes à l'issue du film. J'en avais conclu que les gens innocents, dotés d'un bon cœur, ne voyaient aucune perversité à cette œuvre. Ils étaient simplement inconsolables, comme moi je l'ai ensuite été pour L'Homme blessé.

Ce film de Patrice Chéreau, qui sort en 1983, a fait également scandale à Cannes.

Oui. J'ai rarement été dans un tel état, voyant le film trois fois de suite. Ma mère, à qui j'avais conseillé d'y aller, m'a dit en sortant : "Je l'ai aimé, sans pour autant être bouleversée. Je comprends néanmoins ce que cela te fait, puisqu'il s'agit de toi." Et j'étais inconsolable. Nous sommes ensuite allées, ma mère et moi, voir Combat de nègre et de chiens, de Koltès, mis en scène par Chéreau à Nanterre. Là, elle était sur le cul.

Qu'est-ce qui vous troublait tant dans L'Homme blessé ?

Oh, je voulais être homosexuel ! Cette passion, je la désirais pour moi, j'étais jalouse d'eux. Quand je voyais L'Homme blessé, j'étais cet homme blessé. Et je devais me pincer pour comprendre que je n'étais pas un garçon. Mais dans la tête, c'était tout comme. Je possède une grande facilité pour me mettre à la place de l'autre. C'est fascinant. Aussi troublant que Hilary Swank dans Boys Don't Cry, lorsqu'elle bande ses seins. Magnifique ! Cette excitation… Serge avait absolument raison de dire que j'étais amorale. Si je suis dotée d'un sentiment de culpabilité très fort – d'où mes somnifères, la nuit –, si je suis quelqu'un de très droit qui ne sait pas mentir – et je le paye via ma culpabilité –, je n'ai en revanche aucun tabou.

Avec Gainsbourg, vous fréquentiez nombre de lieux gays et lesbiens.

Oui, je me souviens des fume-cigarette tenus par les filles. Du fait que dans les boîtes de femmes, Serge était toléré, je l'étais dans les boîtes de mecs, rue Sainte-Anne. Mais on entrait sans problème. Ma fille Lou, et je trouve cela très drôle, va commencer ce mois-ci le tournage d'un film où elle joue une lesbienne des années 1930, une femme célèbre qui devient proxénète, la mère maquerelle des autres filles. Le rôle est passionnant et cela se passe au Monocle, un endroit que j'ai souvent fréquenté avec Serge. J'aime les histoires, ces histoires-là particulièrement. D'où viennent les gens ? Quel est la clé, le pourquoi du comment ? Je pense que Lou va formidablement bien s'en tirer. Elle s'est déjà rasé la nuque – pas comme moi qui, dans La Pirate, devais jouer une jolie garçonne. Elle interprète plutôt une butch.

Et ces boites-là, qu'alliez-vous y faire ?

Eh bien, je voulais regarder les filles. (Rites.)

Et Serge regardait les garçons ?

Probablement, oui. Sans aucun doute.

Avez-vous franchi le pas ?

Ah, c'est une affaire privée, je ne vous le dirai pas ! (Rires.)

Propos recueillis par Françoise-Marie Santucci et Stéphane Moran en 2009.

Crédit photo : Unifrance