hommageMort de Jane Birkin : la perte d'une alliée inspirante de grâce et de liberté

Par Thomas Vampouille le 17/07/2023
Jane Birkin aux obsèques de Patrice Chéreau en 2013

D'Étienne Daho à Marianne Faithfull, la mort de Jane Birkin ce 16 juillet 2023 à l'âge de 76 ans ne laisse pas qu'un vide au cœur de ses fans mais aussi au rang de nos allié·es les plus fidèles, elle qui dès 1995 marchait à nos côtés pour alerter sur l'épidémie de VIH/sida, avant de prendre position dans têtu· pour notre droit à l'adoption.

Bien au-delà de son chemin avec Serge Gainsbourg, Jane Birkin fait partie de ces artistes qui ont accompagné de nombreux moments de nos vies, s'inscrivant si profondément dans la BO de nos existences qu'on avait fini, comme pour Mylène, par l'appeler par son prénom, simplement Jane. Partageant aussi avec notre rousse nationale une douceur ineffable dans l'expression, il suffisait souvent qu'on écoute parler notre Britannique adoptée pour se sentir mieux, câliné par sa voix unique, aux accents maternels, et par la grâce poétique de sa langue. Pour ma part, c'est d'ailleurs un récent deuil intime, celui de ma mère, qui m'a remis Jane dans les oreilles, à écouter en boucle "Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve…". Il faut dire qu'elle en avait connu plus souvent qu'à son tour, des deuils et des tragédies, mais l'Anglaise n'avait pas son pareil pour insuffler de l'espoir dans le drame, de la lumière dans la mélancolie, "se dire qu'il y a over the rainbow, toujours plus haut le soleil above, radieux, croire aux cieux, croire aux dieux même quand tout nous semble odieux, que notre cœur est mis à sang et à feu".

Si la disparition de Jane Birkin, retrouvée morte ce dimanche 16 juillet dans son domicile parisien à l'âge de 76 ans, est une blessure pour une foule de fans, sans qu'on se soit d'ailleurs toujours rendu compte qu'on l'aimait tant, c'est aussi une alliée de longue date que perd la communauté LGBTQI+. Les plus jeunes l'ont évidemment oublié, mais en 1995, année noire de l'épidémie de sida, quand l'association Aides fondée par Daniel Defert – également disparu cette année – réunit 20.000 personnes à Paris dans une "Marche pour la vie", Jane Birkin en est. Elle a également accompagné l'autre grande association de lutte contre le VIH/sida, rappelait-elle dans une interview à têtu· en 2009 : "Act Up, bien sûr ! J'y ai milité dès le début, avec Chéreau notamment". En 1985 c'est lui, Patrice Chéreau, qui avait fait monter Jane pour la première fois sur les planches, dans une pièce de Marivaux. "J'ai vu L'Homme blessé trois fois de suite à sa sortie", avait-elle encore confié à têtu· au sujet du film de Chéreau sur le sida qui avait remporté, en 1984, le César du meilleur scénario original avec Hervé Guibert, non sans avoir fait scandale l'année d'avant au Festival de Cannes. "Oh, je voulais être homosexuel ! répondit-elle lorsqu'on lui demanda ce qui la troublait dans ce film. Quand je vois L'Homme blessé, j'étais cet homme blessé."

Jane Birkin, Patrice Chéreau, Hervé Guibert…

"Ta photo sur la bibliothèque tombe toute seule. Il n'y a pas de vent, pas de courant d'air…" C'est sur un poème de l'écrivain fauché par le sida, Images fantômes, que Jane Birkin termine en 2006 son album Fictions. "Patrice Chéreau m'a donné un carton avec dix poèmes d'Hervé Guibert", racontera-t-elle dans un entretien au Monde. L'année suivant le duo Chéreau-Guibert, en 1985, c'est Jane qui est nominée aux César dans la catégorie meilleure actrice pour son rôle dans La Pirate, de Jacques Doillon, le père de sa fille Lou Doillon. Elle qui, dans Je t'aime moi non plus, le film de Serge Gainsbourg sorti en 1976, avait incarné une femme androgyne amoureuse d'un garçon homo joué par l'acteur bi et égérie warholienne Joe Dallesandro, est cette fois Alma, une femme mariée amoureuse d'une autre femme, Carol, incarnée par Maruschka Detmers. "J'embrassais Maruschka Detmers. Un scandale, à l'époque ! se souvenait-elle dans têtu· en 2006. Pendant la projection à Cannes, la salle chantait la musique de la pub Dim pour les soutiens-gorge… C'était dégueulasse (…) Après ce film, des femmes sont souvent venues me chuchoter à l'oreille : 'Merci pour La  Pirate'."

"À 14 ans, je défilais avec mon père contre la peine de mort", expliquait-elle à têtu· quand on l'interrogeait sur la source de ses engagements politiques multiples, tout au long de sa vie, en France surtout où elle est arrivée dans les années 1960. "Avec Delphine Seyrig, nous avons assisté au procès de Bobigny, en 1972, où la plaidoirie de Gisèle Halimi fut décisive pour le droit à l'avortement (…) Puis, en 1977, j'ai écrit un courrier à France-Soir, le journal préféré de Serge à l'époque, et dans cette lettre je félicitais les jurés de la cour d'assises de Troyes de n'avoir pas condamné Patrick Henry à la guillotine. J'ai ensuite marché contre la peine de mort au côté de Badinter." Quand le journal lui demande en 2006 ce qu'elle pense du mariage gay, Jane Birkin a cette réponse parfaite d'une anti-conformiste et néanmoins alliée : "Le mariage, je ne sais pas, ce qui est important c'est l'adoption".

Marianne Faithfull, Iggy Pop, Sheila, Alain Souchon, Françoise Hardy, Benjamin Biolay, Christophe Miossec, Clara Luciani, Olivier Rousteing, Simon Porte Jacquemus… Les hommages au lendemain de sa mort sont innombrables à l'éternelle muse et icône de tous les arts, de la musique à la mode en passant par le cinéma. "Tu as accompagné nos adolescences moroses", lui écrit dans une lettre poignante, diffusée ce lundi sur son compte Instagram, Étienne Daho, qui en 2020 avait co-composé avec Jane Birkin son album Oh ! Pardon tu dormais... "J'ai aimé ta voix unique, haut perché et si singulière, ton écriture libre, poétique et culottée, tes engagements. Toujours honnête. Toujours légère. Toujours trop modeste et généreuse." En 2021, quelques semaines avant de subir un accident vasculaire cérébral, Jane reçoit une Victoire d'honneur de la musique. Sur scène, Eddy de Pretto et Étienne Daho lui rendent hommage sur les paroles de sa chanson "Quoi", qu'on aimerait lui dire aujourd'hui comme à tous les êtres chers qui nous laissent bien seuls ici : "Moi j'aimerais que la terre s'arrête pour descendre".

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Crédit photo : Kenzo Tribouillard / AFP